03/12/2020

Mort de Valéry Giscard d'Estaing : une pluie d'hommages de la classe politique

L'ancien président de la République est décédé à 94 ans des suites du Covid-19. Pour Emmanuel Macron, « sa mort est un deuil pour la nation française ». Lire sur le Point 
 
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Avouons-le tout net : il nous a bluffés. Nous l’avons beaucoup, et durement combattu, Valéry René Marie Georges Giscard d’Estaing, dit Giscard. Mais l’on dira d’abord qu’il obligeait son adversaire à donner le meilleur de lui-même ! François Mitterrand en sait quelque chose, qui, porté par une gauche montante devait l’emporter en 1974. Il fut renvoyé à ses études comme "homme du passé", avant de revenir en 1981 avec le tranchant implacable de cette formule boomerang contre son vainqueur usé par son septennat : "vous êtes devenu l’homme du passif !". Mais le personnage, lumineux, avant que le pouvoir ne le caricature lui-même, nous épatait pour bien d’autre chose que pour son "intelligence hors norme" et sa capacité de rendre claires les équations économiques les plus obscures. Nous étions des soixante-huitards ardents pour qui l’héritier encoconné de la lignée de notables anoblis tardivement n’avait rien pour plaire. Sauf que…

Sauf que le jeune prodige du lycée Louis Le Grand n’avait pas hésité à prendre les armes à 18 ans pour libérer Paris, puis s’était engagé dans la division Leclerc en risquant sa vie. Ce n’était pas un résistant de la dernière heure, ni un planqué comme l’avait été son prédécesseur Georges Pompidou qui ne s’était pas particulièrement distingué pendant cette épreuve humaine de vérité. Et puis il y avait comme un cousinage ou une filiation pas si lointaine que cela entre Giscard et les soixante-huitards.

Jeunes giscardiens allumés

Nous ne partagions pas seulement quelques pétards festifs avec les jeunes giscardiens allumés qui s’appelaient "les Magnifiques". Nous partagions un désir de changement, d’émancipation, d’égalité entre les femmes et les hommes. Nous écoutions les mêmes musiques venues d’Outre-Atlantique et l’on se faisait nos Woodstocks à nous dans les universités d’été transformées en rassemblements festifs. Ensuite nous en avions assez du gaullisme et de ses rigidités autoritaires, de ses corruptions financières, de sa prétention au "pouvoir solitaire" et à la transmission du pouvoir héréditaire. Tout cela était si loin, si opposé au gaullisme de l’insurgé londonien ! Le règne de Georges Pompidou avait de surcroit été frappé par la maladie et la mort. La France le pleurait sans doute, mais elle avait besoin de respirer. Il lui fallait du changement, une rupture que ne pouvait incarner le sympathique et sautillant Jacques Chaban-Delmas car il relevait de cette famille gaulliste trop dominante, trop étouffante.

Giscard lui avait eu l’habileté de s’inspirer de l’Amérique et de Kennedy qui nous faisait rêver avec Marilyn, le cinémascope et Hollywood. Il avait été pourtant des cabinets ministériels gaullistes, puis pompidoliens, mais le quadragénaire glabre arrachait les vieilles barbes. Il révolutionnait la communication politique en affichant le sourire, l’optimisme, la bienveillance qu’on retrouvera des décennies plus tard chez... Emmanuel Macron. Dès qu’il entrait dans un studio, sa première interrogation, rituelle, était celle-ci : "où sont les caméras ?" Et il s’adressait à elle, à nous. Il mettait de la couleur dans cet univers en noir et blanc. Plus en noir qu’en blanc...

"Regarder la France au fond des yeux" 

Le candidat Giscard n’hésitait pas à poser avec sa fille Jacinthe sur ses affiches de campagne, à participer à un match de football puis à se montrer torse nu dans les vestiaires, à jouer de l’accordéon. Les jeunes giscardiennes étaient en fleurs, les garçons en boutons, ça faisait de belles photos dans Paris Match. Celui qui passera plus tard pour un aristocrate guindé insupportable au parler ampoulé façon grand lustre, celui-là réussira à "regarder la France au fond des yeux" comme il le proclamait suffisamment pour l’emporter d’un cheveu en 1974, alors même que les forces de gauche étaient en dynamique ascendante. Et il réussit une entrée de septennat "cool", moderne, qui faisait vieillir un monde politique vermoulu. Et pas seulement en remontant les Champs-Élysées à pieds le jour de son intronisation ou en recevant à l’Elysée des éboueurs qu’on n’appelait pas encore des premiers de corvée… Il "décrispait" une France qui tend toujours à se déchirer !

Cela parait aujourd’hui aller de soi, mais…le droit de vote à 18 ans, la libération de la tutelle publique sur l’audiovisuel, l’Europe, l’Europe d’abord peut-être, et puis le droit à l’avortement, mais aussi la possibilité de divorcer par consentement mutuel, le remboursement de la pilule ou même pour les femmes encore d’ouvrir enfin un compte bancaire à son nom : le vent du changement que faisait souffler le si jeune président (48 ans)…soixante-huitard représentait un bouleversement…révolutionnaire ! Pour les femmes, ce furent sans conteste des avancées historiques qu’il favorisa, alors même que l’IVG allait contre ses convictions profondes; mais il soutint jusqu’au bout son ministre de la santé Simone Veil. A l’instar de son Premier ministre de l’époque Jacques Chirac qui, après des mois de lune de miel, rompra ensuite pour mener une guerre civile, une vendetta qui ne sera pas pour rien dans l’échec de "Giscard" en 1981 face à François Mitterrand qu’il avait terrassé autrefois d’une réplique sans réplique : "vous n’avez pas le monopole du cœur".

En guerre permanente contre Chirac 

"Giscard au rencard ?" Là aussi d’ailleurs le "battu de 1981", qui était à la fois un fauve politique et un grand chasseur, nous avait impressionnés. Journaliste à l’époque au si regretté journal le Matin de Paris nous l’avions rencontré pour essayer de comprendre ce qu’il retenait de son échec. Et bien d’abord l’homme qui se tenait toujours impeccablement debout avec sa prestance devenue distance se refusait à parler "d’échec", justement. Il considérait "n’avoir pas été battu mais trahi par Chirac et son parti".

Certes il y avait aussi eu le double choc pétrolier qui avait "porté un rude coup à l’économie", mais "c’est la guérilla permanente menée contre lui par le maire de Paris au sein de la majorité qui l’avait "empêché de réformer le travail et de faire des réformes sociales qui lui auraient permis de saper la gauche". Les diamants de Bokassa, "c’étaient les chiraquiens, à commencer par Charles Pasqua qui avait sur ces affiches placardé des pierres précieuses à la place de ses yeux, puis organisé un vote secret contre lui !". Pas une once d’autocritique affaiblissante. Le défait ne voulait pas l’être. Il était dans le combat du retour quelques semaines seulement après le verdict des urnes qui l’avait frappé pourtant tel un couteau de guillotine.

Pourtant "le plus intelligent de tous", que ses fans nombreux encore, surnommaient "Gigi l’Amoroso" ne parviendra pas à prendre sa revanche. Il recommencera pourtant par la base, par le terrain, en quête d’un retour d’un impossible retour d’amour. Plus de 20 ans de vaines tentatives, bien que tenues pour succès d’un moment : élection cantonale, législative, régionale, européenne, présidence de l’UDF… En dépit de son rayonnement, de son savoir-faire, de son expérience de "bête à concours hors norme", Giscard ne parvenait pas à renouer avec le sentiment populaire. Charles de Gaulle avait dit de lui "son problème, c’est le peuple", ça l’était en effet devenu. Mais c’est une loi de notre monarchie républicaine : quand les Français ont coupé la tête de leur président suzerain, aucune colle miracle ne peut la remettre en place. Ils ont tourné la page du grand livre de l’Histoire de France et sont passé à une autre. Même si la précédente avait connu de belles heures…

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