08/12/2020

Chez Airbus, IBM, Nokia, Renault, Danone... Les cadres supérieurs paient leur tribut à la crise - Economie

En octobre, l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) a revu sa prévision de début d’année. Le 13 février dernier, elle prévoyait une hausse de 5 % des embauches de cadres en 2020. L'Apec parle désormais d’une chute de 30 à 40 % des embauches de cadres sur l’année complète. De janvier à novembre 2020, les annonces d’emplois cadres de l’industrie ont baissé de 38 % par rapport à la même période de 2019. Dans de nombreux secteurs, ce sont les départs qui sont au programme, avec une multiplication de projets de suppressions de postes au fil des annonces des entreprises. Les ingénieurs et cadres comme les employés des fonctions supports sont des populations très touchées.

Des groupes qui dégraissent surtout des cadres

(les chiffres concernent les effectifs France)

986 postes supprimés à la R & D

Sont principalement touchésles ingénieurs et les chercheurs des activités de R & D de Nozay (Essonne) et Lannion (Côtes-d’Armor). La création d’un centre de cybersécurité à Lannion a réduit le nombre initial de suppressions.

2 500 postes supprimés dans les fonctions globales

C’est un peu plus de la moitié des 4 600 suppressions de postes prévues en France. Il s’agit surtout de cadres, mais aussi de techniciens et d’agents de maîtrise. L’ingénierie est en première ligne et sera recentrée sur les activités stratégiques.

4 200 postes supprimés

L’accord de chômage partiel longue durée devrait permettre de sauver 1 500 postes en production. Le sort des cols blancs devrait passer par des départs volontaires et des aménagements de fin de carrière, avec 500 postes de l’ingénierie sauvés grâce à l’aide du Corac.

400 à 500 postes supprimés dans les sièges monde et divisions

« Ces suppressions éventuelles de postes à la suite de la réorganisation concernent pour l’essentiel des directeurs, des managers et des cadres », a affirmé Emmanuel Faber, le directeur général de Danone. Des mesures d’âge et de mobilité pourraient limiter les départs contraints.

1 250 postes supprimés

Cela représente le quart d’une entreprise constituée à 95 % de cadres. La division Global Technology Services (infogérance) est la plus touchée, avec 535 postes supprimés, puis viennent celles des Global Business Services (180), du Global Markets (124), du Cloud & Cognitive (128), des Systems (98), et enfin les fonctions supports (186).

Les secteurs de la mobilité, notamment l’aéronautique et l’automobile, ont donné le ton dès la fin du printemps, avec les plans d’Airbus et de Renault. Sur les 4 200 postes supprimés dans l’aviation civile par Airbus, deux tiers concernent des cols blancs et un tiers des cols bleus. « Les dispositifs de chômage longue durée sont réservés aux métiers de la production. Les fonctions supports, comme les achats, les ressources humaines, l’informatique, la qualité et le bureau d’études, n’en bénéficient pas », témoigne Françoise Vallin, déléguée syndicale centrale CFE-CGC d’Airbus.

Moins d’ingénieurs

Selon cette élue, le constat de la direction est que lorsqu’une entreprise va bien, elle fait naturellement grossir ses fonctions supports, et lorsque ça va mal « certaines activités, comme les achats, sont allégées, et on peut même se passer de certaines autres ». Le report ou l’arrêt de programmes aéronautiques mettent aussi le bureau d’études et ses milliers d’ingénieurs au régime. Celui d’Airbus, qui comptait 5 050 salariés en France, doit réduire son effectif de 17 %, soit 873 collaborateurs. Une partie d’entre eux, environ 500, pourrait être conservée grâce au financement exceptionnel du Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac).

Les autres acteurs de la filière n’épargnent pas non plus leurs cadres, mais à des niveaux moindres, car les sous-traitants sont plus vigilants sur le poids de leur structure. Chez Daher, les cadres sont touchés au même niveau que les non-cadres. Dans l’automobile, Renault va supprimer en France 2 100 postes dans le manufacturing (surtout des ouvriers, des techniciens et des agents de maîtrise) et 2 500 dans les fonctions globales (surtout des cadres). En première ligne : l’ingénierie. Si Jean-Dominique Senard, son PDG, affirme qu’il restera « une forteresse technologique », le technocentre du groupe, à Guyancourt (Yvelines), devra s’alléger de certains de ses soldats et de ses gradés. Gilles Le Borgne, le directeur de l’ingénierie, a confié aux syndicats qu’il comptait trop de managers. PSA, qui fait régulièrement le ménage dans ses troupes, tient pour l’instant en se délestant de ses intérimaires et en rationalisant ses frais immobiliers.

Les principales victimes collatérales des reports de programmes d’investissements et de R & D sont les cabinets d’ingénierie. Fin novembre, seuls 38 % des adhérents du Syntec Ingénierie déclaraient que leurs équipes travaillaient à plein-temps et tout juste 20 % chez les ingénieristes du secteur industriel. Alten Sud-Ouest propose à ses consultants des missions à l’autre bout de la France, qui conduisent en cas de refus au licenciement. « Peu d’ingénieristes dépendant de l’aéronautique ont fait du chômage longue durée, car ils ne croient pas à un retour de l’activité dans les deux ans. Ils savent que les donneurs d’ordres vont d’abord recharger le travail en interne », souligne Françoise Vallin.

Réorganisations douloureuses

Autre phénomène frappant les cadres et les ingénieurs, des basculements s’accélèrent et fragilisent des entreprises technologiques. IBM France voit son marché de l’infogérance grignoté par la forte montée en charge du cloud, préemptée par les Google, Amazon et Microsoft. Si en France « Big Blue » faisait en moyenne partir 300 à 400 personnes par an depuis plusieurs années (à 95 % des cadres), le plan 2020 prévoit d’en renvoyer 1 251, soit un quart de l’effectif. De son côté, Nokia tente de rester compétitif dans la course aux réseaux et aux équipements télécoms. Pour la première fois depuis 2016, la R & D en France est touchée. Là encore ce sont des cadres, des chercheurs, issus de l’ex-Alcatel-Lucent, qui sont concernés, avec un plan de départ de 980 collaborateurs.

Enfin, les bouleversements technologiques, la transition énergétique et la crise du Covid-19 se conjuguent pour pousser les multinationales à comprimer la masse salariale de leurs centres de décision. Total a soumis à ses syndicats un plan de départs volontaires en France. Ces départs ne seraient pas remplacés dans ses différents sièges, mais uniquement dans les sites opérationnels et dans la nouvelle entité d’ingénierie transversale, One Tech. Avec une ambition : embaucher des jeunes à la place des plus âgés. La CGT évoque 700 postes, non confirmés par la direction. Danone, quant à lui, espère faire maigrir de 25 % l’effectif de ses centres de décision mondiaux, avec son plan Local first, qui promeut un pilotage par grandes zones géographiques et non autour de catégories de produits. L’entreprise passera de 61 business units à 22. Autant de directeurs et de managers dont elle pourra se passer et de fonctions supports mutualisées. Une démarche qui peut se justifier, selon Arnaud Gangloff, le PDG du cabinet de conseil Kea : « L’organisation par grandes verticales de business a répondu à une étape de la globalisation, mais dans certains secteurs, il faut redonner la main au terrain pour gagner sur les marchés. Les sièges doivent repenser leur rôle. » Et parfois « cesser de s’auto-alimenter »...

« Beaucoup de managers “passe-plats” ralentissent les processus »

ENTRETIEN avec Nicolas Taufflieb, associé chez Alvarez&Marsal, cabinet mondial de restructuring

Chez Danone comme dans d’autres groupes du CAC 40, on supprime des postes au siège lors de plans de transformation. Existe-t-il un schéma idéal d’organisation ?

S’organiser en filières ou en zones géographiques dépend du secteur et des marchés que l’on sert. Il faut comprendre ce qui crée de la transversalité. Ce qui compte, c’est de garder la capacité d’impulser des transformations. Le siège a un rôle majeur tout en tirant le plein potentiel du business en termes d’impact et de résultat. Il faut surtout un leadership affirmé pour aller vite et se focaliser sur l’exécution des stratégies. Les entités responsabilisées doivent aussi présenter une masse critique pour ne pas tomber dans une logique d’agrégation de petites équipes déjà grevées par la lourdeur d’une grande entreprise.

Y a-t-il des travers organisationnels et culturels spécifiques aux grandes entreprises françaises ?

Il y a une culture anglo-saxonne du « transactionnel », alors que les groupes français sont dans le « relationnel », parfois non favorable à l’efficacité. On y fait trop de réunions, non préparées, non conclusives. Il y a une logique à supprimer des chaînes hiérarchiques. Dans les sièges, qui, je le rappelle, ne génèrent pas de revenus mais sont des centres de coûts, beaucoup de managers « passe-plats », souvent avec des salaires élevés, ralentissent les processus, ne produisent pas grand-chose et brident la progression des hauts potentiels. Le middle management est très challengé. Le télétravail a extériorisé cette sous-productivité et la crise sanitaire laisse peu de choix. Après, c’est une question de courage et de gestion sociale.

 

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