23/12/2020

Macron, ce jeune président qui voulait réformer la France!

Qu'il est loin, le jeune homme de 38 ans qui, dans une mise en scène millimétrée, surgissait, sitôt élu, après une longue marche obscure et solitaire devant le Louvre, celui des rois de France et de la Pyramide, au milieu de ses adorateurs. À ce moment-là, tout était simple pour celui qui venait de bousculer tous les codes, d'abattre la droite et la gauche, de faire exploser le paysage politique français. Il fallait, dès son entrée à l'Élysée, réformer, réformer et encore réformer, aller vite, donner aux choses un cours nouveau, abandonner le train-train de la vie politique quotidienne, aller plus vite et plus haut que ses prédécesseurs, bref, refaire la France sans oublier de refaire l'Europe.

Trois ans plus tard, à la Lanterne, où, atteint du Covid, il est en isolement absolu, qu'il a changé, Emmanuel Macron ! On ne trouvera pas beaucoup d'optimisme dans la première partie de la longue interview – plus d'une heure trente – qu'il vient d'accorder par visioconférence à L'Express. À coup sûr, et quoi qu'il dise, même s'il savait – qui ne le sait pas ? – que la France était un pays de contrastes et que son rapport à l'État était compliqué, cet État dont on attend tout et auquel on ne pardonne rien, Emmanuel Macron n'est plus aujourd'hui celui qu'il était hier. Les crises, certes, ne l'ont pas épargné. Nicolas Sarkozy avait affronté la crise économique de 2008, François Hollande celle du terrorisme en 2015. Emmanuel Macron, lui, a connu tous les obstacles affrontés par ses prédécesseurs, auxquels se sont ajoutées une crise sociale jaune sans précédent suivie de la première pandémie mondiale depuis un siècle.

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Diagnostic sombre

Nul doute que dans son isolement forcé, le président de la République tourne et retourne en lui les événements qui ont marqué la première partie de son quinquennat, ne serait-ce que pour donner une nouvelle inflexion, moins amère, aux deux ans qui lui restent. Les constats qui sont les siens, nous les avons tous plus ou moins partagés, mais sans être dans les fonctions du président de la République, ce qui fait toute la différence. Oui, les Français veulent tout et le contraire, le beurre, l'argent du beurre et la crémière. Oui, la France a mal supporté de devenir une « puissance moyenne », et plus encore qu'on le dise, elle dont l'arrogance dominait les sommets internationaux. Oui, le progrès a cessé de profiter aux classes moyennes, la mondialisation a cassé des populations, des territoires, tout en enrichissant des entreprises multinationales. Et, oui, enfin, le rêve de l'Europe, qui était précisément celui, après François Mitterrand, d'Emmanuel Macron, n'a cessé de disparaître dans un brouillard obscurcissant toutes les ambitions que l'on avait mis en elle, révélant au contraire mille et une contraintes administratives, techniques, quotidiennes, plus oppressantes que libératrices.

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Un diagnostic sombre, donc, que nous livre le président, qui s'assombrit encore forcément lorsqu'il parle de l'obscurantisme : celui d'une société qui malmène le rationalisme, dont on dit pourtant que, depuis Descartes, il domine la pensée française. Il y a fort peu de rationnel, il faut bien le reconnaître, dans le flot des réseaux sociaux, où chaque parole en vaut une autre. Et où la sienne propre est toujours attaquée. Ainsi l'indignation se substitue à l'échange, l'incompréhension à la compréhension. Pendant le même temps, on se perd, dans les médias, entre experts systématiquement en désaccord, confrontés à des interlocuteurs qui parlent haut, mais ne connaissent rien, ou pas grand-chose, des sujets débattus. Alors, en effet, le président a raison, vient le doute. Et plus que le doute, l'inquiétude, l'impression d'être perdu dans un monde démantelé, l'angoisse.

Encore (et toujours !) le « en même temps »

Autant dire que, dans l'analyse, Emmanuel Macron ne sera pas pris en défaut. À ceci près qu'il n'est pas un commentateur, un éditorialiste comme les autres. Et que c'est de lui, et de personne d'autre, qu'on attend qu'il nous sorte des impasses dans lesquelles nous sommes enfermés. Peut-il, pour raccommoder la France et réconcilier les Français, se réclamer de Nicolas Sarkozy et de son « identité nationale » qui a suscité un tollé à gauche après le fameux discours de Grenoble de 2010, et, en même temps, se revendiquer de Jean-Pierre Chevènement et de son idée républicaine ?

Peut-on vouloir d'une citoyenneté commune et en même temps laisser, comme il le dit, à ce modèle républicain « une part d'altérité ? « Être pleinement français et cultiver une autre appartenance » – c'est la phrase employée par Emmanuel Macron –, tel était le souhait de ceux qui jadis offraient à tous les immigrés, italiens, polonais, juifs aussi, l'assimilation à la République. Le président a raison : le maréchal Pétain a été un grand soldat pendant la Grande Guerre, Charles Maurras était antisémite, Garibaldi est devenu député français de la IIIe République. Mais peut-on réconcilier aujourd'hui les Français autour de Pétain, chef de guerre d'une part, pantin du IIIe Reich de l'autre ? Autour de Maurras et de Zola ? Peut-on faire que « l'homme blanc », avec ses privilèges, ouvre les bras à l'immigré asiatique, noir et maghrébin pour revendiquer ensemble une citoyenneté commune. Peut-on faire surtout qu'à la question « qu'est-ce qu'être français ? », chacun réponde de la même façon ?

Est-il possible, surtout, que le Macron qui vient, celui qui n'a plus que deux ans devant lui, fasse la paix entre des Français que beaucoup de choses, dont l'Histoire telle qu'ils se la racontent, opposent, et pour qui les inégalités qu'ils subissent seront sans doute, après le séisme du Covid, plus grandes encore ? 

Source Le Point Michèle Cotta

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