Il faut le prendre au pied de la lettre quand Emmanuel Macron déclare: «Peut-être que je ne pourrai pas être candidat (en 2022). Peut-être que je devrai faire des choses dures, dans la dernière année, dans les derniers mois, parce que les circonstances l’exigeront, et qui rendront impossible le fait que je sois candidat.» Le chef de l’État se confiait le 4 décembre devant les «jeunes» du site Brut. Personne, fût-ce Jupiter, ne peut prétendre connaître la conjoncture économique et sociale à l’hiver 2021-2022.
En revanche, on sait ce que serait son scénario de second mandat pour les finances publiques infectées par le Covid-19. À l’instar du «ni nationalisation ni privatisation» de François Mitterrand à la présidentielle 1988, on aurait un «ni ni», ni hausses d’impôts ni annulation de la dette.Ce programme, Bruno Le Maire, ministre des Finances, le décline à satiété depuis des semaines sur les plateaux télé, et il a de quoi plaire. À l’évidence, on ne relance pas une économie en alourdissant la fiscalité, et chacun admet volontiers que «les dettes doivent être remboursées» : les deux arguments du locataire de Bercy sont d’une clarté biblique (encore que la Bible prône les remises de dettes…). Le doute demeure toutefois. Peut-on s’en tenir à des recettes de capitaine de pédalo pour affronter les quarantièmes rugissants du «Vendée Globe»? Aussi sympathique soit-t-il, le «ni ni» paraît gnangnan à l’aune des défis de l’heure.
Car la vague qu’il faut affronter est hors norme: le poids de la dette publique aura bondi d’un cinquième en une année, franchissant la barre des 120% du PIB en 2020 (2700 milliards d’euros). Comment résorber une telle «paume», comme on dit à la Bourse? Il ne faut donc pas s’étonner que des esprits forts, pleinement conscients de leur aura médiatique, fassent des propositions moins édulcorées que celles de la macronie.
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L’ex-ministre de l’Économie Arnaud Montebourg, dont le successeur à Bercy en 2014 allait devenir chef de l’État, bat la campagne pour «une annulation concertée de toutes les dettes Covid de tous les pays de la zone euro, et un rachat massif par la Banque centrale européenne, qui ne spoliera personne». De son côté, George Soros, le financier milliardaire, philanthrope et activiste de la construction européenne, milite pour l’émission de dettes perpétuelles (les États emprunteurs versent des intérêts sans avoir à rembourser le principal). Et, dans le registre de la fiscalité - la source de financement des États une fois épuisées les possibilités d’emprunt - les deux économistes français les plus connus internationalement, Thomas Piketty et Esther Duflo (Prix Nobel d’Économie 2019), plaident pour des hausses d’impôts, dont, horresco referens, le rétablissement de l’lSF en France et son instauration à l’échelle européenne.
L’annulation des dettes publiques a certes très mauvaise réputation: on pense aux emprunts russes répudiés par les Bolcheviques en 1917, à la faillite de l’Argentine en 2001, au défaut de paiement de la Grèce en 2011. Pourtant, une annulation des titres des États détenus conjointement par la BCE et les banques centrales nationales - quelque 2 400 milliards d’euros au total, dont 480 milliards de titres français - ne ruinerait aucun épargnant. Pour s’en convaincre, il faut lire le livre d’Hubert Rodarie, le président de l’af2i (Association française des investisseurs institutionnels), qui n’a rien d’un boutefeu (Effacer les dettes publiques. C’est possible et c’est nécessaire, MA éditions).
Allégement «illégal»
Les titres que la Fed américaine, la Banque du Japon et la BCE ont dans leurs bilans après les avoir achetés en faisant tourner la planche à billets peuvent être effacés sans léser aucun détenteur d’obligation d’État. Pour ces derniers, le préjudice est déjà acté à travers la chute vertigineuse des taux d’intérêt! Pas un investisseur ne serait donc «exproprié» de son bien, contrairement à ce que prétend par exemple le gouverneur de la Banque de France. Il s’agirait d’un simple jeu d’écriture entre la BCE et les États de la zone euro, ne faisant intervenir aucun acteur privé.
En réalité, la BCE, qui porte, avec les banques centrales nationales, 2 400 milliards d’euros de dettes, les a d’ores et déjà «effacées» du circuit économique, car «porter un fardeau» pour autrui revient à «l’enlever», à «l’annuler» de facto. François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, devrait se réciter «Agnus Dei, qui tollis peccata mundi» («Agneau de Dieu, toi qui enlèves les péchés du monde»). La seule différence entre la situation actuelle, où la BCE «porte» comptablement la dette, et une «annulation» juridique serait de clarifier la situation des États auprès des marchés financiers. Un énorme avantage pour la solidité de la zone euro dans son ensemble et l’Italie en particulier.
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Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a sans doute raison de rappeler qu’un tel allégement serait «illégal» au regard du traité de Maastricht, qui prohibe la monétisation des déficits publics. Mais il n’est pas interdit de faire évoluer les traités, même si ce ne serait pas une promenade de santé pour les États de la zone euro.
Annulation de dette, emprunt perpétuel, recours à l’impôt, autant de possibilités techniquement faisables, mais qui soulèvent toutes des difficultés politiques diaboliques. Ainsi notre gouvernement songe-t-il à «cantonner» la dette Covid, à l’isoler du reste, comme cela avait été fait pour la «dette sociale», qui bénéficie d’un financement ad hoc (la contribution au remboursement de la dette sociale, CRDS). Sauf qu’une «contribution Covid» payée par tous serait aux antipodes d’un «impôt Covid sur les riches» dont rêvent les ayatollahs de la fiscalité. Voilà en tout cas le genre de débats bien clivants que nous promet la campagne présidentielle 2022.
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