29/12/2020

Plébiscité et contesté, Amazon boucle une année record

RÉCIT - Si le géant des ventes en ligne a vu son activité et ses profits exploser avec la pandémie, les critiques sont au plus haut. «Le Covid-19 semble avoir été inventé par Amazon.» Lâchée mi-novembre par le patron de la filiale française d’un géant mondial de l’habillement obligée de fermer tous ses magasins, la remarque désabusée résume, mieux qu’un taux de croissance, les performances du géant américain de l’e-commerce en période de pandémie.

Amazon est depuis des années un habitué des croissances folles: ses ventes ont encore progressé de 20 % en 2019. Mais jamais le groupe n’a connu contexte plus propice à l’ensemble de ses activités que cette année. Les confinements décidés partout dans le monde pour endiguer la pandémie ont entraîné la fermeture, des mois durant, des magasins.

Même quand ceux-ci étaient ouverts, la pandémie a incité les clients à commander en ligne plus qu’ils ne le faisaient auparavant. Sur ce terrain, Amazon est roi, leader dans de nombreux pays. Aux États-Unis, sa part de marché approche 40 %. En Allemagne et au Royaume-Uni, convertis à l’e-commerce avant la France, il rafle près d’une vente en ligne sur trois.

«Avec 22 % de part de marché seulement avant la pandémie, la France fait figure d’exception», note Frédéric Valette, directeur chez Kantar. Quand l’e-commerce bondit de moitié en quelques mois, comme ce fut le cas au deuxième trimestre aux États-Unis ou en France, le leader en est le premier bénéficiaire. «2020 a révélé que l’e-commerce est un support essentiel pour les Français et les entreprises qui vendent sur notre site», se félicite Frédéric Duval, patron d’Amazon France.

L’e-commerce n’est pas la seule activité d’Amazon dopée par le Covid. Le groupe propose à ses abonnés Prime un service de vidéos en streaming, pour lequel la demande a été très forte. Confinés ou incités à rester chez eux, les clients ont regardé plus de films et de séries à la maison. Au premier semestre, Netflix a recruté 25 millions nouveaux abonnés dans le monde. Amazon reste, lui, opaque sur le nombre d’utilisateurs de son service Prime Video. Selon Kantar, aux États-Unis, 17% des nouveaux abonnés à un service de streaming vidéo entre janvier et septembre ont choisi Amazon Prime, tandis que Netflix affiche un score de 13%.

Amazon se gave.

Roselyne Bachelot

Non content d’avoir la plus belle vitrine du web à l’heure où les consommateurs se ruent sur l’e-commerce, Amazon triomphe dans le cloud, l’arrière-boutique de tous les services en ligne, dont l’usage a explosé depuis mars avec le télétravail. En 2020, la branche Amazon Web Services (AWS), qui englobe cette activité, a crû de 30 %. AWS a été porté par la forte demande d’entreprises contraintes de faire basculer en ligne leurs outils de travail. Il a aussi profité de la popularité de plateformes comme la solution de visioconférence Zoom ou le service vidéo Netflix, qui reposent sur son architecture cloud. Amazon doit toutefois composer avec la féroce concurrence de Microsoft Azure et de Google Cloud. La croissance d’AWS est moindre qu’en 2019, où elle pouvait frôler les 40 %.

Amazon ne publiera ses comptes annuels qu’en janvier. Mais les trois premiers trimestres donnent un ordre d’idée de l’année exceptionnelle que sera 2020. Le chiffre d’affaires d’Amazon a progressé de 37 % au seul troisième trimestre, à 96,1 milliards de dollars - après une progression de 40 % au trimestre précédent. Son bénéfice net a triplé, à 6,3 milliards de dollars, un record pour le deuxième trimestre consécutif.

Encore ces chiffres ne tiennent-ils pas compte des prime days, du Black Friday et des ventes de Noël, qui constituent chaque année des pics de vente. Si leur ampleur n’est pas encore connue, Jeff Bezos anticipait dès la fin octobre des ventes records. «Nous voyons plus de clients que jamais acheter tôt leurs cadeaux de Noël. C’est un signe parmi d’autres que la saison sera sans précédent», estimait-il.

Pluie de critiques

Pour satisfaire toutes ces commandes, Amazon a recruté cette année comme jamais entreprise américaine n’avait recruté, constate le New York Times. Le groupe de Jeff Bezos a embauché 427 300 employés dans le monde entre janvier et octobre, ce qui porte le nombre de ses salariés à 1,2 million à travers le monde. Un million de salariés le sépare encore de son grand rival aux États-Unis, le distributeur Walmart.

Pourtant, Amazon se serait bien passé de voir les projecteurs à ce point braqués sur lui. «Comme l’e-commerce était le seul moyen de se procurer certains produits, on a parlé de nous un peu plus», commente en un euphémisme Frédéric Duval. Amazon suscite en temps normal de nombreuses critiques - la livraison est accusée de générer de la pollution, l’entreprise de payer moins d’impôts que ses concurrents, ou encore de détruire des emplois dans le commerce physique. Le Covid n’a fait que les intensifier.

Pendant le premier confinement, les critiques se sont concentrées sur les conditions de travail des salariés. En France, une décision de justice a contraint Amazon à ne traiter dans ses entrepôts que les produits essentiels. Amazon a alors choisi de les fermer. S’il a continué de livrer la France depuis d’autres pays, l’e-commerçant a perdu des parts de marché, une première en France… et dans le monde en 2020.

Dans ses entrepôts, la température des salariés est désormais prise à l’entrée, et les équipes ont été divisées par deux pour respecter scrupuleusement les distances de sécurité. Surtout, les instances représentatives du personnel ont été, cette fois, consultées dans les règles de l’art.

Mais lors du reconfinement, fin octobre, c’est un autre grief récurrent qui a resurgi: l’impact délétère d’Amazon sur le commerce physique, et le petit commerce en particulier. Le gouvernement a ouvert un boulevard au géant américain en décidant de fermer les commerces non essentiels à quelques semaines de Noël. «Amazon se gave», a déploré la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, avec sa faconde habituelle. Une pétition signée par des responsables politiques et des personnalités du monde associatif et culturel a appelé les Français à boycotter la plateforme américaine. «Un certain nombre de personnes ont vu en Amazon l’occasion de s’exprimer et de faire passer leurs idées, estime Frédéric Duval. Les expressions de ces groupes sont basées sur des fantasmes. Nous aidons plus de 11.000 TPE et PME françaises à vendre en ligne grâce à notre place de marché.» Un produit sur six vendus sur Amazon est désormais commercialisé par un «vendeur tiers», qui utilise la plateforme et les services du géant américain pour vendre sur internet. Mais, là encore, Amazon suscite les critiques. La Commission européenne, qui accuse l’e-commerçant d’utiliser les données de ses vendeurs tiers pour son propre profit, vient tout juste d’ouvrir une enquête.

«Clients fidèles»

Cette campagne visant à gêner l’insolente progression d’Amazon a-t-elle fonctionné? L’américain a profité de l’explosion des commandes en ligne, mais il n’a pas complètement raflé la mise. Selon la Fédération française de l’e-commerce, la Fevad, ce sont les enseignes dotées de magasins qui ont connu la plus forte progression de leurs ventes en ligne pendant le second confinement: leur chiffre d’affaires en ligne a crû de 175 %, contre 30 % pour les pure players comme Amazon ou Cdiscount. La même tendance a été observée aux États-Unis.

Reste qu’une hausse de 30 % pour un acteur comme Amazon est tout bénéfice, tandis que les commerces fermés n’ont pu, grâce à leurs très bonnes performances en ligne, que limiter la casse. Les chaînes de jouets les plus digitalisées n’ont réalisé que la moitié de leur chiffre d’affaires habituel en novembre. À plus long terme, Amazon dit ne pas être inquiet des critiques récurrentes qui lui sont adressées. «Je ne vois pas d’impact sur notre activité, estime Frédéric Duval. Les clients sont fidèles à notre marque, à notre service. Nous avons réalisé un très bon Black Friday, alors même que les commerces venaient de rouvrir. Nous sommes complémentaires.» Le service client irréprochable d’Amazon est pour l’instant la meilleure arme du géant américain pour conserver sa place de leader.

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