Sous les atours de la modernité, Emmanuel Macron est-il un héritier lointain de Valéry Giscard d’Estaing ? La comparaison entre les deux hommes offre des points communs...
Tous deux ont été élus présidents de la République à un âge relativement jeune (48 ans pour Giscard et 39 ans pour Macron), insufflant une nouvelle vitalité à la vie politique. L’un et l’autre sont énarques, issus de l’Inspection des finances. Ils ont été également ministres de l’Économie avant d’accéder à l’Élysée.
Mais à ce stade de leur carrière, déjà s’impose une première différence. Giscard a pu se prévaloir d’une expérience politique plus dense. Avant de briguer la magistrature suprême en 1974, il avait siégé dans plusieurs gouvernements depuis 1959 et avait conquis des mandats de député, de conseiller général dans le Puy-de-Dôme et de maire à Chamalières.
En revanche, aucune longévité gouvernementale chez Macron, seulement ministre en cours du mandat de François Hollande. Il ne disposait pas davantage d’un quelconque ancrage local. Il a surgi comme un Ovni de la politique en quelques mois en s’appuyant sur une formation bâtie à la hâte, La République en marche, alors que Giscard était adossé à un parti modeste mais ancien, les Républicains indépendants.
Libéraux tous deux, ils ambitionnent de gouverner au centre en voulant adapter la France au monde. Macron sous l’étiquette vague du « progressisme », Giscard sous celle du « libéralisme avancé » souhaitant rassembler « deux Français sur trois » (c’est le titre de son essai paru en 1984 chez Flammarion).
Mais si le premier a fait éclater les vieux clivages politiques en se revendiquant « et de droite et de gauche » et en récupérant des électeurs des deux camps en 2017, le second visait à inverser le rapport de force au sein même de la droite où les gaullistes étaient prépondérants au détriment des libéraux. D’où la fondation de l’UDF en 1978, qui rassemblait autour du Parti Républicain, héritier des Républicains Indépendants, des petites formations de centre droit, avec pour objectif de soutenir la candidature de VGE en 1981. Alors que Macron s’efforce de se positionner au-delà de l’affrontement gauche-droite, Giscard, lui, est resté amarré à la droite.
Appliquent-ils la même politique ? Paradoxalement, Giscard peut s’honorer d’un bilan beaucoup plus flatteur en matière sociétale, bien que lesté d’une majorité conservatrice avec ses gaullistes archaïques. Des réformes comme la majorité à 18 ans, la libéralisation de la contraception, le divorce par consentement mutuel, l’interruption volontaire de grossesse et l’extension du droit de saisine du Conseil constitutionnel sont à porter à son crédit. De son côté, Macron doit se contenter jusqu’à présent de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes.
Il est vrai que l’un et l’autre ont été confrontés à des contextes idéologiques différents. Dans les années 1970, la culture de gauche était dominante en France alors qu’aujourd’hui les valeurs de droite ont le vent en poupe.
Sur le plan économique et social, ces deux libéraux ont dû faire face à des crises d’inégale importance. Certes, les deux chocs pétroliers du septennat de Giscard ont mis un terme aux « Trente Glorieuses » et entraîné une brutale montée du chômage, des fermetures d’usines et le début de la désindustrialisation. Mais en nommant à Matignon, pour la deuxième partie de son septennat, Raymond Barre « le meilleur économiste de France », Giscard a placé à la tête du gouvernement un libéral orthodoxe, adepte intransigeant de la « rigueur » qui s’est bien gardé d’affecter de l’argent public aux secteurs endommagés. En revanche avec la crise sanitaire liée au Covid, Macron a dû diriger, au début de l’année 2020, un pays à l’économie quasiment à l’arrêt pendant plusieurs mois, obligeant le libéral qu’il est à appeler l’État à la rescousse pour soutenir les victimes des dégâts économiques.
Coïncidence troublante, les deux mandats des deux présidents se terminent dans un glissement sécuritaire avec l’adoption de la loi Sécurité et Liberté sous Giscard, et le renforcement des législations de lutte contre le terrorisme, les mesures de confinement liées au Covid et la loi sur la « sécurité globale » qui marquent la politique de Macron depuis quelques mois.
Européens convaincus, Giscard et Macron, n’ont eu de cesse de tenter d’améliorer le fonctionnement de l’Europe sans laquelle ils estiment que la France serait noyée dans la mondialisation. Giscard a impulsé la création des Conseils européens, du serpent monétaire européen, prologue de la monnaie unique. Macron est sans doute le chef d’État européen qui se montre le plus actif sur la scène internationale et il est l’un des artisans du récent plan de relance européen de 750 milliards d’euros. Mais là aussi, le contexte idéologique a beaucoup changé. Dans les années 1970, la Communauté européenne et l’Europe des nations étaient perçues avec sympathie alors qu’aujourd’hui l’Union européenne et l’Euroland souffrent d’un massif désamour.
Dans leur style, les deux hommes apparaissent bien différents : une retenue altière ainsi que des références et des relations aristocratiques chez Giscard, un abord plus jovial et un mode de vie bourgeois chez Macron. Mais un même trait les réunit aux yeux de l’opinion publique : une certaine arrogance. Ils apparaissent comme deux belles mécaniques intellectuelles technocratiques éloignées des préoccupations des Français. Les tentatives de Giscard pour « faire peuple » (dîner chez les Français, petit-déjeuner avec des éboueurs à l'Élysée, accordéon avec Yvette Horner, match de foot à Chamalières) ont vite tourné au ridicule. Quant à Macron, s’il n’est pas tombé dans des artifices de communication aussi grossiers, il heurte souvent les Français dans ses déclarations publiques ou dans ses contacts directs avec eux lors de ses déplacements en province.
La littérature fera-t-elle côtoyer les deux hommes dans la postérité ? Giscard a été admis à l’Académie française. Macron n’a pas encore publié d’œuvre littéraire. Mais son épouse Brigitte affirme qu’elle conserve dans ses tiroirs des livres écrits par son mari avant qu’il ne se lance dans la politique…
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