28/12/2020

Retraites : des décisions douloureuses à venir - Le Point

Le comité de suivi des retraites vient de rendre son avis sur l'état du système, avec plusieurs mois de retard sur le calendrier habituel, en raison de l'incertitude créée par la situation sanitaire sur les comptes. Ce comité, créé sous François Hollande pour tirer la sonnette d'alarme en cas de besoin, estime que la situation n'est pas catastrophique, mais qu'elle nécessitera tout de même des ajustements.

Pas catastrophique parce que les réformes antérieures ont joué leur rôle. Les dépenses publiques de retraite par rapport aux PIB ont été maîtrisées alors qu'elles auraient pu atteindre 20 % du PIB en 2040 si rien n'avait été fait. En 2019, elles étaient contenues à 13,6 %. L'âge de liquidation de la retraite, dans le système actuel, devrait en effet passer à 64 ans en moyenne aux alentours de 2040.

Reste qu'à court terme le déficit du système de retraite va augmenter de façon spectaculaire. Alors qu'il était attendu entre 0,1 et 0,3 point de PIB, il devrait atteindre 1,1 point de PIB en 2020. Les dépenses, elles, vont rebondir temporairement à 15,2 % de PIB, un niveau jamais atteint. « L'effet de court terme est indéniable et sans surprise, un problème de partage intergénérationnel du coût de la crise va se poser, qu'il est impossible d'éluder », peut-on donc lire dans le rapport du comité du suivi, présidé par le grand spécialiste des retraites Didier Blanchet.

Débat entre « techno-optimistes et pessimistes »

À très long terme, cependant, et de façon contre-intuitive, les projections opérées par le Conseil d'orientation des retraites (COR) fin novembre sur le niveau de dépenses de retraites apparaissent, paradoxalement, comme plus favorables que celles de l'année dernière, malgré une perte durable de niveau de PIB à attendre de la crise économique. « À long terme, moins de PIB génère moins de salaires, donc moins de retraites », explique en effet Didier Blanchet. Leur niveau en proportion du PIB devrait donc baisser. À cette explication, il faut ajouter une meilleure prise en compte des mesures d'ajustement des dernières années sur les retraites complémentaires du privé dans les projections. Le COR anticipe par ailleurs une montée des primes dans la fonction publique qui ne sont pas prises en compte dans la base de rémunération des 6 derniers mois pour le calcul des pensions, ce qui ferait baisser le taux de remplacement des retraites des fonctionnaires par rapport à leurs derniers traitements.

Mais ce constat rassurant n'est valable que si les hypothèses de croissance à long terme ne sont pas durablement affectées par la crise. Cela est possible, si la productivité connaît une nouvelle accélération grâce aux nouvelles technologies, notamment du numérique. Cette version « techno-optimiste » est loin d'être la plus probable. La crise pourrait tout aussi bien laisser des traces durables sur la croissance de la productivité, qui n'a cessé de baisser ces dernières années, comme le soulignent les techno-pessimistes. L'éventail des hypothèses économiques du Conseil d'orientation des retraites retenues pour faire ses projections va traditionnellement de 1,8 % d'augmentation annuelle, dans le scénario le plus optimiste, jusqu'à 1 %, dans le scénario le plus pessimiste, avec deux hypothèses intermédiaires à 1,5 et 1,3 %. L'année prochaine, il pourrait ajouter un scénario bien plus pessimiste, comme le recommande le comité de suivi des retraites. Il pourrait ainsi projeter une croissance de la productivité de seulement 0,7 % par an.

Dépenses du système de retraite en pourcentage du PIB en fonction des scénarios de croissance de la productivité du travail  © Comité de suivi des retraites

 

En attendant, l'effet financier de la crise sur le système de retraite français sera à coup sûr plus marqué à moyen terme, à horizon 25 ans. Les prévisions de déficits sont très sensibles aux différentes conventions de calcul, qui opèrent diverses hypothèses sur le niveau de participation de l'État dans le régime de retraite de la fonction publique. Mais, en faisant l'hypothèse que l'État assure chaque année l'équilibre du régime de retraite des fonctionnaires et des régimes spéciaux, le déficit atteindrait en moyenne 0,7 % par an, si la productivité augmente de 1 à 1,3 % par an, les prévisions les plus probables.

« Le comité alerte à nouveau sur ces déficits, comme il le fait depuis 2017 », souligne donc Didier Blanchet. Selon le comité de suivi des retraites, le débat doit porter sur « la vitesse à laquelle il convient de traiter ce problème, et sur la répartition de l'effort d'ajustement ». Faut-il retarder l'âge de départ à la retraite, faire baisser le niveau relatif des retraites ou augmenter la part des prélèvements consacrés à leur financement ? À ces trois leviers traditionnels d'ajustement du système des retraites, le comité de suivi ajoute l'endettement et/ou la ponction dans les réserves du système.

À court terme, il sera difficile de reculer l'âge de départ à la retraite, que ce soit par la durée de cotisation ou l'âge légal, considère le comité de suivi, car le chômage risque d'augmenter avec la crise économique. Si l'augmentation de la durée au travail ne se fait pas, à long terme, au détriment de l'emploi, cela peut en effet d'abord faire augmenter le chômage. Le comité écarte également la possibilité d'augmenter les cotisations, vu la situation des entreprises. Reste le levier du niveau des retraites.

Geler les retraites, avec prudence

Un levier d'autant plus justifiable que le niveau de vie relatif des retraités est plus élevé que celui des actifs, une exception en Europe. « Un argument souvent avancé en faveur de cette mise à contribution est que c'est en premier lieu pour protéger cette population retraitée qu'on a consenti à la chute importante de l'activité économique, dont il faut gérer maintenant les conséquences. Il apparaît normal que les retraités participent à la restauration de l'équilibre, sans qu'il y ait lieu de limiter cet ajustement aux seules générations entrantes, ce qui n'aurait de toute manière que des effets très progressifs », décrit le comité.

Ce dernier propose néanmoins de faire attention et de ne pas aller trop vite. Il suggère de « planifier un tel ajustement sur quelques années, en fonction de ce qui sera observé pour le niveau de vie moyen des actifs », qui pourrait être affecté plusieurs années à cause de la crise. « Un principe directeur pourrait être un principe d'égale transmission des suites du choc aux deux catégories », écrit-il, tout en soulignant la nécessité d'épargner les personnes aux revenus les plus modestes, « probablement par des applications différenciées de la sous-indexation par niveau de pension, comme cela avait été déjà prévu et mis en œuvre en 2020, indépendamment du déclenchement de la crise ». Le reste du déficit pourrait être assumé par endettement ou par recours aux réserves financières du système.

Pas envisageable de recourir à la dette

À moyen terme, il faudra toutefois prendre d'autres mesures. « S'il est admissible qu'un choc d'une telle ampleur soit en partie géré par l'endettement, celui-ci ne saurait constituer une solution durable au déséquilibre entre dépenses et ressources, prévient le comité. Un financement durable par la dette (…) reviendrait à faire systématiquement payer une partie des retraites de chaque période non pas par les cotisations du moment, mais par les cotisations futures ou toute autre forme de prélèvement à venir », justifient les experts.

Pour eux, « un report répété d'une part de la charge des retraites du moment sur les générations futures pourrait à la rigueur s'envisager dans un monde qui offrirait la garantie d'une croissance permanente soutenue offrant à chaque génération une aisance financière et donc une capacité à payer toujours plus élevée qu'aux précédentes ». Mais ils notent que « tel n'est pas le cas dans un monde de croissance lente, génératrice d'un très faible sentiment d'amélioration tendancielle du bien-être, a fortiori lorsqu'on sait qu'une part importante des bénéfices de cette croissance future va devoir être affectée à la satisfaction d'autres urgences collectives, dans le domaine social comme dans le domaine environnemental ».


On pourrait être tenté de se dire que ce serait le moment de financer le trou des retraites facilement grâce aux taux d'intérêt négatifs auxquels la France emprunte, mais ce serait faire fi des risques de remontées de ces taux à moyen terme.

De la place pour reculer l'âge de départ

Il faudra donc à nouveau jouer sur les leviers traditionnels d'ajustement du système de retraite : le taux de cotisation, l'âge de départ en retraite ou le niveau des retraites. Il revient évidemment aux politiques d'opérer ces choix. « Le débat à avoir, c'est de se demander est-ce que les dépenses de retraites sont au bon niveau socialement  ? Si la réponse est oui, alors il faut augmenter les ressources du système. Faut-il, au contraire, les faire redescendre un peu parce qu'on a besoin d'argent par ailleurs ? » expose Didier Blanchet.

Si le recul de l'âge a déjà été beaucoup mobilisé, cela n'a pas entamé la durée moyenne passée en retraite, remarque le comité, puisque l'espérance de vie continue d'augmenter. Et, contrairement à ce qu'on entend souvent, « le rapport du COR indique que, sur la dernière décennie, non seulement les années de vie gagnées l'ont plutôt été en bonne santé, mais qu'il y a même eu un léger recul des années passées avec limitations d'activité modérées ou sévères ».

Selon le comité, des mesures en ce sens pourraient donc être prises dès l'automne prochain, à l'occasion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2022 ou « pour les exercices suivants ».

Dans un communiqué, le Premier ministre, Jean Castex, fait montre d'une extrême prudence. « Le gouvernement prend note de l'ensemble de ces observations, qui aideront à nourrir le moment venu le dialogue social sur la stratégie de redressement du système de retraite, en vue de préserver notre système par répartition et de garantir les revenus des retraités, dans un esprit de lisibilité pour les assurés, et d'équité à la fois inter et intragénérationnelle », écrit-il. Ce qu'on peut appeler une jolie langue de bois.

 
Soure Le Point  par Marc Vignaud

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