13/12/2020

Macron = Monarc: Emmanuel Macron, la tentation du retour au peuple


Gérard Larcher sait s'y prendre pour piquer à vif Emmanuel Macron. « Vous en êtes à 206 ordonnances en trois ans. À part la période de la guerre d'Algérie et celle de la création de la Ve République, vous êtes parmi les recordmen ! » l'a défié dans le huis clos de leur tête-à-tête du 6 novembre le président du Sénat (LR), qui aime à se présenter comme le « chef syndicaliste du Parlement libre ». En cause, l'inflation de cette procédure qui permet au gouvernement de prendre des mesures en lieu et place des députés et sénateurs.

François Hollande y avait aussi eu recours massivement, mais l'attaque vient cette fois appuyer le procès en césarisme fait par l'opposition au chef de l'État en ces temps de pandémie. C'est l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon qui dénonce une dérive vers « un régime autoritaire ». Ou l'écologiste Yannick Jadot, autre aspirant à sa succession, qui s'alarme d'un « burn-out démocratique » et l'accuse d'avoir « fait de l'Élysée une tour de contrôle unique » où il déciderait seul, « avec le secrétaire général Alexis Kohler et le directeur de cabinet du Premier ministre [Nicolas Revel, NDLR], du destin de la France et de savoir si la boulangère d'un village de l'Aisne va pouvoir ouvrir ». « Macron n'aime pas partager le pouvoir. Dès qu'il a eu à le faire avec Édouard Philippe, il l'a viré ! Il pense que la légitimité du suffrage universel lui confère tous les droits. Pour lui, les élus locaux sont justes bons à gérer les crèches », mitraille encore un pilier du Sénat. Qu'on y songe : lequel de ses prédécesseurs s'est retrouvé contraint d'enfermer sa population et de lui infliger de telles restrictions des libertés ? Au soir de Noël, la France sera depuis neuf mois sous le régime exceptionnel de l'état d'urgence sanitaire. Les élections régionales et départementales ont dû être reportées de mars à juin, comme le second tour des municipales. Et les conseils de défense confidentiels s'enchaînent à un rythme soutenu, décidant du moindre détail, des jauges dans les églises aux tablées du réveillon. Cela fait-il pour autant de Macron un dangereux autocrate ?

« Macron = Monarc »

Le procès couve depuis le début du quinquennat, tant ce président élu à 39 ans a joué des symboles monarchiques et de la posture jupitérienne, de la marche du Louvre aux réceptions au château de Versailles. Au pic de la crise des Gilets jaunes, une anagramme avait fini par fleurir sur les murs et les pancartes : « Macron = Monarc ». « Jupiter lui a fait plus de mal que la com de Sibeth Ndiaye… » soupire un intime du président. Ce reproche en dérive autoritaire exaspère l'Élysée, qui ne manque pas de rappeler qu'il avait toute latitude de recourir en mars, quand il a décrété la « guerre » au coronavirus, à la disposition la plus autoritaire de la Constitution : l'article 16, qui lui octroie les pleins pouvoirs. « Nous sommes le pays des droits de l'Homme », avait alors écarté Macron, soucieux que le Parlement soit consulté à chaque étape de la crise. C'est le cas, puisque le Parlement est saisi à chaque prolongation de l'état d'urgence, toujours limité dans le temps, même si le gouvernement a pu se montrer cavalier en donnant le sentiment de faire parfois peu de cas de l'avis des élus.

De même les travaux de l'Assemblée et du Sénat n'ont-ils jamais été suspendus pour cause d'épidémie, comme ce fus le cas cet été en Australie, et les manifestations ont pu se tenir dans les rues. Quant aux conseils de défense, ils donnent systématiquement lieu à des conférences de presse pour en expliquer les décisions. C'est aussi, fait valoir Macron, une façon de protéger le Premier ministre et son gouvernement face au risque pénal, en endossant lui-même les décisions et en les couvrant par le secret-défense. S'agissant des ordonnances, enfin, nul n'est pris en traître : dans sa campagne, il avait clairement manifesté son intention d'accélérer la procédure parlementaire, « trop lente » à ses yeux. Enfin, ses proches ne se privent pas de rappeler qu'il a été « très seul » à défendre la liberté d'expression et le droit au blasphème après l'attentat contre Samuel Paty, au prix de menaces de mort sur sa personne et ses proches. Alors, Macron, un dictateur ? « Un gros mensonge ! On n'est pas la Hongrie, la Turquie ou autres ! » a-t-il tempêté chez Brut, où il s'était invité pour doucher les accusations de dérives liberticides nées de la polémique autour de l'article 24 de la proposition de loi dite sécurité globale et des images choquantes du tabassage du producteur de musique Michel Zecler.

« Qu’est-ce que tu te fais chier à avoir 30 ministres ? »

Emmanuel Macron n'ignore pas la critique, cependant. Il sent bien que le consentement aux mesures de restrictions a baissé. Empêcher Noël, il le sait, ce serait courir le risque d'un mouvement de rébellion. Lors d'un récent conseil des ministres, il a expliqué qu'il ne voulait pas imposer de troisième confinement aux Français. « Le gouvernement s'est déjà fait très peur avec la fronde des petits commerçants… » souffle un macroniste, qui a cru assister aux prémices d'un nouveau mouvement poujadiste. À dix-sept mois de la présidentielle, ce questionnement récurrent sur l'état de la démocratie taraude son camp. Car tout porte à croire que le fossé entre le peuple et ses élus s'est creusé. Selon un sondage OpinionWay pour la Fondapol publié en octobre par Le Figaro, 79 % des Français seraient prêts à émettre en 2022 un vote protestataire, à voter blanc ou nul. « On est arrivé au bout d'un cycle politique et démocratique. On est à deux doigts de la crise de régime : trop d'élus, trop de parlementaires. C'est une République bananière ! Tous ces hôtels particuliers décatis où il n'y a rien derrière, c'est grotesque… Il faut refonder nos institutions. Le président est bien conscient de ça. Ce sera un des grands enjeux de 2022 », insiste un ministre.

Lire aussi Coignard – Macron est-il prêt à nous « voler Noël » ?

Porté au pouvoir par une vague dégagiste et sur la promesse d'engager une « révolution démocratique », Emmanuel Macron n'a pas à ce jour à son actif de grande mesure de nature à réconcilier le pays avec ses représentants. Sa réforme des institutions est encalminée, faute d'accord avec le Sénat. Enterrée, la réduction d'un tiers du nombre de parlementaires. Oubliée, sa promesse de 2017 de généraliser le vote électronique pour lutter contre l'abstention. Dynamité, l'engagement de constituer un gouvernement resserré d'une quinzaine de ministres. L'équipe Castex en compte 43, loin certes du record de Michel Rocard en 1988 (49). Donald Trump lui-même avait un jour vivement interpellé son homologue français, rapporte un ministre : « Qu'est-ce que tu te fais chier à avoir 30 ministres ? » Les experts en Absurdie, enfin, se délecteront à relire le programme du candidat En marche !, qui déclarait la guerre à la « bureaucratie gouvernementale et parlementaire »…

« Machine à perdre »

Accusé d'avoir trop longtemps méprisé les corps intermédiaires (élus locaux, partenaires sociaux, médias), le président saupoudre désormais ses décisions de « collectifs citoyens » et de Français tirés au sort : ce fut le grand débat national après les Gilets jaunes, la convention citoyenne sur le climat, le collectif citoyen chargé d'éclairer le gouvernement sur les vaccins contre le Covid-19, ou encore ces jours-ci les « citoyens » appelés à travailler sur le Beauvau de la sécurité pour réconcilier les Français avec les forces de l'ordre. Des gadgets, méprisent ses détracteurs. Qui oublient que Macron a d'autres atouts, majeurs, dans sa manche. Selon sa garde rapprochée, le président réfléchit en effet activement à l'idée de revenir au peuple en consultant les Français par référendum sur les questions écologiques, afin d'introduire dans la Constitution les notions de biodiversité et d'environnement. Un engagement pris en juin devant les 150 membres de la convention citoyenne sur le climat, qui suppose toutefois que l'Assemblée et le Sénat adoptent préalablement le texte dans les mêmes proportions, avant que les Français soient appelés aux urnes. « Ce pourrait être en septembre », précise un ténor de la majorité. « Il est très tenté de le faire », confirme un fidèle, tandis que d'autres s'inquiètent d'une « machine à perdre » à quelques mois de la présidentielle. On sait ce qu'a coûté à Jacques Chirac le non au référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne, qui a terni la fin de son mandat.

Lire aussi Coignard – Convention citoyenne : les dangers du « sans filtre »

Une autre option est dans les cartons : celle d'instituer la proportionnelle intégrale pour les élections législatives afin d'améliorer la représentativité du Parlement. Cela accroîtrait la place à l'Assemblée de partis sous-représentés par rapport à leur poids électoral, comme le Rassemblement national, La France insoumise ou EELV. « Pour le RN, c'est un outil formidable de victimisation », constate un pilier de la majorité. Mis en œuvre aux législatives de 1986, ce mode de scrutin avait fait entrer 35 députés FN et permis à François Mitterrand de diluer la défaite de la gauche. De quoi inspirer un Macron que certains imaginent réélu, mais sans majorité à l'Assemblée. « Rien n'est arbitré. Si on le fait, il faut une loi avant juin », décrypte un ministre, qui rappelle la jurisprudence selon laquelle on ne change pas un mode de scrutin moins d'un an avant une élection. « Il faut un consensus », achève un proche du président. La proportionnelle était une promesse faite à François Bayrou en 2017, en échange de son soutien. Au MoDem, on attend cette réforme de pied ferme pour redonner de l'oxygène à un système institutionnel embolisé. Un responsable centriste met en garde : « Les dangers qui pèsent sur notre démocratie sont au moins aussi graves et urgents que le Covid-19. Attendre 2022 pour engager ces réformes, c'est prendre le risque que notre démocratie ne soit déjà plus en réanimation, mais à la morgue ! »

 

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