26/12/2020

Climat : « La crise à laquelle doit faire face notre génération est existentielle », explique l’activiste Camille Etienne

Une autre Greta Thunberg ... A 22 ans, Camille Etienne est une figure montante de l’activisme pour la justice sociale et climatique : « notre génération a compris que c’est une société entière qu’il s’agit de faire advenir et que c’est tout notre rapport de domination au monde – de l’humain sur la nature, de l’homme sur les femmes, des plus riches sur les plus pauvres, des majorités sur les minorités – qu’il faut arriver à bousculer », explique celle qui assure « qu’elle ne se bat pas du tout pour les générations futures, ni pour un demain » « mais contre ce qui se passe aujourd’hui ».

Porte-parole du collectif « On est prêt » qui produit des vidéos de vulgarisation scientifique, elle a également créé le duo artistique « Pensée Sauvage » qui a réalisé la vidéo Réveillons Nous qui a enregistré des millions de vues après le premier confinement.
Elle revient pour 20 Minutes sur une année d’activisme tourbillonnante qui l’a propulsée parmi les « 50 Françaises qui ont fait 2020 » selon le magazine Vanity Fair

Une énergie qui frappe au premier regard. Mi-décembre, on rencontre Camille Etienne, manteau bleu et regard pétillant, autour d’une table de Ground control, ce lieu culturel du 12e arrondissement de Paris déserté et à demi plongé dans l’obscurité pour cause de crise sanitaire. La jeune activiste de 22 ans, porte-parole du collectif « On est prêt », doit y enregistrer une émission TV. Quelques jours plus tôt, elle animait des tables rondes pour le Festival du cinéma des Arcs. Un planning surchargé à l’image des derniers mois qui l’ont vue émerger comme l’ une des « 50 Françaises qui ont fait 2020 » selon Vanity Fair. Profitant d’une césure avant son Master 2 à Sciences Po Paris, la Savoyarde, est partout :   la vidéo « Réveillons nous » de son duo artistique Pensée sauvage a cumulé plus de 15 millions de vues depuis sa mise en ligne en mars, son passage chahuté à l’Université d’été du Medef a fait le buzz et ses actions militantes contre la PAC lui ont permis de rencontrer des leaders européens ou d’échanger sur Twitter avec des membres du gouvernement. Elle revient pour 20 Minutes sur cette année tourbillonnante où l’activisme pour le climat et la justice sociale se mêle à l’expression artistique.

A quoi ressemble votre quotidien depuis le début de la pandémie ?

J’étais déjà activiste avant la pandémie mais tout s’est accéléré avec le succès de la vidéo que j’ai tournée avec mon meilleur ami avec qui j’étais confinée. Puis après l’épisode du Medef​, j’ai commencé à être plus médiatisée. Depuis, je partage mon temps entre un tiers d’apprentissage (lire des rapports, échanger avec des experts…), un tiers de lobbying grand public en publiant des vidéos de vulgarisation scientifique ou en intervenant dans des médias, des conférences, et un tiers de lobbying direct, moins visible, de coordination avec des ONG, auprès d’acteurs et de grands décideurs. C’est un travail qu’on fait surtout au niveau européen avec Adelaide Charlier, Anuna De Wever, Greta [Thunberg] et Luisa [Neubauer]

Vous évoquez souvent le rôle de ces jeunes femmes à vos côtés : est-ce que l’activisme écologique vient rejoindre un combat féministe ?

Oui, il n’y a pas qu’une seule façon d’être activiste sur le terrain, mais c’est vrai que parmi les jeunes médiatisés qui font du lobbying direct, il y a beaucoup de nanas. Nous avons en commun d’être des femmes privilégiées – on peut louper l’école parce qu’on a accès à l’école et on a une place de cerveau disponible pour se pencher sur ces questions parce qu’on ne doit pas faire cinq jobs à côté pour payer nos études – et du coup avec ce privilège vient cette responsabilité. Mais notre génération a aussi compris que c’est une société entière qu’il s’agit de faire advenir et que c’est tout notre rapport de domination au monde – de l’humain sur la nature, de l’homme sur les femmes, des plus riches sur les plus pauvres, des majorités sur les minorités – qu’il faut arriver à bousculer. On a bien compris le lien entre toutes ces causes et c’est pourquoi la convergence de luttes revient à la mode.

Ne craignez-vous pas que la cause écologiste passe aujourd’hui au second plan derrière les préoccupations sanitaires et économiques ?

Pas du tout. Il est vrai que la pandémie a servi de prétexte pour retarder certaines mesures proposées par la convention citoyenne pour le climat, notamment. Mais les gens ont pris conscience que dans notre système mondialisé, on peut vivre les conséquences de catastrophes beaucoup plus vite que ce que l’on pensait. Si on nous avait dit il y a un an qu’on allait tous porter des masques et être confinés, personne n’y aurait cru. Désormais cela leur paraît moins un épisode de Black Mirror et nous autres activistes sommes moins pris pour des fous. La deuxième chose qu’on a vue, c’est la capacité de réponse des gouvernements : en 24 heures, on a cloué des avions au sol, on a interdit à des entreprises de vendre… Quand une menace pèse sur nous, il est donc possible de prendre des décisions. J’espère que face à la menace encore plus grande qu’est celle du réchauffement climatique, les gens ne vont plus accepter l’excuse qui consiste à dire : « c’est trop compliqué, c’est une grande machine, on ne peut pas l’arrêter », ils vont comprendre que ce sont des choix politiques et de la volonté, et que leur attente va être un peu plus forte.

Les subventions versées aux secteurs aérien et automobile ou la ruée dans les magasins à leur réouverture ne vous font pas douter de cette prise de conscience ?

Ça aurait pu être l’occasion comme l’a dit Edgar Morin « de retrouver cette communauté de destin » et de se dire à quel point on est lié, même si on est dans une société hyperindividualiste. On a du pouvoir quand on fait des choses : quand je ne porte pas de masque, j’ai un impact sur la vie de l’autre qui est plus fragile. Et de la même façon, le fait que je ne mange pas de viande va avoir un impact sur les gens au bout du monde qui vivent les conséquences du réchauffement climatique et qui sont aussi les plus précaires. Peut-être que je suis optimiste, mais je pense qu’on se rend compte un peu plus de ça, et que le niveau de révolte est monté. On le voit dans toutes les luttes sociales, il y a un ras-le-bol généralisé.

Emmanuel Macron a annoncé un référendum pour inscrire la lutte pour le climat dans la Constitution. Est-ce une réelle avancée ?

C’est vraiment l’arbre qui cache la forêt. Il faut qu’on soit capables en tant qu’activistes de reconnaître quand il y a des bonnes choses. Et sans cette convention citoyenne, jamais il n’y aurait eu une mesure aussi forte, donc c’est important. Le problème c’est qu’il s’était engagé à faire passer sans filtre les propositions des citoyens. Et là, ce n’est absolument pas le cas : il est en train de revoir l’intégralité des mesures (l’interdiction de la publicité sur les produits polluants a été totalement mise sous le tapis, tout comme la baisse de la TVA sur les trains). La politique, comme l’économie, repose sur la confiance et là, en tant que président, s’il ne tient pas sa parole, c’est extrêmement dangereux si près de la présidentielle.

Vous venez d’animer des débats avec des cinéastes, musiciens, auteurs, au festival du cinéma des Arcs. Pour vous, l’art et l’activisme sont inséparables ?

Au lieu de montrer seulement ce qu’on doit fuir, il faut être capable de montrer ce vers quoi on doit aller, ce fameux monde de demain. Pour moi les artistes, les raconteurs d’histoires ont cette capacité. Ils ont aussi la capacité de nous faire rêver, de faire du beau, de montrer des choses vivantes dans un monde qui s’effondre et qui se meurt. Il n’y a que les artistes et les activistes qui sont assez fêlés pour continuer à y croire encore !

Mon collectif Pensée sauvage vient de recevoir le soutien du CNC Talents pour cinq courts-métrages qui essaient de sensibiliser sur des sujets comme la fonte des glaces. Avec de la danse, du cinéma, de la fiction pour faire descendre de la tête au cœur et faire en sorte qu’on puisse agir par l’art.

Dans votre vidéo vous invitiez les jeunes à ne pas laisser leur avenir dans la main d’une « poignée de boomers ». Craignez-vous qu’un clivage générationnel se creuse autour de la préservation de l’environnement ?

On a beaucoup voulu m’enfermer dans ce clash des générations, mais selon moi chaque génération doit faire face au défi de son temps. On ne va pas faire la compétition de qui a eu la vie la plus pourrie. Je sais qu’il y a beaucoup de personnes âgées qui se mobilisent aussi, mais toujours est-il que la crise à laquelle doit faire face notre génération est existentielle, parce que pour nous c’est la possibilité même d’avoir un avenir qui est incertaine. On a besoin de leur expérience et de leur sagesse pour nous aider, pas pour s’entendre dire « débrouillez-vous avec ce qu’on vous a laissé »

Ressentez-vous l’écoanxiété au quotidien ou bien agir vous aide ?

Un peu les deux. Toutes les filles extrêmement mobilisées que je côtoie sont très sensibles. Et même si on doit avoir l’air hyper « badass », fortes et stoïques devant de grands décideurs, en réalité on est des cœurs d’artichaut. Mais c’est parce qu’on a cette très grande sensibilité au monde qu’on est capables de le prendre très à cœur et même de s’oublier parfois dans cette lutte. Maintenant je pense que l’espoir est dans l’action et le fait de consacrer ma vie et mon énergie – parce que j’ai ce privilège-là bien-sûr – me permet de me dire que dans tous les cas je n’aurai aucun regret. Si je meurs dans un an je ne changerai rien dans mon quotidien. Et je serai fière de me dire que j’étais partie du côté de ceux qui se sont battus.

Quel regard portez-vous sur certains courants écologistes comme la « collapsologie » qui estime que la catastrophe est irrémédiable ?

Je ne pense pas qu’on vivra un seul effondrement : en 2050 ; il n’y aura pas un lutin qui nous dira « désolé l’humanité est morte » ou « super, vous avez réussi ». On est en train de vivre la sixième extinction de masse, il y a des gens qui meurent de la pollution de l’air, il y a déjà des migrants climatiques. Donc ça vaut le coup de se battre contre ce qu’il se passe aujourd’hui et on verra demain ce qu’il en est. Les survivalistes sont dans une démarche très individualiste et reproduisent le problème de notre société aujourd’hui qui est de ne penser qu’à soi. Je pense au contraire qu’il va falloir que la valeur du partage sorte de sa désuétude. On a un certain nombre de ressources limitées qu’on a voulu consommer de manière illimitée. Cela veut dire qu’on en a volé à d’autres et qu’en dépassant les limites planétaires, on va le payer. On n’a pas d’autres choix aujourd’hui que de partager.

Vous avez encore de l’espérance ?

Oui, parce que le monde de demain, c’est ce qu’on en fait aujourd’hui. Les graphiques des scientifiques nous montrent des projections. Mais ce qu’on décide de faire nous appartient. C’est possible d’inverser l’histoire extrêmement rapidement. C’est possible de faire tomber le mur de Berlin en un jour. Il faut juste qu’on se réveille vraiment et qu’on s’active. C’est possible si on décide de le faire massivement et radicalement

L’engagement individuel ne suffira pas ?

Non, une étude du cabinet Carbone 4 explique que même si tous les Français devenaient 100 % écolo, on ne réduirait nos émissions de gaz que de 25 %. Prendre conscience, décider d’agir, renoncer à plein de choses prend du temps. J‘y travaille bien sûr, parce que si c’est choisi c’est beaucoup plus facile et agréable que si c’est subi, mais on manque de temps. Des décisions radicales devront être impulsées et on n’a pas d’autre choix que de pousser à un mouvement collectif.

Après vos études, quel avenir professionnel envisagez-vous ?

Aujourd’hui, je gagne ma vie en faisant des conférences, des cours, des vidéos, j’écris un livre, mais pour moi l’activisme ne doit pas être un métier, ça doit être un rapport au monde à la portée de tous. Dans mon rêve absolu, je voudrais être actrice pour faire du théâtre. On me demande souvent si je veux faire de la politique, mais je ne me sens pas les épaules : pour représenter quelqu’un de plus grand que soi, il faut avoir vécu quelques trucs avant. Ma génération ne se reconnaît pas forcément dans la politique qui se fait dans l’hémicycle, mais j’y passerai sans doute à un moment quand même. Je continuerai toujours à me bouger pour que le monde aille mieux, c’est une nécessité et non un choix donc jusqu’à ce que je fasse un burn-out ou que le monde aille mieux, je n’arrêterai pas

A quoi ressemble le Noël d’une activiste écologiste ?

Je suis dans une famille où ils font tous l’armée et il y a des chasseurs, donc on a des débats intéressants (rire) ! Mais j’ai de la chance que ce soit très ouvert, donc je peux avoir mon faux gras à côté du foie gras. Et côté cadeaux, on fait des Secret Santa où chacun pioche le nom de la personne à qui il doit faire un cadeau. Donc on n’a pas une montagne de choses. Je ne les emballe pas dans du papier mais du tissu et j’adore offrir des livres, mais aussi des expériences, des moments. Offrir des billets pour des concerts ou des restaurants c’est un bon moyen de les soutenir pour quand ils rouvriront.

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