08/12/2020

Le coup de pression de Veolia pour intimider l'économiste Elie Cohen

Vendredi 4 décembre, à 20 heures, au moment de passer à table, on sonne à la porte du domicile de l’économiste Elie Cohen. Son épouse ouvre et, surprise, se retrouve nez à nez avec un huissier. Il lui remet en main propre une sommation interpellative pour son mari. Elle lui est adressée par Veolia et laisse 48 heures au directeur de recherche du CNRS pour s’expliquer sur ses liens avec Suez.

« Je vous rappelle que vous vous êtes récemment exprimé dans les médias à propos de l’opération en cours Veolia/Suez », commence le courrier. Elie Cohen est en effet l’un des rares spécialistes d’économie industrielle. Il a été membre de plusieurs conseils d’administration, consulté par tous les gouvernements et on l’interroge très souvent sur les rapprochements d’entreprises ou sur les projets de telles ou telles sociétés. Il est un des invités réguliers de l’émission « C dans l’air » sur France 5.

« Or, à l’occasion de ces interventions médiatiques, vous vous êtes présenté en qualité de directeur de recherche au CNRS, sans autre précision », poursuit le courrier, qui enchaîne sur la « sommation » à répondre, sous 48 heures.

« ÊTES-VOUS, directement ou indirectement, LIÉ À SUEZ SA OU L’UNE DE SES FILIALES OU SOUS-FILIALES aux termes d’un accord, de quelque nature qu’il soit, écrit ou oral ? AVEZ-VOUS PERÇU OU POURRIEZ-VOUS PERCEVOIR, directement ou indirectement, une quelconque somme d’argent, et notamment une rémunération, un avantage, un remboursement au titre de cet accord ? Votre réponse […] devra être adressée […] à juridique.sommations@veolia.com. »

L’économiste, qui n’est pas lié à Suez, mais juge que le projet de fusion que pousse Veolia, pressé d’avaler son concurrent, ne sert ni l’intérêt général ni celui des deux entreprises, a été extrêmement surpris de ce courrier. Blessé que l’on mette en doute son intégrité. Et outré par une pratique qui semble tout droit sortie d’une série américaine mais que l’on n’a jamais vue en France.

« Sommation bâillon »

Conseillé par Me Patrick Klugman, il a vertement répondu à Antoine Frérot, le PDG de Veolia. « Ce n’est pas tant la question posée qui m’est difficile que la méthode employée pour me l’adresser qui s’avère insultante pour moi et véritablement inquiétante venant de la part de la société Veolia », s’offusque-t-il.

« Transparence pour transparence, pourriez-vous m’expliquer dans le même souci, comment avez-vous obtenu mon adresse privée et, surtout, ce qui vous autorise à m’y sommer, par huissier de justice, nuitamment, une veille de week-end de répondre à une réquisition privée, sans même avoir pris la peine de la soumettre à l’autorité judiciaire ? », poursuit-il.

Pour l’économiste et son avocat, la manœuvre est très claire : il s’agit d’« une tentative d’intimidation […], une première, visant à entraver la liberté de critique, d’analyse, et donc d’expression sur une opération économique majeure d’intérêt public ».

Jamais, en effet, Veolia n’a utilisé les voies classiques, comme le droit de réponse, pour rectifier ou préciser les affirmations de l’économiste.

Interrogé par L’Obs, le directeur de la communication de Veolia, Laurent Obadia, assume : « Qu’Elie Cohen s’indigne, on lui a posé une question simple, que le débat soit posé. Et que l’on se souvienne de cette sommation quand il prendra la parole. » Il rappelle que la sommation a été faite « à froid », après le rachat de la participation d’Engie et pas à un moment où le jeu d’influence des uns et des autres est le plus fort. Preuve, pour lui, qu’il ne s’agit pas d’intimidation.

Elie Cohen n’est pas la seule victime des étranges méthodes du leader mondial de l’eau et des déchets. Lundi 7 décembre, dans la journée, Julien Icard, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas et spécialiste du droit social, qui a répondu aux questions d’une journaliste, a lui aussi fait état de la même sommation reçue de la part de Veolia.

« Veolia a inventé la sommation bâillon », regrette Me Patrick Klugman. Elie Cohen dénonce une « dérive incompatible avec les valeurs que l’on peut attendre de la part d’une grande entreprise du CAC 40 ». Celle d’une société qui pensait faire très vite la fusion du siècle. Pendant l’été, Antoine Frérot a mené une guerre éclair pour acheter à Engie sa participation de 30 % dans Suez et convaincre les pouvoirs publics qu’un géant mondial allait naître de l’opération qu’il voulait amicale.

Il avait sous-estimé la pugnacité des dirigeants de Suez et de son conseil d’administration, qui opposent à Veolia une vision stratégique très différente. Il n’avait pas non plus imaginé l’hostilité des syndicats et des salariés qui craignent des redondances et, surtout, celle des maires, qui s’interrogent : faute de concurrence, ne vont-ils pas se retrouver confrontés, sans option, à des hausses de tarifs sur l’eau ou sur le traitement et ramassage des déchets, ce qui n’est jamais populaire ?

Veolia est maintenant « collé » avec sa participation dans Suez, après avoir fait un gros chèque à Engie, et sans issue ou de collaboration possible avant plusieurs mois. Ce qui bouche l’horizon des deux groupes, à un moment où l’épidémie de Covid-19 ne simplifie pas la vie des entreprises.

La réponse d’Elie Cohen à Veolia :



Source l'OBS Par Sophie Fay

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