Reste désormais à éplucher les quelque 2 000 pages du traité commercial – encore non publiées –, essentiellement pour déterminer les implications futures. Et, au passage, dégager un « gagnant ». Pour l’économiste Henri Sterdyniak, à première vue, c’est le Royaume-Uni qui ressort vainqueur du bras de fer : « la Grande-Bretagne apparaît comme la gagnante de cet accord », a réagi le chercheur, spécialiste du Brexit à l’Observatoire français des Conjonctures économiques (OFCE), auprès de « l’Obs ».
Ce
qui n’empêche pas l’Union européenne et le Royaume-Uni de jouer des
coudes pour se présenter comme le plus ragaillardi par l’accord. Tandis
que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen,
tenait une conférence de presse, le gouvernement britannique dégainait
un communiqué, clamant :« Tout ce qui a été promis au public
britannique lors du référendum de 2016 et lors des élections générales
de l’année dernière est livré par cet accord. Nous avons repris le
contrôle de notre argent, de nos frontières, de nos lois, de notre
commerce et de nos eaux de pêche. »
Et de poursuivre : « Nous avons signé le premier accord de libre-échange basé sur zéro droit de douane et zéro quota jamais obtenu avec l’Union européenne. C’est le plus grand accord d’échanges couvrant un marché évalué à 668 milliards de livres en 2019 [743 milliards d’euros, NDLR]. » Dans la foulée, le Premier ministre britannique Boris Johnson partageait une photo tout sourire :
En face, Ursula von der Leyen assure que « c’est un très bon deal », que « la concurrence dans le marché unique restera équitable et équilibrée, [et que] les règles et normes de l’Union européenne seront respectées. Nous avons des outils efficaces pour réagir si une concurrence loyale est faussée et affecte notre commerce ». Et de garantir « cinq ans et demi de prévisibilité totale pour nos pêcheurs », en référence au principal point d’achoppement entre Londres et Bruxelles, les eaux anglaises très poissonneuses.
Un système de quotas annuels de pêche, répartis entre Européens et Britanniques, est ainsi calibré jusqu’à la mi-2026, et au total l’Union renonce à 25 % de sa valeur de pêche. Les prises dans les eaux britanniques pèsent pour 650 millions d’euros chaque année. Au total, un quart du volume des prises françaises provient de ces eaux (et environ 20 % de la valeur). Cette dépendance est encore plus forte pour la Belgique (50 % de ses prises en valeur), l’Irlande (35 %), le Danemark (30 %) et les Pays-Bas (28 %).
Londres, vainqueur du Brexit
Sur l’ensemble du deal, une analyse interne au gouvernement britannique, relayée par le blog de droite Guido Fawkes et reprise par l’agence Bloomberg, mais aussi évoquée par le « Guardian », vante « deux fois et demie plus de victoires pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne ». Sur soixante-cinq volets clés listés par le document, Londres et Bruxelles se sont accordés sur des compromis pour 26 d’entre eux (40 %), et le Royaume-Uni aurait eu le dernier mot sur 28 d’entre eux (43 %). Bloomberg voit dans cette note la volonté de Boris Johnson de convaincre largement que le deal obtenu est favorable au Royaume-Uni – plusieurs députés pro-Brexit se méfient de tout accord avec l’Europe.
Reste qu’un décompte des points ne signifie pas pour autant que l’Union européenne a perdu au change. Tout dépend, en réalité, de l’importance de chaque volet. Et, dans le détail, Bruxelles l’emporte sur de nombreux secteurs économiques sensibles. Par exemple, ceux travaillant dans le secteur des services (80 % de l’économie britannique) ne verront plus leurs qualifications professionnelles automatiquement reconnues dans l’Union européenne. Certaines professions comme le conseil ou la comptabilité auront donc plus de difficultés à vendre leurs expertises en Europe.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors d’une conférence de presse annonçant un accord sur les relations post-Brexit, le 24 décembre 2020, à Bruxelles. (FRANCISCO SECO / AFP)
Pour autant, « la Grande-Bretagne apparaît comme la gagnante de cet accord », estime Henri Sterdyniak, spécialiste du Brexit à l’OFCE, interrogé par « l’Obs ». « Le Royaume-Uni réussit à sortir de l’Union dans des conditions satisfaisantes, et surtout qui correspondent aux demandes des pro-Brexit, comme par exemple ne plus répondre à la Cour de Justice européenne. »
Il ne faut toutefois pas comprendre que l’Union européenne a perdu sur toute la ligne. Londres s’engage dans un accord de libre-échange à ne pas fausser la concurrence, en continuant à suivre certaines règles européennes, et s’engage en matière de protection de l’environnement. Néanmoins, Henri Sterdyniak prévient :
« La bonne nouvelle est que la Grande-Bretagne ne va pas se lancer dans un dumping social et salarial comme on pouvait le craindre. La moins bonne est que, même si elle s’est engagée à respecter certaines règles européennes, elle pourra progressivement s’en détacher si elle les juge finalement plus compatibles à terme. »
L’économiste se réjouit finalement qu’on ait échappé « à la catastrophe redoutée d’un “no deal” » et relativise ce traité commercial : « L’Union européenne nous a montré qu’elle considère l’environnement et la concurrence loyale comme des priorités. Il ne reste plus qu’à imposer les règles acceptées par le Royaume-Uni à ses propres Etats membres – à l’Irlande (qui a toujours un impôt sur les sociétés très faible), aux Pays-Bas (dont le dumping fiscal demeure) et à la Pologne (très en retard sur le climat). » Ce sera pour un prochain Noël.
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