Chevron, le géant de l’industrie
pétrolière américaine, vient en effet d’annoncer la découverte d’énormes
gisements de pétrole et de gaz au large des côtes méridionales du
Cambodge, dans quatre des cinq puits forés par le groupe. Selon Te Duong
Tara, directeur général de l’Autorité nationale du pétrole cambodgien,
le bloc A, une zone de 6 278 km2 actuellement prospectée par Chevron,
pourrait renfermer 700 millions de barils de pétrole, soit près du
double des 400 millions estimés jusqu’ici. La Banque mondiale a déclaré
par la suite que les réserves totales d’énergie du Cambodge pourraient
s’élever à 2 milliards de barils de pétrole et 283 milliards de mètres
cubes de gaz naturel. Selon l’évolution des cours mondiaux, les
exportations de combustibles pourraient garantir au pays quelque 1,5
milliard d’euros par an, soit plusieurs fois le montant cumulé de son
produit intérieur brut et de l’aide étrangère dont il bénéficie.
Ces
fabuleuses projections ont poussé nombre de multinationales à solliciter
un permis de prospection et des accords de production pour les cinq
autres blocs désignés par le gouvernement. La concurrence est
particulièrement vive pour le bloc B, une zone de 6 557 km2 où les
groupes Total et China National Offshore Oil Corp (CNOOC)
sont, dit-on, en concurrence pour le principal contrat. Des entreprises
installées au Japon, en Corée du Sud, au Koweït, en Thaïlande, en
Malaisie et à Singapour sont également sur les rangs pour participer aux
opérations de prospection, alors même que les autorités cambodgiennes
n’ont pas encore exprimé leur intention de lancer des appels d’offres
pour les six zones maritimes. Ce qui est clair, c’est que le Cambodge
est en voie de devenir un pays de cocagne pour les hydrocarbures.
L’importance stratégique de cette nation va s’en trouver d’autant plus
accrue que les Etats-Unis et la Chine se disputent l’accès aux nouvelles
réserves de combustibles de la planète.
Pékin est particulièrement
avide de sources d’énergie localisées en Asie, car ses cargaisons
d’hydrocarbures pourraient ainsi éviter le détroit de Malacca, par où
transitent aujourd’hui près de 80 % de ses importations de pétrole.
C’est ainsi que la Chine a intensifié son offensive de charme en
direction du Cambodge, qui a bénéficié ces dernières années de son aide
pour la construction d’infrastructures clés. L’an dernier, le Premier
ministre Hun Sen a demandé à la Chine 150 millions d’euros pour mener à
bien des projets d’infrastructures, et sa requête sera vraisemblablement
satisfaite. Le 18 janvier, une délégation “amicale” du Parti communiste
chinois s’est entretenue en privé avec de hauts dirigeants du Parti du
peuple cambodgien (PPC), au pouvoir.
Les devises serviront à financer les politiques
L’offre
chinoise pourrait toutefois pâtir des séquelles de la guerre froide.
Tous les accords de production sur les hydrocarbures avec le
gouvernement devront vraisemblablement passer par Sokimex, un
conglomérat cambodgien qui, par l’intermédiaire d’un joint-venture avec
le groupe Tela Petroleum, contrôle 80 % de leur distribution. Ce groupe
très proche du pouvoir détient également d’importantes participations
dans l’hôtellerie, ainsi que le monopole des droits d’entrée sur le site
d’Angkor, la destination touristique la plus lucrative du pays.
L’actionnaire
majoritaire de Sokimex est un Cambodgien d’origine vietnamienne, Sok
Kong, qui a présidé la chambre de commerce de Phnom Penh et qui est un
ami de longue date de Hun Sen. Ses liens avec le Vietnam, qui l’a placé
au pouvoir après avoir envahi le pays et chassé le régime des Khmers
rouges en 1979, soulèvent des questions.
En 2005, lors de la
signature d’un traité frontalier avec le Vietnam, on avait reproché au
gouvernement de Hun Sen d’avoir cédé une trop grande portion du
territoire cambodgien à Hanoi, des accusations auxquelles le Premier
ministre avait répliqué en faisant emprisonner un certain nombre de
journalistes et de militants [dont Khem Sokha, directeur du Centre
cambodgien des droits de l’homme, et Mam Sonando, qui dirige une radio].
S’il
est toutefois peu probable que le Vietnam conserve suffisamment
d’influence sur Phnom Penh pour empêcher Pékin de s’assurer un accès
majoritaire aux réserves cambodgiennes, le schéma de relations issu de
la guerre froide pourrait matériellement affecter la distribution du
pétrole et du gaz aux pays de la région qui manquent de ressources
énergétiques.
Les dirigeants du PPC visent
vraisemblablement à renforcer Sokimex et peut-être aussi Tela Petroleum,
en leur attribuant des concessions pétrolières dont les revenus en
devises serviront à soutenir son appareil politique et à consolider le
contrôle du parti sur la politique cambodgienne.
Les donateurs
occidentaux ont lancé des mises en garde sur les possibles pièges de
cette nouvelle abondance de ressources énergétiques. La Banque mondiale a
explicitement comparé la situation du Cambodge à celle du Nigeria, où
des politiciens corrompus ont détourné des milliards de dollars sur les
revenus du pétrole et où l’opposition entre le pouvoir central et les
régions sur le droit de disposer des ressources pétrolières a récemment
dégénéré en guerre civile. Trente ans après le début de son boom
pétrolier et malgré l’exploitation de plusieurs milliers de puits, le
Nigeria demeure l’un des pays les plus pauvres du monde.
Les
donateurs ont également exercé de fortes pressions sur le gouvernement
Hun Sen pour qu’il s’attaque à la corruption endémique qui sévit dans
ses rangs. Ces dernières années, le phénomène a atteint des proportions
tellement scandaleuses qu’ils ont menacé de suspendre leur programme
d’aide si des progrès n’étaient pas prochainement observés dans ce
domaine.
Les autorités cambodgiennes se sont d’ores et déjà engagées à
consacrer une partie des futurs revenus énergétiques à la
reconstruction des infrastructures délabrées du pays, notamment des
hôpitaux et des écoles. Mais, en l’état actuel des choses, les espoirs
de voir la manne pétrolière cambodgienne profiter aux 35 % des habitants
qui vivent dans la pauvreté semblent relèver de l’utopie…
Echéances
L’exploitation des ressources en hydrocarbures devrait commencer en 2009 ou 2010, soit trois ans avant la date précédemment évoquée par la Banque mondiale. Mais les coûts d’exploitation des réserves au large des côtes cambodgiennes seront plus élevés que prévu. Le Cambodge et la Thaïlande doivent aussi finaliser leur accord pour se partager certaines zones riches en hydrocarbures qui se situent au-delà des eaux territoriales.
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