La demeure sera beaucoup plus appropriée pour une superpuissance montante que les actuels locaux exigus de l’ambassade à Marylebone. Surplombant la Tour de Londres, les beaux bâtiments géorgiens de l’ancien Royal Mint, où les pièces et les médailles britanniques étaient autrefois frappées, vont donc abriter la nouvelle ambassade de Chine.
Les plans déposés en mairie donnent un aperçu de ce vaste ensemble, qui comprendra 230 appartements. Lorsque, en 2018, il avait annoncé le nouvel emplacement, Liu Xiaoming, l’ambassadeur de l’époque, avait présenté la future ambassade comme le “fruit doré” d’un nouvel “âge d’or” des relations sino-britanniques.Cela faisait suite à l’ère David Cameron [2010-2016], qui voulait que le Royaume-Uni devienne le “meilleur partenaire de la Chine en Occident”. Aujourd’hui, les échanges sont plus d’acier que dorés. Avec Boris Johnson, la position de Londres s’est considérablement durcie, et se rapproche désormais davantage de celle des États-Unis. “Ce qui m’a vraiment surpris, c’est la rapidité de la détérioration des relations entre les deux pays”, avoue Yu Jie, chargée de recherches pour le groupe de réflexion Chatham House.
Prise de conscience
Plusieurs différends récents ont traduit un tel changement. Le 4 février, l’Ofcom, l’organisme britannique de réglementation de l’audiovisuel, a annoncé qu’il allait retirer sa licence à CGTN, une chaîne de télévision internationale appartenant à la télévision d’État chinoise. La chaîne avait déjà été réprimandée par l’Ofcom pour avoir diffusé les aveux sans doute forcés d’un prisonnier britannique en Chine et pour avoir couvert de manière déséquilibrée le mouvement démocratique de Hong Kong.
Ce mouvement a d’ailleurs trouvé un écho favorable auprès du gouvernement britannique, puisque le 31 janvier, en réponse au renforcement du contrôle de la Chine sur l’ancienne colonie britannique, les autorités britanniques ont créé un nouveau système de visa permettant à 2,9 millions de Hongkongais bénéficiant du statut de Britannique d’outre-mer [BNO, créé avant la rétrocession du territoire à la Chine en 1997] et leurs personnes à charge de venir s’installer au Royaume-Uni. Selon ses estimations, 322 000 personnes pourraient profiter de ce programme dans les cinq prochaines années, faisant de Londres un nouveau carrefour pour les dissidents de Hong Kong.
D’autre part, depuis dix ans, les services secrets britanniques ont pris conscience de la vulnérabilité de leur pays face à l’espionnage chinois. Ces craintes avaient été mises de côté pendant le fameux “âge d’or”. Ce n’est plus le cas. On a appris le 4 février que trois espions chinois se faisant passer pour des journalistes avaient été expulsés. Les universitaires qui travaillent sur des technologies sensibles en coopération avec la Chine ont aussi été avertis qu’ils risquaient d’être poursuivis pour violation des lois sur le contrôle des exportations. Une nouvelle loi sur la surveillance des investissements, actuellement devant le Parlement, accordera aux ministres de nouveaux pouvoirs pour bloquer l’acquisition d’actions, de terrains ou de biens de propriété intellectuelle dans des secteurs sensibles. L’été dernier, le gouvernement a annoncé son intention de revenir sur sa décision d’autoriser Huawei, géant chinois des télécommunications, à participer à la construction des réseaux de cinquième génération au Royaume-Uni.
La vengeance chinoise
Cette décision faisait suite à des pressions intenses exercées par le gouvernement de Donald Trump pour rompre les liens avec la Chine. La nouvelle approche du Royaume-Uni le place résolument en phase avec le gouvernement de Joe Biden. Comme Donald Trump lorsqu’il était à la Maison-Blanche, celui-ci accuse Pékin de génocide, mais, contrairement au gouvernement de Donald Trump, il souhaite travailler avec ses alliés pour contrer la Chine. C’est une chance pour Boris Johnson, qui prévoit de profiter de la réunion du G7 en Cornouailles en juin prochain pour lancer un groupe élargi de démocraties comprenant l’Australie, l’Inde et la Corée du Sud.
Pour l’instant, la réponse de la Chine à la nouvelle position du Royaume-Uni reste rhétorique. La CGTN a ainsi affirmé que l’Ofcom avait été “manipulé par des organisations d’extrême droite et des forces antichinoises” ; l’offre de visa pour les Hongkongais a été dénoncée comme une ingérence coloniale inacceptable. Mais les choses pourraient changer, et les entreprises britanniques pourraient subir des sanctions de grande envergure semblables à celles imposées par la Chine à l’Australie, estime Charles Parton, un ancien diplomate britannique. AstraZeneca, Jaguar Land Rover et HSBC font partie des noms pouvant devenir des cibles dans la presse chinoise. Par ailleurs, après la fermeture de CGTN, la vie devrait devenir plus compliquée pour les journalistes de la BBC en Chine. Selon Charles Parton, la Chine attend son heure : “Je pense que nous allons être mangés à la même sauce que l’Australie, mais leur vengeance est un plat qui se mange beaucoup plus froid que ce que l’on pense.”
Le devoir moral de l’ancien colon
Le programme de visas, c’est bien. “Courageux, généreux et historique”, même. Mais le magazine en ligne The Diplomat en demande davantage au Royaume-Uni. En tant qu’ancien colon, le pays “a une responsabilité particulière au sein de la communauté internationale”, estime la publication sise à Tokyo. Une responsabilité juridique d’abord, puisque la Chine “a jeté aux oubliettes” la loi fondamentale, “garantie par la Déclaration commune sino-britannique de 1984, qui prévoit que la Chine ne modifie pas le système politique de Hong Kong avant 2047”. Une responsabilité “morale”, ensuite. Concrètement, avance The Diplomat, Londres doit montrer l’exemple en imposant des sanctions ciblées “contre des hauts responsables à Pékin et Hong Kong” et en “diversifiant ses chaînes d’approvisionnement et sa dépendance stratégique envers la Chine”. Dans un second temps, le Royaume-Uni “devrait promouvoir une réponse devant la justice internationale”, par exemple via “une action contre la Chine pour violation des clauses de la Déclaration commune”. D’aucuns accuseront Londres de néoimpérialisme, prévient le magazine, “mais, en réalité, il s’agit de redresser des torts et d’accomplir son devoir”. Un vœu pieux, assure le Financial Times. Le quotidien ne croit pas une seule seconde à un durcissement de l’approche britannique. La dépendance technologique envers la Chine, notamment dans le cadre de la “révolution industrielle verte” promue par Boris Johnson, est trop importante. “Quand il adopte un discours musclé sur les droits de l’homme, c’est pour donner un os à ronger aux faucons de son parti, tout en évitant de formuler des exigences qui pourraient avoir des conséquences plus dommageables sur le plan économique.”
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