22/03/2021

La BCE a publié le 18 mars les premiers résultats de son enquête sur les risques climatiques

Dans la plus grande discrétion, la BCE a publié le 18 mars les premiers résultats de son enquête sur les risques climatiques, demandant que le secteur bancaire et financier modifie rapidement ses pratiques d’investissement. Un exode financier se chiffrant en milliers de milliards se prépare. LIEN.

C’est par un discret billet de blog que la Banque centrale européenne (BCE) a amorcé une quasi-révolution, tant les implications politiques, financières et économiques des changements annoncés sont immenses. Le 18 mars, le vice-président de l’institution monétaire, Luis de Guindos, a publié les premiers résultats d’une enquête, qui doit être achevée à l’été, lancée auprès de 4 000 entreprises mondiales et 2 000 banques sur le changement climatique. Et les premières conclusions de la BCE données sont sans appel : « Le changement climatique est une source de risque systémique. »

Le constat n’est pas tout à fait nouveau. Dès 2015, Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, avait alors tiré la sonnette d’alarme sur le changement climatique. Parlant d’une « tragédie des horizons », il avait insisté sur la sous-estimation des risques environnementaux par la sphère financière.

Début 2020, la Banque des règlements internationaux, la Banque centrale des Banques centrales, avait pris le relais en publiant une longue étude appelée « The Green Swan » – le cygne vert, en référence au concept du cygne noir, incident annonciateur de ruptures et de crise –, dans lequel il décrivait un monde de désordres et de cataclysmes si rien n’était fait.

Dès son accession à la présidence, Christine Lagarde n’a pas caché son intention de donner un rôle majeur à la BCE dans le changement climatique. Cette volonté s’est heurtée à la lourde opposition de plusieurs membres du directoire, incarnée une fois de plus, une fois encore, par Jens Weidmann, l’incontournable président de la Bundesbank.

Ce dernier entend que la BCE s’en tienne à la théorie « intouchable » de l’ordolibéralisme : la monnaie est neutre et se doit de rester neutre. Au nom de cette neutralité, de l’indépendance de la Banque centrale, celle-ci ne saurait influencer des choix économiques, donc politiques, en décidant d’orienter sa politique monétaire vers le soutien de certains secteurs, le bannissement d’autres, même en se référant à l’impérieuse nécessité de la lutte contre le réchauffement. Pour le président de la Bundesbank, ces choix relèvent du marché, par nature efficient.

L’étude lancée par la BCE est une réponse implacable à cette théorie. Plusieurs scénarios selon une échelle de temps inhabituelle pour le monde de la finance – plus de trente ans –, ont été mis à l’étude : une transition ordonnée vers une économie « plus verte », une transition désordonnée avec des risques physiques limités et un scénario catastrophe où les politiques écologiques ayant été insuffisantes et tardives conduisent des risques physiques extrêmes. Enfonçant des portes ouvertes, Luis de Guindos arrive à la conclusion qu’une « transition ordonnée est de loin préférable ».

Mais quel que soit le scénario, la transition écologique aura une traduction financière et monétaire. Le monde bancaire et financier porte dans ses bilans l’empreinte massive des engagements industriels et économiques. Il est souvent lourdement exposé aux industries et aux secteurs pollueurs et fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Les risques que ces derniers encourent ont toutes les chances de se transmettre aux banques et aux investisseurs et provoquer des faillites en chaîne.

C’est au nom de ces risques potentiels que l’intervention de la BCE est légitime, explique Luis de Guindos. « Le changement climatique représente une source majeure de risque systémique, particulièrement pour les banques dont les portefeuilles sont concentrés dans certains secteurs économiques et de façon plus importante, dans certaines zones géographiques », poursuit le vice-président de la BCE.

À partir de données multiples, une filiale de l’agence Moody’s, Four Twenty Seven, et le cabinet de recherche Urgentem, embauchés par la BCE pour mener cette étude, ont modélisé les risques et les zones les plus exposées. Sans surprise, ils sont très différents entre le nord et le sud, l’est et l’ouest de l’Europe.

Au nord et à l’est, ce sont les risques de submersion des terres, d’inondations à répétition provoquées par la montée de la mer liée au réchauffement climatique qui sont les plus menaçants. Au sud, ce sont les vagues de chaleur extrêmes, les incendies immenses. Le tout étant amplifié par les concentrations industrielles et urbaines.

Les risques physiques climatiques dans la zone euro.
              Légende : en bleu, les inondations ; en bleu ciel, la
              montée du niveau des mers ; en rouge, les incendies ; en
              jaune, les autres risques ; en vert, les zones où les
              risques sont faibles. © Blog de la la BCE
Les risques physiques climatiques dans la zone euro. Légende : en bleu, les inondations ; en bleu ciel, la montée du niveau des mers ; en rouge, les incendies ; en jaune, les autres risques ; en vert, les zones où les risques sont faibles. © Blog de la la BCE

Sans surprise non plus, les secteurs miniers, de l’énergie et manufacturiers sont les plus vulnérables, tant ils sont exposés à la fois aux risques physiques mais aussi aux risques économiques, les politiques de transition énergétique pouvant conduire à une baisse drastique de leurs profits alors qu’ils seront obligés de réinternaliser des coûts environnementaux qu’ils ont fait supporter à l’ensemble de la société pendant des décennies. Mais les autres secteurs ne sont pas prémunis pour autant.

Ces résultats préliminaires vont avoir des traductions immédiates pour la BCE, prévient son vice-président. Celle-ci entend les utiliser pour analyser la résistance des banques face au changement climatique, que ce soit au niveau de leurs crédits, de leurs garanties ou de leurs participations. Les résultats finals, portant sur plus de deux mille groupes bancaires – pratiquement toutes les banques de la zone euro –, devraient être disponibles au milieu de l’année.

« Ce cadre sera étendu pour inclure une réponse plus dynamique des banques au changement climatique. En particulier, la baisse de la qualité de la signature de certaines firmes doit inciter les banques à adapter leurs portefeuilles, et modifier leurs investissements pour les diriger vers des firmes moins risquées », prévient Luis de Guindos. Cette surveillance devrait s’étendre par la suite aux gestionnaires d’actifs et aux assurances.

Cette politique d’incitation pourrait s’accompagner de mesures plus coercitives. La semaine dernière, Frank Elderson, membre du comité exécutif de la BCE et aussi du groupe des banques centrales constitué pour appréhender les risques climatiques (Network for Greening the Financial System), a indiqué que la BCE se préparait à demander une augmentation de capital nécessaire pour respecter les normes prudentielles pour toutes les banques particulièrement exposées aux risques climatiques.

Même si la BCE assure que ces mesures se feront par palier, de façon adaptée, cette simple annonce risque d’accélérer des changements majeurs. Car, qu’elle le veuille ou non, la Banque centrale semble donner le signal de départ à une fuite des capitaux hors des secteurs polluants.

Déjà un certain nombre de fonds d’investissement ont annoncé leur retrait des groupes pétroliers ou miniers. La semaine dernière, le groupe Axa a annoncé qu’il refusait désormais d’assurer à l’électricien allemand RWE, le plus gros émetteur de CO2 en Europe. D’autres préparent des chartes d’investissements financiers excluant tout groupe travaillant dans le pétrole, le gaz, les mines, le sable, le tabac et autres.

C’est un véritable exode financier qui se prépare. Un exode qui chiffre en milliers de milliards, porteur d’une addition incalculable de deux siècles de pratiques économiques et industrielles.

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