15/03/2021

Dix ans après Fukushima, quel avenir pour le nucléaire?

DÉCRYPTAGE - Face à la concurrence des énergies renouvelables, le nucléaire présente des atouts exclusifs. Mais la filière doit réussir à baisser ses coûts pour assurer son futur.

La vague d’une quinzaine de mètres de haut qui a déferlé le 11 mars 2011 sur la côte est japonaise a ravagé la centrale nucléaire côtière de Fukushima. Elle a aussi effacé une bonne partie des ambitions de l’industrie de l’atome dans le monde. La décennie 2010 fut, pour cette filière, cauchemardesque. Aujourd’hui, elle croit pouvoir renaître, portée par la bataille contre le réchauffement climatique. Les grands pays annoncent les uns après les autres leur volonté de parvenir à la neutralité carbone d’ici au milieu du siècle. Il leur faut sortir des hydrocarbures en électrifiant massivement leur économie, et les centrales nucléaires ne dégagent pas de CO2. Cette énergie décarbonée peut-elle profiter de l’essor historique des investissements affluant vers l’électricité «verte», alors que les énergies renouvelables s’avèrent de plus en plus compétitives malgré leurs défauts?

● Dix ans de malheurs

Dans le monde décarboné de demain façonné par l’accord de Paris sur le climat, le choix des énergies faiblement émettrices de CO2 est restreint - le nucléaire, l’hydraulique, le solaire, les éoliennes et, à une moindre échelle, la biomasse. Mais l’atome n’aborde pas cette perspective en grande forme. «La décennie 2010 a été très éprouvante», souffle-t-on chez EDF. En mai 2011, deux mois après la catastrophe de Fukushima, la chancelière allemande Angela Merkel annonce que l’Allemagne sortira du nucléaire «en dix ans». En 2012, François Hollande se fait élire avec le soutien des Verts sur fond de promesse de fermer la plus vieille centrale française, Fessenheim, et de réduire drastiquement la part du nucléaire dans le mix électrique national. C’est moins connu, mais la Chine décide également, dans la foulée de Fukushima, de réduire l’importance du nucléaire.

La catastrophe de la centrale japonaise a cueilli une filière française aux débuts de ses déboires de développement de sa dernière génération de réacteurs, les EPR. Tête de série, le réacteur numéro 3 de Flamanville accumule, depuis le début de la décennie, retards et surcoûts. Initialement estimée à 4 milliards d’euros, la facture finale sera supérieure à 12 milliards. Face à un secteur nucléaire sinistré, les énergies renouvelables affichent une santé éclatante. Le coût des panneaux solaires a notamment fondu de 80 %, grâce à la massification de la production et aux progrès techniques. En l’espace de dix ans, l’atome s’est retrouvé face à de redoutables concurrents.

Cette décennie a aussi révélé un problème de tempo. «L’horizon temporel du nucléaire n’est pas en accord avec la vitesse d’évolution du mix énergétique mondial, prévient Xavier Regnard, analyste énergie chez Bryan, Garnier & Co. Il faut 10 ans pour construire une centrale. Un nouveau réacteur n’est même pas sorti de terre que son équation commerciale est déjà chamboulée.» Cependant, un réacteur produira pendant soixante ans.

L’investissement doit donc en valoir la chandelle. Cela tombe bien: si le nucléaire représente un risque de sûreté pour son environnement et dégage une petite quantité de déchets radioactifs pour des centaines d’années, il possède des avantages décisifs sur ses concurrentes renouvelables. Il a besoin de très peu de place pour produire de l’électricité… quand on en a besoin. «Le nucléaire a été développé pour produire une énergie de base, mais il est capable d’être piloté pour faire face aux variations de consommation», ajoute Emmanuel Autier, associé chez BearingPoint en charge de l’énergie.

● Vers une baisse des coûts

La catastrophe de Fukushima n’a pas seulement donné un coup d’arrêt au développement de la filière. Elle a aussi provoqué une inflation des coûts. Tirant les leçons de l’accident japonais, les organismes nationaux en charge de la sûreté - au premier rang desquelles l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française - ont réclamé des améliorations considérables. L’explosion des coûts de construction de l’EPR de Flamanville s’explique en partie par des exigences renforcées. Il produira un mégawattheure aux alentours de 110 à 120 euros. Son jumeau britannique de Hinkley Point, à 109 euros. Pour s’assurer que son avenir ne se limite pas à ces éléphants blancs industriels, le nucléaire va devoir drastiquement alléger la facture.

La filière nucléaire française compte standardiser au maximum la construction des futurs réacteurs EPR afin de baisser les coûts. «Nous avons tiré les leçons des EPR développés en Chine, à Flamanville et nous intégrons celles du chantier en cours à Hinkley Point, assure Xavier Ursat, directeur exécutif groupe en charge du nouveau nucléaire chez EDF. Nous visons une réduction des coûts de construction de l’ordre de 25-30% par rapport à ceux de Flamanville 3, si celui-ci n’avait pas connu d’aléas.» Ce qui permettrait de «sortir» un mégawattheure à environ 70 euros.

Cela reste cher comparé aux énergies renouvelables, même si l’atome est une énergie «pilotable». Heureusement pour la filière, d’autres gisements d’économies majeurs se cachent dans les montages financiers d’un projet de centrale. Le nucléaire est une industrie excessivement capitalistique. Pendant dix ans, il faut que le constructeur investisse environ un milliard d’euros par an - comme à Hinkley Point pour EDF en ce moment - sans en tirer aucun bénéfice. En conséquence, les charges de financement pèsent les deux tiers du coût du projet de Hinkley Point. Grâce à un nouveau modèle de financement, EDF estime pouvoir diviser par deux les frais financiers pour le projet, non encore validé, de deux réacteurs à Sizewell (est de l’Angleterre). Ainsi, en se faisant rémunérer par l’État britannique dès le premier jour des travaux, l’électricien compte réduire considérablement les frais inhérents à l’avance des fonds.

Une fois la centrale terminée, le nouveau nucléaire, comme les énergies renouvelables jusqu’à récemment, requiert des aides publiques pour être compétitif. Le système en vogue consiste à fixer un prix pivot. Si le prix du marché de l’électricité est inférieur, l’État paie la différence pour garantir un revenu suffisant à l’opérateur de la centrale. Si le prix de marché est supérieur, l’opérateur de la centrale rembourse la différence. Dans ce contexte de prix régulé, on peut même imaginer, comme la Sfen (Société française d’énergie nucléaire), que les futures centrales nucléaires, une fois construites, représenteront un placement intéressant, de très long terme, pour les assureurs et fonds de pension qui correspondent à leurs engagements de longue période.

● Une part certaine de la production

La France a une situation unique au monde, avec un mix nucléaire déjà très important. La question nucléaire ne se pose pas dans les mêmes termes qu’ailleurs. Il ne s’agit pas de remplacer des centrales au charbon très polluantes - le mix est déjà très largement décarboné. Mais, vu la montée en puissance des renouvelables, quelle place laisser au nucléaire? La programmation pluriannuelle de l’énergie, publiée en 2019, fixe l’objectif de 50 % de nucléaire en 2035, en forte baisse par rapport aux 70 % d’aujourd’hui. Cela suppose, selon EDF, de construire 6 nouveaux EPR (pour une facture estimée à 47 milliards d’euros).

Au-delà, l’horizon reste flou. «Il est très difficile de dire aujourd’hui quel sera du nucléaire ou des énergies renouvelables la meilleure technologie pour remplacer notre parc nucléaire existant en 2035», a lancé le président Emmanuel Macron en janvier dernier. Si l’État commande bien six EPR en 2023, la filière assure qu’elle aura les ressources pour en faire davantage, et même accélérer le rythme, si les pouvoirs publics le lui demandent.

Des États n’ont pas ces atermoiements et assument un mix mêlant renouvelable et nucléaire. Boris Johnson claironne que le Royaume-Uni sera «l’Arabie saoudite de l’éolien offshore»? Son gouvernement a ajouté sans fard, en décembre, qu’il faudra construire une paire supplémentaire d’EPR pour atteindre les objectifs climatiques du pays et stabiliser le réseau. John Kerry, le «M. Climat» du président Biden, martèle de son côté que pour atteindre la neutralité carbone, le monde aura besoin de l’atome. Les Polonais comme les Tchèques veulent aussi remplacer leurs centrales à charbon par du nucléaire. Derniers en date à affirmer leur soutien à un mode de production qu’ils maîtrisent déjà: les Canadiens.

Quant aux très pragmatiques dirigeants chinois, ils comptent maintenir le poids de l’atome à environ 15 % des capacités de production décarbonées (sans prendre en compte les énergies fossiles). Cela suppose tout de même, pour garder cette proportion alors que la demande d’électrons continuera d’exploser, de multiplier par plus de deux la taille du parc nucléaire. Dans le même temps, le solaire et l’éolien devraient passer d’un quart à la moitié du mix décarboné chinois (hors énergies fossiles), selon les calculs d’universitaires chinois.

Les pays développés et nucléarisés, sauf exception, empruntent un chemin vers une électricité décarbonée qui comporte une part non négligeable de nucléaire. Parce qu’il dénature moins les paysages que les renouvelables et qu’il est le seul à garantir la stabilité des réseaux. En attendant la fusion nucléaire à l’horizon du XXIIe siècle ou, avant cela, des progrès technologiques et des baisses de coûts sur le stockage de l’électricité.


Source Figaro Vox Par Guillaume Guichard
 

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