Ma grand-mère me disait toujours - c'était sa façon d'inciter à affronter le réel : « Mon petit, il faut sortir ! »
Quand je lis les tribunes tranchantes, catégoriques, implacables, excommunicatrices souvent, que multiplient des intellectuels qui, se réclamant, apparemment, d'une gauche qui ne serait pas molle, dénoncent avec ardeur un « cours des choses » déplorable, dont eux seuls ne seraient jamais, fût-ce indirectement, responsables, je m'interroge moi aussi : est-ce qu'ils sortent ?
Est-ce qu'ils écoutent ? Est-ce qu'ils entendent ce qui, dans la moindre arrière-cour de la vie réelle, toutes sensibilités confondues, presque unanimement souvent, se répand, se murmure au mieux, se crie ou se hurle au pire, et qui, si leurs antennes acceptaient de le capter, ne pourrait que les conduire à s'interpeller eux-mêmes : sommes-nous vraiment innocents de ce déferlement de discours qui se dopent à la radicalité du rejet du nôtre ?
Les faits : non seulement les enquêtes d'opinion indiquent que 32 % de l'électorat serait prêt à voter, à l'élection présidentielle, pour des candidats situés à la droite de la droite, néofascistes inclus (contre 28 % pour les gauches), mais l'écoute, hélas refusée, montre que beaucoup, qui n'ont pas franchi le pas, tiennent des propos, en réaction aux vôtres, qui laissent présager qu'ils pourraient le faire.
C'est-à-dire en réaction à la musique dont une fraction de la gauche ou de l'extrême gauche journalistique et intellectuelle inonde l'espace public et que la droite, et pour cause, se fait un malin plaisir de relayer abondamment.
Conçoit-on les dégâts qu'a provoqués le texte collectif inouï, signé de toute une mouvance universitaire , qui, avec une violence verbale qui rappelait celle d'un autre temps, déniait (venant après tant d'autres dénis) l'existence même d'un phénomène idéologique que 70 % des Français prennent, eux, en considération (comme une certaine droite refuse d'admettre l'émergence d'un courant néofasciste), rejetait le droit même de l'évoquer, refusait en conséquence tout débat sur ce sujet et en réservait l'éventuel examen à un entre-soi corporatisto-aristocratique ?
C'était, disait ce texte, faire le jeu de l'extrême droite que de ne pas s'enfermer dans ce déni.
Le jeu de l'extrême droite ?
Parlons-en : qui fait le jeu de qui ?
Peut-on impunément recycler systématiquement aux différentes marges de la gauche, et surtout de l'extrême gauche, presque tout ce qui identifiait hier la droite la plus réactionnaire, y compris le cléricalisme, sans se désarmer soi-même face à la montée des néofascismes ?
Quand, comme le font les tenants de la nouvelle gauche identitaire, on centralise le concept de race , ce qui constituait la spécificité de la droite extrême, elle aussi identitaire, comment, ensuite, disqualifier son racisme ?
Comment faire barrage aux poussées de nationalisme xénophobe quand, en vertu de l'essentialisation des identités ethniques, sexuelles et confessionnelles , on jette allègrement l' universalisme au rebut ?
Quand on réhabilite la pratique de la non-mixité, fût-ce prétendument à l'envers, comment stigmatiser efficacement le ségrégationnisme d'extrême droite ?
De qui fait-on le jeu quand, pour disqualifier des laïcs intransigeants, on reprend le terme de « laïcard », popularisé par la droite extrême ?
Depuis des années, systématiquement, que fait-on ? On livre à l'extrême droite toutes les valeurs fondatrices du combat démocratique et républicain pour peu qu'elle ait, cette extrême droite, tactiquement, mis, ne fût-ce qu'un petit doigt dessus : la nation, la laïcité, la sécurité, la République. Ce qui induit cette invite : vous qui avez régulièrement trahi la nation, comploté contre la République, refusé la laïcité, justifié l'insécurité sociale, vous vous êtes avisés, soudain, de prononcer ces mots-là… Tope là, on vous en fait cadeau, on vous les laisse, c'est à vous ! Et on y ajoutera même en prime : la valeur travail ou la famille. Servez-vous !
Qui fait le jeu de qui ? L'aspiration universelle à la sécurité, les déchirures sociales provoquées par la dynamique des flux migratoires, l'angoisse d'une perte d'identité, autant de réalités concrètes qu'il fallait non pas occulter, exorciser, mais affronter pour leur apporter des réponses démocratiques et progressistes. Au lieu de quoi, toute une fraction de la gauche et de l'extrême gauche intello-médiatique a jeté l'interdit, l'anathème sur toutes les velléités d'affronter frontalement ces questions et, ce faisant, en a livré l'exclusivité au Front national [aujourd'hui Rassemblement national, NDLR], à ses alliés et à ses acolytes.
Qui fait le jeu de qui ?
Ce qui singularisait l'extrême droite et le néofascisme, c'était l'intolérance, l'appel à la censure, à l'interdiction, la pratique de l'exclusion, la violence excommunicatrice, le rejet de la libre expression… Et voilà que ces pratiques sont récupérées par plusieurs affluences d'un radicalisme prétendument de gauche sans susciter la levée de boucliers qui s'imposerait. Pire : ce qui caractérisait le mal devient l'une des formes acceptables de la manifestation du bien !
Qui fait le jeu de qui ?
On avait, des années durant, traqué tous les soupçons de compromission avec l'extrême droite, on avait obsessionnellement dénoncé les tentations supposément populistes, et quand, en réaction à deux mesures d'inspiration écologiste, la taxe carbone et la limitation de vitesse sur les routes départementales, s'est développé un mouvement extrêmement ambigu à relents parfois antisémites (même s'il portait également des aspirations que, personnellement, je ne désavoue pas), intrinsèquement populiste et coopérativement impulsé, à l'origine, par l'extrême droite et par l'extrême gauche, comment ont réagi les sociologues et les philosophes préférés de la gauche radicale : ils l'ont exalté, idéalisé et exemplarisé. Or, à l'arrivée, que constate-t-on ? Que l'extrême gauche s'est effondrée, que l'extrême droite est repassée en tête et que la majorité des sympathisants Gilets jaunes a voté lepéniste.
Autocritique ? On attend toujours.
Qui fait le jeu de qui ?
Lorsque, chaque semaine, des manifestations à motivations légitimes se soldent par des cassages de commerces de proximité initiés par des doublures anarchisantes des skinheads d'en face sans que, à gauche, nos habituels censeurs intransigeants exercent, à cette occasion, la moindre intransigeante censure, qui fait le jeu de qui ?
Quand on dissout toute déploration des extrémismes d'actions directes dans la seule dénonciation des violences policières, qui fait le jeu de qui ?
Quand ceux qui, au premier chef, devraient mettre en garde contre ces dérives, ces diversions, ces provocations aux conséquences psychologiques et politiques redoutables s'interdisent de tirer le moindre signal d'alarme et se contentent d'un « Allez-y les petits gars ! », qui fait le jeu de qui ?
Aveuglement ou calcul, idiotie ou cynisme : pourquoi cet acharnement à verser toujours plus de carburant dans le moteur de l'extrême droite ?
Pourquoi cette continuelle livraison de munitions à un « en face » qu'on feint, par ailleurs, de promouvoir en cible préférentielle ?
Pourquoi ces radicalités de posture et de confort qui permettent aux loups de se faire passer pour des chiens de garde ?
Votre, notre maison brûle et, sous prétexte d'éteindre les flammes, vous les arrosez d'essence.
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