C'est le phénomène politique et social majeur contemporain. Mais de quoi s'agit-il précisément ? Stricto sensu, à l'origine, le populisme, c'est un mouvement russe qui, au XIXe siècle, visait à organiser le soulèvement de la paysannerie contre le tsarisme ; de nos jours, il est un discours qui prétend parler au nom d'un peuple mythifié dont les artisans canonnent les élites en place pour se hisser à leur place. Le populisme ne cesse d'étendre sa toile dans la sphère politique, sous tous les horizons, et dans tous les milieux, économique, scientifique, universitaire… Jusqu'où ira-t-il ? Nos démocraties sont-elles menacées par la mise en place d'un système de gouvernement populiste ? La France, après d'autres États, est-elle en train de basculer ? Politologue reconnu, professeur des universités à Sciences Po Paris, spécialiste de l'extrême droite, grand pédagogue, Pascal Perrineau décortique ce phénomène plus complexe qu'il y paraît, à ne pas confondre avec la démagogie, dans un Que sais-je ? tout simplement intitulé Le Populisme. Entretien d'actualité.
Le Point : La présidentielle qui se dessine pour 2022 sera-t-elle l'élection la plus populiste ?
Pascal Perrineau :Le populisme a commencé à s'inviter dans tous les scrutins électoraux il y a 20 ans, dans les années 1980, avec l'implantation du
Front national, son développement et sa dynamique électorale qui a porté son candidat au second tour de la présidentielle en 2002 et qui a permis à
Marine Le Pende rassembler un tiers du corps électoral sur son nom en 2017. À un an de la présidentielle, les sondages prédisent une capacité de la présidente du Rassemblement national à atteindre le second tour et même à être en tête au premier. Il faut être prudent : souvent, les sondages à un an de l'élection se trompe
nt. Mais l'idée d'une poursuite de la dynamique populiste jusqu'aux portes du pouvoir fait son chemin. En France comme ailleurs. Ces forces pénètrent au Parlement européen : un tiers de ses effectifs se rattache au populisme, contre un quart dans l'Assemblée sortante. Les populistes sont au pouvoir dans nombre de pays qui nous entourent, à travers le Mouvement 5 étoiles en Italie ou Podemos en Espagne, qui sont associés aux gouvernements. Un populiste est à la tête de la Hongrie, de la Slovaquie, de la République tchèque. Il y a eu Trump aux États-Unis, et toujours Modi en Inde et Bolsonaro au Brésil, qui sont des archétypes de leaders populistes. Le phénomène est français, européen, et mondial. Que, dans ce contexte, la campagne présidentielle de 2022 en France prenne une allure populiste ne sera pas du tout étonnant. D'autant que la pandémie a montré l'état d'impuissance et d'épuisement de notre démocratie.
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Le populisme est-il un apanage des extrêmes ?
Pas seulement, et de moins en moins. Le populisme, ce n'est pas une idéologie forte, mais une idéologie labile, faible, qui se greffe sur d'autres idéologies, d'autres mouvements. Quand il dénonce le vieux monde pendant la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron fait du populisme. Comme son prédécesseur François Hollande quand il vitupère le monde de la finance ou Nicolas Sarkozy quand il s'en prend aux élites qui ne comprennent rien au monde. Le populisme est le révélateur d'une crise de la démocratie. Il représente toujours un problème du rapport du peuple au pouvoir : le peuple ne trouve plus sa place économique, plus sa place sociale, plus sa place politique.
Le populisme est-il une panacée pour un monde politique en panne d'idées ?
C'est une facilité : une vision binaire et simpliste. Il y aurait, d'un côté, un peuple homogène et, de l'autre, des élites coupées des réalités. Comment lutter contre ça ? On voit bien les limites de l'expression directe, comme l'a montré le grand débat national, dont j'étais un des garants, ou la Convention citoyenne sur le climat. Ce sont des expériences qui ne touchent que des minorités. On ne peut pas gouverner à coups de démocratie directe ou de référendums. À la fin, cela se traduit par une confiscation du pouvoir par un leader qui prétend parler au nom du peuple, puis par une dérive autoritaire. Plusieurs pays qui nous entourent se sont transformés en démocratures ou en démocraties illibérales.
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La culture « woke » signifie-t-elle une dérive populiste ?
Un certain populisme touche tous les milieux. Il y a un populisme scientifique qu'on a vu à l'œuvre pendant la pandémie. Il peut y avoir un populisme universitaire qui n'est pas à l'abri d'une certaine démagogie et appelle à la mobilisation contre des ennemis supposés. Il faut faire attention. Ces débats concernent souvent un tout petit monde et ne sont pas partagés par l'immense majorité. Voyez l'enquête récente sur l'adhésion aux thèses de la pensée woke qui a été réalisée par l'Ifop les 23 et 24 février pour L'Express : 72 % des personnes interrogées désapprouvent la « cancel culture », 63 % l'écriture inclusive, 55 % les luttes en non-mixité. Il y a une rupture entre la société et certaines élites qui prétendent la lire.
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Sommes-nous trop complaisants face au populisme ?Je ne le pense pas. Il faut comprendre le populisme pour pouvoir lutter contre lui. Ce phénomène pose une vraie question qui est celle de la représentation des catégories populaires dans la politique. Beaucoup se sentent exclus de la représentation politique, médiatique, intellectuelle. C'est une vraie question. Ceux qui devraient apporter des grilles de lecture pour comprendre le monde qui change ne le font pas. Le peuple n'a alors plus de boussole.
Le débat d'idées en France est vif, pourquoi laisser prise au populisme ?
Le débat est vif, mais il a perdu ses outils. Jadis, des intellectuels de droite ou de gauche s'affrontaient en s'inscrivant dans une histoire longue des droites et des gauches. Pour résumer, c'étaient les droites de René Rémond vs les gauches de Jacques Julliard. Ces repères se sont effondrés avec le déclin du clivage droite-gauche qui, pour les Français, n'a plus beaucoup de sens. Ces joutes intellectuelles qui ont nourri presque deux siècles de débat en France ont laissé place à un débat entre progressistes et populistes, entre le camp de la société ouverte et celui qui se recentre sur l'isolat national. Ce qui brouille les repères. La vie politique devient un palimpseste sur lequel se superposent le clivage droite-gauche résilient et ces nouveaux clivages qui s'inventent.
Vous êtes candidat à la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques. Cette institution, qui chapeaute l'IEP Paris, est-elle aussi gangrenée par le populisme ?
Non. En revanche, Sciences Po, comme tout lieu universitaire, est traversé de débats qui agitent l'université française, en partie sur l'islamo-gauchisme, l'islamophobie, la culture « woke ». Et ces débats ne se font pas toujours dans l'atmosphère pluraliste et contradictoire qui doit être celle de l'Université. On condamne trop souvent avant d'écouter l'autre. Quand on regarde ce qui se passe à Sciences Po Grenoble, on ne peut être que très inquiet. Des étudiants demandent l'exclusion de professeurs, des universitaires n'osent pas s'engager et assistent à ces stratégies d'exclusion comme s'ils étaient au théâtre alors qu'ils devraient défendre la liberté… On est en train de perdre la culture du débat au sein de l'université française. C'est très préoccupant.
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