09/03/2021

A Bure, l'Andra prépare le stockage déchets nucléaires - par Challenges

 

Environ 6 minutes en ascenseur suffisent pour descendre à 500 mètres de profondeur, au cœur du laboratoire de l’Andra, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. C’est là, dans la roche d’argile, à cheval entre la Meuse et la Haute-Marne que le projet Cigéo devrait voir le jour d’ici quelques années, pour le stockage des déchets radioactifs.

A la surface, au milieu des champs avoisinant un parc d’éoliennes, le site de l’Andra se déploie sur quatre bâtiments: l’hôtel restaurant pour les salariés de passage, l’Ecothèque qui répertorie et conserve des milliers d’échantillons de l’environnement local (céréales, eau, terres, miel, lait…), le centre technologique destiné à expliquer le projet au grand public et à accueillir les expériences, et enfin le laboratoire souterrain, échantillon à taille réel du futur Cigéo.

Vue des installation du laboratoire de l'Andra, entre la Meuse et la Haute-Marne, devant un champ d'éoliennes. Crédit: Agathe Beaujon

La future infrastructure, qui verra le jour 5 kilomètres plus loin, devra accueillir les déchets nucléaires de moyenne activité vie longue (MA-VL) et de haute activité (HA) qui n’ont pas encore de solution opérationnelle pérenne. Ils sont aujourd’hui entreposés dans des piscines de refroidissement, sous la responsabilité des producteurs comme EDF ou Orano.

Les colis de déchets de moyenne activité à vie longue seront entourés de bétons avant leur stockage dans Cigéo. Crédit: Agathe Beaujon

Après un appel à candidature (et le rejet des habitants de certains sites étudiés), c’est donc le sol d’argile de la Meuse qui a été préféré au granit en 2006, pour ses propriétés stables et isolantes. "Dans cette roche, l'eau met un million d'années our parcourir environ 7 mètres, par un processus similaire au thé qui se diffuse dans l'eau chaude", indique notamment l’Andra qui précise que le risque sismique est extrêmement réduit dans cette zone, d'autant plus à une telle profondeur.

Des expérimentations sont menées dans le centre technique de l'Andra pour évaluer les effets du poids sur les colis de déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue. Crédit: Agathe Beaujon

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490 mètres sous terre

Avant de franchir le seuil de l’ascenseur rouge qui permet aux ouvriers, scientifiques et matériels d’accéder aux profondeurs du laboratoire, une petite statue religieuse rappelle l’environnement minier, potentiellement dangereux dans lequel nous nous apprêtons à pénétrer. Avant d’y mettre les pieds, le briefing sécurité est d'ailleurs obligatoire, tout comme le port des équipements de protection: casque, gilet, chaussures de chantier, mais aussi talkie-walkie et système permettant de respirer en cas d’incendie, bien accrochés à la ceinture. 

Une statuette accompagne les travailleurs de l'Andra avant de prendre l'ascenseur pour le laboratoire souterrain. Crédit: Agathe Beaujon

Environ six minutes, et une ou deux oreilles bouchées plus tard, nous voilà arrivés 490 mètres sous terre, là où se déploient les deux kilomètres de galeries du laboratoire - Cigéo en comptera 250 kilomètres, pour une emprise totale de 15 kilomètres carrés. L’air y est étonnamment respirable, et la température presque agréable, si ce n’est pour les courants d’air provoqués par le système de ventilation. C'est dans cet environnement qu'une quarantaine de travailleurs maximum en simultané (sur les 300 que compte le site) s'emploient à creuser et à étudier les propriétés de la roche pour concevoir le futur Cigéo.

Vue du puit de l'ascenseur permettant d'accéder au laboratoire de l'Andra à Bure. Crédit: Agathe Beaujon

Altération de l’argile, machines adaptées, effet du poids sur la structure de soutien et les colis de déchets, érosion de l’emballage des colis, diffusion de la radioactivité dans les parois rocheuses, risque sismique, organisation du stockage, solutions de scellement… depuis 2006, tous ces paramètres sont passés au crible par l’Andra, en partenariat avec des universités, l’Inra, le CNRS, ou encore le Giec. C'est aussi grâce à ce laboratoire que l'Andra compte répondre aux demandes d'informations complémentaires de l'Autorité environnementale quant aux effets potentiels de Cigéo sur l'environnement. "Nous ne sommes pas pressés, nous avons le temps de prendre toutes les précautions nécessaires pour préserver l'environnement et la santé, argumente l'Andra. L'avis de l'autorité environnementale n'est pas négatif, mais nous pousse à affiner encore plus nos mesures".

Dans le laboratoire de l'Andra à Bure, les scientifiques étudient la conception de galeries pour accueillir les déchets radioactifs de haute activité à l'horizon 2070-2080. Crédit: Agathe Beaujon

Kilomètres de galeries 

A première vue, le laboratoire a des allures de tunnel de RER. Les galeries destinées à accueillir les déchets de moyenne activité à vie longue ont un diamètre similaire, sur une longueur d’environ 400 mètres, entourées de béton. Les déchets de haute activité seront eux stockés dans des galeries beaucoup plus fines, d’environ 90 cm de diamètre et plus éloignées les unes des autres pour éviter la diffusion de chaleur. Le tout conçu pour permettre (théoriquement) la réversibilité du projet le temps de son exploitation, soit environ 150 ans. 

Les galeries conçues pour accueillir les déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue ont une taille similaire à celle c'un tunnel de RER parisien. Crédit: Agathe Beaujon

Au global, le ministère de l’Environnement a fixé le coût du projet à 25 milliards d’euros, soit 10 milliards de moins que les estimations de l’Andra… Une somme provisionnée par les producteurs qui prélèvent le nécessaire sur les factures d’électricité. "La génération qui produit ces déchets en bénéficiant de l’électricité nucléaire paye pour leur gestion", souligne l’Andra. 

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Opposition latente

Sur le chemin pour accéder au laboratoire, seuls les tags sur les panneaux directionnels le long de la route rappellent l’opposition féroce dont a fait l’objet Cigéo. La ZAD qu’occupaient les opposants dans le bois de Lejuc a été démantelée en 2018. Mais les relations restent tendues avec les opposants au stockage. 

Face aux critiques, l’Andra (qui insiste sur son indépendance face aux producteurs), et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) considèrent pourtant le stockage géologique comme la seule option sûre et durable. Si les opposants au stockage considèrent que les solutions alternatives n’ont pas été assez étudiées, l’Andra écarte chaque argument: la transmutation des déchets n’offrirait une solution que parcellaire, uniquement pour les nouveaux déchets, alors que l’entreposage de surface ou de subsurface permettrait certes une réversibilité plus longue, mais toujours insuffisante au regard de la durée de vie des déchets: quel ouvrage humain pourrait durer plusieurs siècles voire des centaines de milliers d’années ? 

Dans 150 ans, les générations futures devront en effet décider de sceller Cigéo, rendant très compliquée la réversibilité. Alors que l’enveloppe des colis de déchets se détériorera inéluctablement au fil des siècles, l’argile pourra jouer son rôle barrière, pour empêcher la diffusion de la radioactivité dans l’environnement. Cigéo doit accueillir les déchets produits par le parc nucléaire français actuel pendant encore 50 ans et par l’EPR de Flamanville avant d'être calfeutrer définitivement. Le scénario envisage donc la fin de la production de ces déchets. "Si la durée de vie du parc nucléaire actuel était prolongée, il y aurait des réserves pour élargir le périmètre de Cigéo, assure l'Andra, mais l’option d’un nouveau nucléaire  français n’est pas étudiée".

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"Imaginez qu’il y ait une fuite dans 200 ans? Il est irresponsable d’une génération de faire peser ce risque sur toutes les suivantes", souffle pourtant l’avocate et ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage. "Il faut accepter une petite part de risque, mais ce risque est infinitésimal", répond l’Andra qui s’interroge aussi: "Si nos sociétés s’effondrent dans quelques siècles, est-ce que le risque ne serait pas encore plus grand d’avoir laissé ces déchets accessibles en surface?

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