L’idée de substituer une production locale aux importations afin de maîtriser son développement industriel dans des filières clés revient en force après avoir disparu durant des décennies. Elle était pourtant très en vogue dans les pays en développement dans les années 1950.
Quels étaient les arguments échangés à l’époque ? Et quels résultats cela a-t-il donnés ? L’économiste américain Douglas A. Irwin propose un bilan de cette stratégie économique et revient sur quelques idées reçues 1.La théorie économique dominante explique que chaque pays doit se spécialiser dans la production des biens et services pour lesquels il dispose d’un avantage sur les autres pays même s’il n’est que relatif. Einstein tapait plus vite à la machine que sa secrétaire, mais il était tellement meilleur qu’elle en physique qu’il valait mieux qu’il se consacre à ses travaux de recherche et qu’il lui laisse son emploi de secrétaire !
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, cette théorie incitait les pays en développement à se spécialiser dans la production et l’exportation de matières premières, abondantes, en échange de biens industriels produits au Nord. Comme l’ont montré les économistes Raúl Prebisch et Hans Singer, cela les cantonnait dans des secteurs peu productifs et où les prix des produits exportés avaient tendance à augmenter moins vite que ceux des biens importés, entraînant une dégradation des termes de l’échange, le rapport entre ces deux types de prix.
Raúl Prebisch souhaitait que les pays puissent bâtir les avantages comparatifs industriels dont ils ne disposaient pas
L’idée de Prebisch et d’autres économistes de l’époque n’était pas alors de réduire les importations, mais d’en changer la nature : acheter moins de produits de consommation et plus de biens d’équipement, de machines, pour pouvoir produire sur place. Cette approche d’« import-substitution » a souvent été présentée, à tort, comme une politique protectionniste. Prebisch était tout à fait conscient du rôle important des exportations pour le développement des pays et rejetait les idées d’autosuffisance nationale. Il souhaitait plutôt que les pays puissent bâtir les avantages comparatifs industriels dont ils ne disposaient pas.
Une mise en pratique difficile
La mise en pratique de ce principe général s’est révélée difficile. S’il ne s’agissait pas de se couper complètement de l’extérieur, quels secteurs d’importation précisément fallait-il pénaliser ? Et avec quels outils ? Plutôt des quotas d’importations ou des droits de douane ?
Prebisch avait bien anticipé le fait que si chaque pays se lançait dans ce genre de politique, chacun allait chercher à bâtir des industries de biens de consommation pour son petit marché qui entreraient en concurrence avec celles des autres pays, au détriment de tous. C’est pourquoi il préconisait de suivre cette politique sur une base régionale. A la fin des années 1950, il écrivait que « dans certains cas, une protection massive et indiscriminée a été bien au-delà du niveau optimal ».
Devenu le secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) en 1964, il écrit dès son premier rapport que le recours à des taxes élevés sur les importations a conduit au développement de petites unités de production peu productives et peu profitables.
Les économistes pionniers de la pensée sur les stratégies de développement partageaient les craintes de Prebisch d’un développement contraint, mais sans forcément le suivre sur le principe de la stratégie d’import-substitution. Le Suédois Gunnar Myrdal n’y était pas hostile, préférait les droits de douane aux quotas d’importations, sources à ses yeux de corruption, et insistait plutôt sur les politiques de promotion des exportations. L’Américain Ragnar Nurkse insistait sur les aspects financiers, ce qui permet de mieux comprendre pourquoi l’idée de la substitution aux imports s’est imposée à l’époque.
Dans les années 1950-1960, les pays en développement n’avaient pas accès aux marchés de capitaux internationaux, alors peu importants et politiquement encadrés. Ils devaient payer leurs importations en utilisant les maigres réserves de change gagnées par leurs exportations. D’où l’idée d’affecter en priorité ces dernières à l’achat de biens d’équipement. Mais pour que cela soit utile au développement, il fallait pouvoir financer, en interne, des projets d’investissement, raison pour laquelle Ragnar Nurkse s’inquiétait de la disponibilité d’une épargne domestique suffisamment abondante pour financer ces projets.
Finalement, les pays émergents d’Asie montreront une autre voie de développement, fondée sur la production et l’exportation de biens industriels à bas coût de main-d’œuvre. D’autres pays, en Afrique, en Amérique latine, profiteront de l’ouverture des marchés de capitaux internationaux pour s’endetter en dollars et finiront dans une crise de la dette au début des années 1980. Mais c’est une autre histoire.
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