En refusant vendredi de s’aligner sur l’Arabie Saoudite et l’Opep pour réduire la production de brut et permettre ainsi de soutenir les prix dans un contexte international de crise sanitaire, “la Russie a déclenché ce qui pourrait bien devenir la plus dévastatrice des guerres du prix du pétrole de l’histoire récente”, observe le site professionnel Oilprice.com.

En représailles, l’Arabie Saoudite a radicalement changé sa stratégie et décidé d’inonder la planète avec du pétrole à prix cassé, pour “arracher à Moscou ses parts de marché”, selon des délégués de l’Opep interrogés par le Wall Street Journal.
Un pari risqué, qui a fait plonger de 9 % l’action d’Aramco, le géant pétrolier saoudien, et provoqué la chute du baril de brent ­ – la référence internationale – “de 45 à 31,52 dollars, l’une des plus grosses baisses de son histoire sur une seule journée”, écrit le Financial Times. Il faut remonter à la première guerre du Golfe, en 1991, pour voir un tel effondrement des prix en moins de vingt-quatre heures.
La nouvelle a également fait “plonger les Bourses asiatiques, le marché des actions japonais chutant de 3 % à l’ouverture”, tandis que “la Bourse australienne a reculé de 5 %”, observe le Washington Post. Hong Kong a cédé 3,8 % tandis que la Bourse de Shanghai a lâché 1,56 % à l’ouverture. Selon plusieurs experts, le prix du baril pourrait poursuivre sa dégringolade jusqu’à 20 dollars.
“Ce qui rend cette guerre des prix particulièrement grave, c’est qu’elle coïncide avec une crise massive de la demande, en raison du coronavirus”, explique au Wall Street Journal le consultant Robert McNally, président de Rapidan Energy Group. “Nous n’avions pas connu cette combinaison explosive depuis le début des années 1930”, dit-il.

“Masochisme”

Pour les Russes, la baisse de la production demandée par l’Opep aurait favorisé l’écoulement du pétrole de schiste américain. Une situation insupportable pour Moscou, qui a préféré faire cavalier seul et aller au clash.
“Du point de vue des intérêts russes, cet accord (de baisse de la production) n’a aucun sens”, a déclaré dimanche Mikhaïl Leontiev, porte-parole du géant russe de l’énergie Rosneft, à l’agence de presse Ria Novosti. Pour lui, retirer du marché les pétroles arabe et russe à bas prix reviendrait à “laisser la place aux schistes américains à prix élevés, pour rendre leur industrie rentable. Notre production serait tout simplement remplacée par celle de nos concurrents. C’est du masochisme”, assène-t-il.
Mais pour le New York Times, “la Russie comme l’Arabie Saoudite semblent viser un bénéfice à court terme, stratégiquement risqué. La Russie avait acquis une influence notable au Moyen-Orient, en s’alignant avec l’Opep. Et contribuer à soutenir les prix du pétrole, en accord avec l’Arabie Saoudite et les autres États du Golfe, a aidé le gouvernement de Nicolás Maduro (un allié de Moscou) à survivre au Venezuela”, observe le quotidien.
“Pour l’Arabie Saoudite, la coopération avec la Russie a renforcé l’influence de l’Opep, au moment où elle était menacée par la croissance de la production pétrolière américaine, qui a fait des États-Unis un exportateur majeur de brut, pour la première fois depuis des décennies”, ajoute le journal américain.
Si la Russie et l’Arabie Saoudite n’enterrent pas la hache de guerre au plus vite, l’agence Bloomberg craint des conséquences “cataclysmiques” pour l’industrie pétrolière américaine, qui affecteront “les géants tels qu’Exxon Mobil comme les petits exploitants de schistes du Texas”.
“Cela touchera durement les budgets des nations dépendant du pétrole, de l’Angola au Kazakhstan, et pourrait aussi redistribuer les cartes politiques, en réduisant l’influence de pays comme l’Arabie Saoudite”, ajoute l’agence économique. “Et le combat contre le changement climatique pourrait subir un revers, les énergies fossiles devenant plus compétitives que les énergies renouvelables.”