Source: project-syndicate.org par Joseph E. Stiglitz
NEW-YORK
– En tant que pédagogue, je suis toujours en recherche d'exemples dans
l'actualité qui illustrent ou renforcent la validité des principes que
j'enseigne - or une pandémie focalise l'attention sur ce qui compte
vraiment.
La crise du
Covid-19 est riche d'enseignements, notamment pour les USA. Voici l'un
d'eux : les virus ignorent les passeports, sont indifférents aux
frontières nationales et à la rhétorique nationaliste. Dans notre monde
extrêmement intégré, une maladie contagieuse qui apparaît dans un pays
est appelée à se répandre partout sur la planète.
La
propagation des maladies est un effet secondaire de la mondialisation.
Chaque fois qu'une telle crise transfrontalière émerge, il y faut une
réponse internationale basée sur la coopération, comme dans le cas du
réchauffement climatique. De même que les virus, les gaz à effet de
serre sèment le chaos et impactent fortement tous les pays du fait des
ravages causés par le réchauffement climatique et les événements
météorologiques extrêmes qui lui sont associés.
Aucun
président américain n'a fait autant que Donald Trump pour ébranler la
coopération internationale et affaiblir le rôle de l'Etat. Pourtant,
face à un événement tel qu'une épidémie ou une inondation, nous nous
tournons vers l'Etat, parce que nous savons qu'il y faut une réponse
collective. La réponse individuelle est insuffisante et nous ne pouvons
pas compter sur le secteur privé. Trop souvent, cherchant à augmenter
leurs profits, les entreprises voient les crises comme une occasion pour
augmenter les prix, comme on le constate avec les masques de protection.
Malheureusement, depuis le président Reagan on nous serine
que "l'Etat n'est pas la solution à nos problèmes, mais qu'il constitue
le problème". Croire cela conduit dans une impasse, mais Trump va plus
loin dans cette direction que tout autre dirigeant américain.
Aux USA c'est une institution scientifique des plus vénérables, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC, Center for Disease Control and Prevention)
qui orchestre la réaction face au Covid-19. Ses membres sont des
professionnels hautement compétents et très engagés dans leur mission,
mais ils représentent un danger pour Trump, le summum du politicien
ignare, car ces spécialistes sont susceptibles de le contredire chaque
fois qu'il essaye de tordre la réalité à son propre profit.
La foi peut
nous aider à faire face aux morts causés par une épidémie, mais elle ne
peut se substituer au savoir médical et scientifique. La pensée magique
et les prières ont été inefficaces face aux épidémies de peste noire au
Moyen-âge. Heureusement, depuis cette époque l'humanité a accompli des
progrès scientifiques remarquables. Lors de l'apparition du Covid-19,
les scientifiques ont pu rapidement l'identifier, repérer ses mutations
et se mettre à la recherche d'un vaccin. Il nous reste beaucoup à
apprendre sur ce virus et ses effets sur les êtres humains, mais sans la
science, nous serions entièrement à sa merci, et il y aurait une énorme
panique.
Il faut
des moyens à la recherche scientifique. Mais le prix de revient des plus
grands progrès scientifiques de ces dernières années est dérisoire par
rapport aux largesses de Trump en faveur des firmes les plus riches et
des réductions d'impôt décidées par les républicains du Congrès en 2017.
Le budget consacré à la science est ridicule comparé au coût probable
pour l'économie de l'épidémie en cours - sans parler de la dégringolade
des Bourses.
Néanmoins, ainsi que le souligne Linda Bilmes de la Harvard Kennedy School
(une école d'administration publique), le gouvernement de Trump a
proposé plusieurs fois de diminuer le budget consacré au CDC (une
réduction de 10% in 2018 et de 19% in 2019). Au plus mauvais moment que
l'on puisse imaginer, au début de cette année, Trump a réclamé une
baisse de 20% des programmes destinés à combattre les maladies
contagieuses émergentes et les zoonoses (maladies transmissibles des
animaux vertébrés aux êtres humains). Et en 2018 il a décapité la tête du département sécurité sanitaire et biodéfense du Conseil de sécurité nationale (NSC, National Security Council).
Il
n'est donc pas étonnant que le gouvernement se montre inefficace face
au Covid-19. Bien que depuis des semaines il soit à l'origine d'une
épidémie, les USA n'ont pas les moyens suffisants
pour tester les personnes susceptibles d'être atteintes (même comparés à
des pays bien moins riches comme la Corée du Sud) et ils ne disposent
pas des procédures et des protocoles adaptés pour les voyageurs en
provenance de l'étranger et potentiellement exposés au virus.
Cette
insuffisance de moyens rappelle qu'il vaut mieux prévenir que guérir.
Mais quelle que soit la menace qui pèse sur l'économie, la réaction de
Trump consiste à demander davantage de relâchement monétaire et de
baisses d'impôt (généralement pour les riches), comme si la baisse des
taux d'intérêt suffisait à elle seule à relancer la Bourse.
Cette
réponse de charlatan sera sans doute encore moins efficace qu'en 2017,
lorsque les baisses d'impôt ont donné un coup de fouet provisoire à
l'économie - coup de fouet dont l'effet s'est dissipé dans les premiers
jours de 2020. Beaucoup d'entreprises américaines ayant des problèmes
d'approvisionnement, il est difficile d'imaginer qu'elles vont procéder
tout d'un coup à des investissements d'importance du seul fait d'une
baisse des taux d'intérêt de 50 points de base (en supposant que les
banques commerciales répercutent cette baisse sur leurs clients).
Pire
encore, la facture à régler pour l'épidémie pourrait gonfler, notamment
si l'on ne parvient pas à contenir le virus. En l'absence de congés
maladie indemnisés, beaucoup de salariés touchés par le virus ne
s'arrêteront pas de travailler. En l'absence d'assurance-maladie
adéquate, ils vont être réticents à se faire tester pour le virus et à
devoir verser une somme colossale pour se faire soigner. Il ne faut pas
sous-estimer le nombre d'Américains vulnérables. Sous la présidence de
Trump, quelques 37 millions d'entre eux ne mangent pas toujours à leur faim, tandis que la morbidité et la mortalité augmentent dans le pays.
Ces
risques vont augmenter en cas de panique. Les prévenir suppose de la
confiance, notamment envers ceux qui ont la responsabilité d'informer la
population et de répondre à la crise. Mais depuis des années Trump et
le parti républicain ont soigneusement semé les graines de la méfiance à
l'égard de l'Etat, de la science et des journalistes, tout en lâchant
la bride aux médias sociaux avides de profit comme Facebook qui en toute
connaissance de cause laisse sa plateforme être utilisée pour répandre
de fausses informations. Et la réaction maladroite de Trump et de son
gouvernement face au coronavirus va réduire encore davantage la
confiance envers l'Etat.
Cela
fait des années que les USA auraient dû se préparer aux risques liés
aux pandémies et au réchauffement climatique. Seule une gouvernance
basée sur la science peut nous épargner ce genre de crise. Maintenant
que nous sommes confrontés à ces deux menaces en même temps, espérons
qu'il existe encore suffisamment de fonctionnaires et de scientifiques
consciencieux au sein du gouvernement pour nous protéger de Trump et de
ses affidés incompétents.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
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