Jean-Yves Archer analyse et décrypte la stratégie et les mesures
annoncées par la Banque centrale européenne face à la crise de
Coronavirus et son impact sur l'économie et la zone euro.
Nous
sommes, en France, en phase 3 ce qui veut dire que nous n'avons pas
encore en ligne de mire le pic de l'épidémie de coronavirus. Et
pourtant, notre valeureux système hospitalier montre déjà des signes de
saturation notamment dans le Grand Est.
Anticiper une réflexion d'envergure
Dans ce contexte de crise pandémique, il paraîtra superflu, à certaines composantes du présent lectorat, de s'interroger dès maintenant sur la nouvelle crise de la zone euro qui nous guette. Pourtant, je l'affirme, il faut déjà réfléchir aux conséquences du méga-endettement public qui se profile.L'Europe a trop souvent souffert de défauts d'anticipation et de pilotage à vue.
Les données sont d'ores et déjà connues. Pour faire face au choc d'offre largement lié à notre sino-dépendance et au choc de la demande issu de la bonne et valable précaution des consommateurs, l'État a été contraint d'engager une politique dite contra-cyclique en injectant des milliards afin de soutenir la trésorerie des TPE et des PME, d'accorder des moratoires sur les charges sociales voire des dégrèvements fiscaux. De plus, pour un coût encore inconnu, l'État assume le coût du chômage partiel qui vise désormais 450.000 personnes. Et tout ceci pour une durée, elle aussi, inconnue.
Les garanties d'emprunts via BPI France vont atteindre plus de 300 milliards d'euros ce qui permet, par ricochet, d'assurer une qualité des bilans des banques qui pourront ainsi porter un effort de distribution de crédit sans précédent.
La plupart des secteurs de l'économie sont à l'arrêt et la notion de chiffre d'affaires est souvent devenue aussi soluble que du sucre dans un café trop chaud.
Une BCE aux actions trop saccadées
La BCE a lourdement raté son entrée en scène il y a 9 jours et n'a pas rassuré les marchés. Madame Lagarde et son collège n'ont pas eu la " magic touch " de Mario Draghi et de son " Whatever it takes".Hier, elle a décidé d'injecter 750 Mds via un PEPP ( programme d'achat urgence pandémique ) pour lutter contre les effets immédiats de la crise financière. Cette somme d'importance vient se coaliser aux 120 Mds de la semaine passée. Donc son bilan, que la période 2008-2020 a déjà vu enfler, va continuer de s'inflater. La contrepartie étant la confiance dans la monnaie commune dont la BCE est garante mais désormais pompier pyromane tant la création monétaire est une vulgaire parodie de la planche à billets du système de John Law et de ses trop célèbres assignats.
La valeur intrinsèque de l'Euro en danger
Que nul ne s'y trompe, on n'émet pas près de 9% du PIB de la zone euro en dettes, y compris à court terme, sans mettre en jeu la confiance des opérateurs locaux et internationaux qui savent déjà que l'euro n'a pas réussi, depuis sa création, à devenir une monnaie de réserve comme a su le démontrer l'économiste Jacques Sapir et d'autres universitaires.Un "no limits" trop conventionnel
Cette sorte de " No limits " de Christine Lagarde traduit le manque d'ingénierie publique bancaire et s'en remet à des outils tellement frustres qu'ils laissent un espace béant pour que la spéculation anti-euro puisse se déployer. Notons que d'ores et déjà, les spreads ( l'écart avec le taux allemand ) se sont momentanément resserrés ( notamment pour l'Italie ) mais tout ceci ne sera, hélas, que provisoire.Quand les différents instituts publics de statistiques parleront récession, chiffres en mains, et effondrement des productions, le grand bal de la destruction de valeurs commencera car chaque opérateur comprendra que nous sommes loin de la fameuse phrase que l'éminent Jacques Rueff avait réservé aux seuls États-Unis du fait de la suprématie du dollar : " le déficit sans pleurs ". Nos incontournables déficits auront un prix, celui de la dépréciation de la monnaie commune. Et non de sa dévaluation qui supposerait un acte juridique collectif concerté.
Pour ceux qui doutent de cette éventualité, qu'ils relisent certains analystes financiers qui avaient récemment juré que jamais le CAC ne perdrait plus de 20% Dont acte, il est en repli de 32% depuis le 31 décembre 2019…
"Shut down" et situation italienne
L'arme de l'endettement public a été dégainée face au " shut down " de l'économie européenne mais elle n'emportera pas la conviction définitive de nos créanciers trop inquiets de la dilution partielle de nos structures de production.Un créancier doit être confiant au moyen des revenus futurs de son débiteur ( notre PIB de demain ) ou de l'épargne privée qui sert de caution dormante mais bel et bien tangible.
S'agissant de nos amis italiens, ils étaient déjà en récession avant cette satanée crise du Covid-19 et présentaient une configuration économique ( plus de 135,3% de dette sur PIB ) tendue. Ce qui va être vicieux, en 2021, c'est que l'on va rapporter un stock nominal de dettes à un PIB très entamé.
En pure arithmétique, le ratio va se dégrader et impressionner les observateurs. Idem pour les autres pays, y compris celui que tentent de conduire Messieurs Macron et Le Maire même au prix d'injonctions contradictoires pénalisantes.
Le grand schisme en zone Euro
Lorsque le temps sera venu de faire les comptes et de repartir de l'avant, notre Continent va se heurter au même hiatus que lors de la première crise de l'Euro survenue il y a dix ans. Il y aura la ligne des inflexibles qui exigeront des plans d'austérité pourtant nuisibles pour le taux de croissance comme l'a montré l'exemple grec ou le début du quinquennat Hollande et son sévère matraquage fiscal.Il y aura, à l'opposé, ceux qui militeront pour une trajectoire saine mais graduelle des finances publiques afin de respecter les délais de rééducation fonctionnelle de nos économies fort endolories. Quand on vient de subir un choc séculaire, on peut se donner dix ans pour se remettre d'aplomb. Attaché à l'équilibre des budgets publics, les faits me conduisent à préconiser cette voie et à espérer que bien des voix porteront l'esprit de ce message à Berlin ou ailleurs.
Mais, en conscience, j'estime que l'Union européenne n'aura pas la maturité politique pour parvenir à un accord d'envergure.
Vers l'épilogue
L'Allemagne est de plus en plus atteinte de strabisme et rêve de créer quelque chose avec son Hinterland. Quand l'Histoire lui présentera le prix de la solidarité européenne, elle mettra peut-être à exécution ses rêves de MittelEuropa reposant sur plus de 160 millions de citoyens plutôt que faire preuve de solidarité.Dès lors, nous aurons à apprendre à nos enfants que le rêve européen d'une monnaie unique et d'une grande famille de nations s'est dissous du fait d'un virus qui aura été notre Armageddon continental.
Oui, l'euro est clairement menacé par notre avenir commun davantage que collectif. Dans le test de Rorschach que nous inflige le coronavirus, les différents pays ne voient pas les mêmes représentations historiques et les mêmes images financières.
Ils sont aussi navrants que lorsqu'ils discutent comme des boutiquiers au sujet de la PAC ( politique agricole commune ). Dès lors, on les voit mal inventer cette sorte de nouveau Bretton-Woods qu'il faudrait à nos peuples épris de paix et en demande de justice sociale.
Européen convaincu, j'espère que le chas de l'aiguille permettra à notre monnaie de survivre mais une once de lucidité me charge d'une tonne de doutes. Depuis deux mois, l'Euro est une espèce menacée voire en début d'extinction tel un gibier chétif.
Retrouvez l'analyse de Jézabel Couppey-Soubeyran et François-Xavier Oliveau sur la politique de la BCE face à l'épidémie de Covid-19, publiée sur Atlantico : ICI
source atlantico.fr par Jean-Yves Archer
Plus: Jacques Sapir sur l'euro
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