L’épidémie met
en exergue les faiblesses d’une économie interconnectée déjà contestée.
Mais sommes-nous prêts à renoncer au modèle qui nous a rendus si
riches ? s’interroge la journaliste économique de cet
hebdomadaire britannique, The Spectator.
Source: courrierinternational.com par Kate Andrews
Il y a dix ans, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
a proposé une nouvelle définition du mot “pandémie” : une maladie qui
contamine un grand nombre de personnes et qui se propage rapidement dans
le monde. De nos jours, il suffit que le premier critère soit rempli
pour que le second ne tarde pas à l’être.
Aujourd’hui, tout va plus vite : les marchandises, les services, les maladies et – surtout – la peur. Alors que le nombre de cas de Covid-19 augmente, il en va de même de ce que nous coûte notre façon d’y réagir : déjà près de 1 500 milliards de dollars comptabilisés pour les vols annulés, les commandes reportées et les entreprises qui mettent la clé sous la porte – résultat inévitable de notre société mondialisée, interconnectée.
Un virus apparu à Wuhan cause l’annulation d’un match de rugby programmé entre l’Italie et l’Irlande à Dublin. Dans le monde entier, voyages d’affaires et conférences sont annulés, les commandes mises en attente. Or cet instant n’est pas seulement critique pour les entreprises individuelles, ni même pour un pays donné. C’est peut-être un tournant pour la mondialisation elle-même.
Et ça fonctionnait, pour des millions de gens. La misère dégringolait, l’espérance de vie montait en flèche. En achetant à bas pris, nous partagions notre richesse. Qui aurait pu s’en plaindre ?
Mais la mondialisation est également source de bouleversement. L’automatisation, la stagnation des salaires et le déclin des industries traditionnelles ont quelque peu gâché l’ambiance, alors que de nombreux participants à la fête étaient de plus en plus mécontents du sort que leur réservait le système. À tort ou à raison, aujourd’hui, beaucoup rendent la mondialisation responsable de leurs maux.
Donald Trump veut y voir la confirmation de ses idées. Il y a deux ans, il a déclaré à l’Assemblée générale des Nations unies qu’il rejetait le “mondialisme”, et depuis, pour mieux en faire la démonstration, il a multiplié les conflits économiques avec la Chine. On s’était moqué de lui à l’époque, mais aujourd’hui, même Emmanuel Macron, champion autoproclamé du libéralisme planétaire, a dû concéder que la mondialisation était face à une “crise majeure”. La vision d’un avenir sans frontières prônée par l’Union européenne est remise en cause tant par ses propres électeurs que par les réalités de l’évolution démographique. Les frontières et les barrières sont de retour, au départ pour endiguer l’afflux de migrants et maintenant pour enrayer l’épidémie. Quand l’Autriche a décidé qu’elle avait besoin d’une frontière avec l’Italie le mois dernier, elle n’a fait que suivre la tendance : quand le mur de Berlin est tombé en 1989, on recensait 15 murs ou clôtures entre pays dans le monde entier. Aujourd’hui, on en dénombre 77, et ce n’est pas fini.
L’idée de la mondialisation reposait sur le principe de la liberté (presque totale) de mouvement des biens et des personnes d’un endroit à un autre. Le Covid-19 vient une fois de plus nous rappeler que ce modèle est menacé de tous côtés : par les populistes, les terroristes, et maintenant par un nouveau virus. Nos processus de fabrication “juste à temps”, où les pièces sont livrées juste avant d’être assemblées pour aboutir au produit fini, se sont avérés aussi peu coûteux qu’efficaces, mais ils sont extrêmement instables en situation de blocage planétaire. Chez les acteurs du secteur des hautes technologies comme chez les producteurs de médicaments, de graves failles ont été révélées dans les chaînes logistiques.
Des années durant, les optimistes du commerce mondial ont attendu que les choses reviennent à la “normale” après le krach de 2008. Elles ne l’ont jamais fait, et ne le feront peut-être jamais. Ce krach n’a pas seulement sapé la confiance dans les Bourses et les marchés immobiliers. Il a également remis en question notre foi dans la mondialisation, convaincus que nous étions que, sous sa forme actuelle, elle pourrait répondre à une nouvelle série de maux économiques. Depuis 2012, le commerce mondial a subi un net ralentissement, ce qui en fait la plus longue période de stagnation commerciale relative depuis la Seconde Guerre mondiale.
On a voulu considérer comme acquis les fabuleux progrès réalisés grâce à l’interconnexion de la planète, mais aujourd’hui, l’actualité braque la lumière crue de ses projecteurs sur les faiblesses de la mondialisation. L’expansion du commerce international a entraîné une rupture entre les salariés et des patrons anonymes avec lesquels ils n’ont plus de liens, tout en attisant le ressentiment face aux inégalités et l’hostilité face aux apôtres du changement. Les inquiétudes à propos de l’environnement entrent en conflit avec le volume des émissions de dioxyde de carbone nécessaires au transport de nos marchandises et de nous-mêmes autour du globe.
De plus en plus, responsables politiques et chefs d’entreprise voient dans l’interconnectivité avec le reste du monde un danger plutôt qu’un atout. D’aucuns appellent de leurs vœux des technologies capables de limiter la dépendance vis-à-vis de la production étrangère : des avancées dans des domaines comme l’impression en 3D pourraient bouleverser, voire condamner à l’obsolescence des chaînes logistiques. La recherche de sources d’énergie renouvelables et moins chères pourrait jouer en faveur d’une production à domicile.
Un virus ne suffira pas à inverser la mondialisation du jour au lendemain. Mais le Covid-19 a peut-être accéléré un changement déjà entamé dans les structures économiques qui ont donné le ton des vingt dernières années. Ce qu’il adviendra ensuite sera formulé par un monde fasciné par l’interconnectivité, mais qui se méfie des fragilités qui en sont indissociables. Continuerons-nous à adopter les comportements qui sont à l’origine de notre richesse actuelle ? C’est de cela que va dépendre la prospérité de notre nouveau monde.
Aujourd’hui, tout va plus vite : les marchandises, les services, les maladies et – surtout – la peur. Alors que le nombre de cas de Covid-19 augmente, il en va de même de ce que nous coûte notre façon d’y réagir : déjà près de 1 500 milliards de dollars comptabilisés pour les vols annulés, les commandes reportées et les entreprises qui mettent la clé sous la porte – résultat inévitable de notre société mondialisée, interconnectée.
Un virus apparu à Wuhan cause l’annulation d’un match de rugby programmé entre l’Italie et l’Irlande à Dublin. Dans le monde entier, voyages d’affaires et conférences sont annulés, les commandes mises en attente. Or cet instant n’est pas seulement critique pour les entreprises individuelles, ni même pour un pays donné. C’est peut-être un tournant pour la mondialisation elle-même.
Pas tout le monde ne profite de la fête
Depuis près d’une vingtaine d’années, la mondialisation a été la norme – ni remise en question ni contestée par aucun des pays les plus puissants du monde. Autrement dit, elle était censée être notre avenir. Tous s’enrichissaient grâce à une connectivité toujours plus efficace et des marchés en expansion. S’il était possible d’agir sur les prix en faisant fabriquer des iPhone en Chine ou décortiquer des langoustes écossaises en Thaïlande, pourquoi s’en priver ?Et ça fonctionnait, pour des millions de gens. La misère dégringolait, l’espérance de vie montait en flèche. En achetant à bas pris, nous partagions notre richesse. Qui aurait pu s’en plaindre ?
Mais la mondialisation est également source de bouleversement. L’automatisation, la stagnation des salaires et le déclin des industries traditionnelles ont quelque peu gâché l’ambiance, alors que de nombreux participants à la fête étaient de plus en plus mécontents du sort que leur réservait le système. À tort ou à raison, aujourd’hui, beaucoup rendent la mondialisation responsable de leurs maux.
La perspective d’un avenir sans frontière mis à mal
Le coronavirus vient tout juste de saccager un peu plus les réjouissances, en nous rappelant les risques que nous courons quand, par exemple, la moitié du secteur britannique de l’outillage a été externalisé en Chine. Quand des usines ferment à l’étranger, l’activité ralentit chez nous : quelle que soit désormais la trajectoire du virus, l’OCDE estime qu’il a torpillé toute croissance économique attendue pour l’année. Ce ne sont pas que des chiffres sur un bilan. On parle là de milliards de livres de richesse et de ressources, littéralement balayées de la carte.Donald Trump veut y voir la confirmation de ses idées. Il y a deux ans, il a déclaré à l’Assemblée générale des Nations unies qu’il rejetait le “mondialisme”, et depuis, pour mieux en faire la démonstration, il a multiplié les conflits économiques avec la Chine. On s’était moqué de lui à l’époque, mais aujourd’hui, même Emmanuel Macron, champion autoproclamé du libéralisme planétaire, a dû concéder que la mondialisation était face à une “crise majeure”. La vision d’un avenir sans frontières prônée par l’Union européenne est remise en cause tant par ses propres électeurs que par les réalités de l’évolution démographique. Les frontières et les barrières sont de retour, au départ pour endiguer l’afflux de migrants et maintenant pour enrayer l’épidémie. Quand l’Autriche a décidé qu’elle avait besoin d’une frontière avec l’Italie le mois dernier, elle n’a fait que suivre la tendance : quand le mur de Berlin est tombé en 1989, on recensait 15 murs ou clôtures entre pays dans le monde entier. Aujourd’hui, on en dénombre 77, et ce n’est pas fini.
La fabrication “juste à temps” particulièrement instable
Le coronavirus lui-même est un redoutable agent de la démondialisation. Il a interrompu les déplacements des populations locales et des touristes, empêché les salariés de se rendre à leur travail, fermé boutiques et restaurants, coupé net la chaîne logistique entre les pays. Quand l’épidémie de Sras a éclaté en 2002, la Chine ne représentait que 4 % de l’économie. Aujourd’hui, ce chiffre est de 16 %. L’économie planétaire s’est développée au profit de la Chine parce que bien des entreprises en sont venues à s’appuyer sur les exportations chinoises bon marché, sans trop se soucier du risque qu’il y avait à faire d’un régime autoritaire le moteur de la production mondiale. Mais les priorités et les attitudes sont en train de changer rapidement.L’idée de la mondialisation reposait sur le principe de la liberté (presque totale) de mouvement des biens et des personnes d’un endroit à un autre. Le Covid-19 vient une fois de plus nous rappeler que ce modèle est menacé de tous côtés : par les populistes, les terroristes, et maintenant par un nouveau virus. Nos processus de fabrication “juste à temps”, où les pièces sont livrées juste avant d’être assemblées pour aboutir au produit fini, se sont avérés aussi peu coûteux qu’efficaces, mais ils sont extrêmement instables en situation de blocage planétaire. Chez les acteurs du secteur des hautes technologies comme chez les producteurs de médicaments, de graves failles ont été révélées dans les chaînes logistiques.
Des entreprises de plus en plus conscientes des failles
Nombre d’entreprises sont conscientes d’être trop dépendantes de processus de production qui échappent à leur contrôle. Les barrières douanières, les guerres commerciales et la nonchalance de la Chine dans le domaine de la propriété intellectuelle constituaient des problèmes sérieux bien avant que l’on s’interroge sur la capacité de Pékin à gérer une épidémie.Des années durant, les optimistes du commerce mondial ont attendu que les choses reviennent à la “normale” après le krach de 2008. Elles ne l’ont jamais fait, et ne le feront peut-être jamais. Ce krach n’a pas seulement sapé la confiance dans les Bourses et les marchés immobiliers. Il a également remis en question notre foi dans la mondialisation, convaincus que nous étions que, sous sa forme actuelle, elle pourrait répondre à une nouvelle série de maux économiques. Depuis 2012, le commerce mondial a subi un net ralentissement, ce qui en fait la plus longue période de stagnation commerciale relative depuis la Seconde Guerre mondiale.
On a voulu considérer comme acquis les fabuleux progrès réalisés grâce à l’interconnexion de la planète, mais aujourd’hui, l’actualité braque la lumière crue de ses projecteurs sur les faiblesses de la mondialisation. L’expansion du commerce international a entraîné une rupture entre les salariés et des patrons anonymes avec lesquels ils n’ont plus de liens, tout en attisant le ressentiment face aux inégalités et l’hostilité face aux apôtres du changement. Les inquiétudes à propos de l’environnement entrent en conflit avec le volume des émissions de dioxyde de carbone nécessaires au transport de nos marchandises et de nous-mêmes autour du globe.
La fin du statu quo politique
Nous ne savons pas encore dans quelle mesure les pertes dues au coronavirus seront comparables à celle causées par la grippe saisonnière habituelle (17 000 morts par an en moyenne au Royaume-Uni), mais il semble probable que ce virus aura un impact durable, ce qui en fera un tournant dans l’histoire de l’hypermondialisation. Politiquement, c’est la fin du statu quo à ce sujet.De plus en plus, responsables politiques et chefs d’entreprise voient dans l’interconnectivité avec le reste du monde un danger plutôt qu’un atout. D’aucuns appellent de leurs vœux des technologies capables de limiter la dépendance vis-à-vis de la production étrangère : des avancées dans des domaines comme l’impression en 3D pourraient bouleverser, voire condamner à l’obsolescence des chaînes logistiques. La recherche de sources d’énergie renouvelables et moins chères pourrait jouer en faveur d’une production à domicile.
Un virus ne suffira pas à inverser la mondialisation du jour au lendemain. Mais le Covid-19 a peut-être accéléré un changement déjà entamé dans les structures économiques qui ont donné le ton des vingt dernières années. Ce qu’il adviendra ensuite sera formulé par un monde fasciné par l’interconnectivité, mais qui se méfie des fragilités qui en sont indissociables. Continuerons-nous à adopter les comportements qui sont à l’origine de notre richesse actuelle ? C’est de cela que va dépendre la prospérité de notre nouveau monde.
Source: “Le Spectateur” est une institution de la presse britannique. Fondé en
1828, c’est le journal de référence des intellectuels et dirigeants
conservateurs, mais aussi des eurosceptiques : The Spectator a soutenu la sortie de l’Union.
Source: courrierinternational.com par Kate Andrews
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