La crise sanitaire globale déclenchée par le Covid-19 (ou nouveau coronavirus) est, à son origine, une crise écologique : ce virus – comme avant lui le Sras, le Mers, Ebola et dans une certaine mesure le virus du Sida – est une pathologie de la frontière homme-animal. C’est parce que les humains sont allés trop loin dans la destruction des écosystèmes, la conquête de la biodiversité et la marchandisation du vivant qu’ils sont aujourd’hui affectés, paniqués et paralysés, en somme conquis à leur tour.
Toute la question est à présent de savoir si les institutions humaines sont capables de résister à ce choc écologique et de l’atténuer ou, au contraire, si leur vulnérabilité va conduire à l’amplifier. L’urbanisation désormais universelle est à double tranchant : l’agglomération urbaine mondialisée est à la fois source de prospérité et de fragilité, tant les systèmes urbains contemporains sont, de concert, de puissants accélérateurs de bien-être et de formidables machines de propagation virale.
Les attitudes observées comme les politiques mises en œuvre jusqu’à présent laissent penser que les institutions sociales de nombre de pays ne sont pas prêtes à faire face aux chocs écologiques du XXIe siècle de manière démocratique.
Boucs émissaires
Il y a d’abord la crise de confiance qui prend chaque jour de l’ampleur, entre les individus comme entre ceux-ci et leurs institutions. La discrimination, la violence parfois, dont sont victimes dans une certaine indifférence les personnes d’origine asiatique, en France comme ailleurs dans le monde (par exemple à San Francisco, où Chinatown est devenue un quartier fantôme) est un symptôme inquiétant de la nécessité anthropologique des boucs émissaires. Dans ce contexte, les institutions doivent prendre le relais pour contenir les peurs, réduire l’incertitude et produire de la confiance.On mesure alors le prix de l’abaissement des protections collectives dans un pays comme la France, où l’hôpital public, qui demeure l’un des meilleurs au monde, est martyrisé depuis des années par la logique comptable du tableau Excel, alors même qu’il est l’institution dans laquelle les Français ont le plus confiance (à 80 %). De même, comment avoir pleinement confiance dans l’information et l’action d’un gouvernement qui recouvre le contrat intergénérationnel que les Français ont passé entre eux après la Seconde Guerre mondiale – le système de retraites par répartition – d’un nuage toxique d’incertitude inégalitaire ?
A l’inverse de ce que pourrait être une réponse humaniste et démocratique, c’est l’autoritarisme qui tient lieu de politique sanitaire, en Italie comme au Japon. L’influence géopolitique grandissante du « modèle chinois » se révèle en cette matière, comme en d’autres, redoutable, le masque de protection faisant également office de bâillon mis sur les libertés civiles au nom de l’efficacité économique.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) se trompe du tout au tout lorsqu’elle félicite le gouvernement italien pour son « sacrifice » économique : c’est au contraire au nom de la course de vitesse pour redevenir attractif économiquement que sont sacrifiés les libertés et les droits en Lombardie, en Vénétie et en Emilie-Romagne, de même que c’est la perspective des jeux Olympiques d’été qui justifie l’empressement brutal du gouvernement japonais.
Qui plus est, ces mesures de confinement font l’impasse sur l’inégalité sociale qu’elles engendrent. Le télétravail n’a de sens que pour une partie de la main-d’œuvre, les employés de la restauration, du bâtiment ou des transports pour ne parler que d’eux, souvent parmi les plus précaires, subiront de plein fouet des pertes de revenu qu’ils ne peuvent précisément pas supporter.
Le Covid-19 est bien davantage qu’un agent infectieux : c’est un impitoyable révélateur de nos failles collectives. De ce point de vue, la crise sanitaire est en train de muter, sous nos yeux, en alerte démocratique.
Source alternatives-economiques.fr par Eloi Laurent
Qui est Eloi Laurent? (sortir de la croissance!)
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