Comment la grève et la réforme des retraites sont-elles perçues aux États-Unis ?
La grève, c’est quelque chose de relativement exotique pour les États-Unis, parce qu’on ne connaît pas ce genre de situation. Il n’y a pas de mobilisation régulière comme en France. Les transports en commun et publics existent très peu, ou uniquement dans les grandes villes.
Concernant la réforme, on comprend l’inquiétude : vous avez le taux de pauvreté chez les retraités le plus bas du monde. Les Français voient leur système – enviable, admirable et unique – devenir sujet à l’ingérence de M. Macron.

De l’autre côté, d’un point de vue rationnel, ce qu’il propose semble être ni plus ni moins la préservation, sous une autre forme, du système qui existe actuellement. C’est plus une rationalisation du système actuel qu’un changement de fond en comble. Et il est faux de dire que l’exécutif va vers la capitalisation du système des retraites. Ça ne correspond pas à la réalité. Toute cette fumée autour du [fonds de pension] BlackRock, ce sont des balivernes.
Qu’est-ce qui ressort le plus de cette contestation ?
Depuis l’élection de Macron, la France est dans un état d’ébullition continuel : si ce n’est pas le monde ouvrier, ce sont les “délaissés” ruraux ou les périurbains. Quand un côté est relativement apaisé, de l’autre on se met en guerre. M. Macron, par sa posture et sa démarche, suscite pas mal de ressentiment, d’inquiétude et de colère. Et c’est d’ailleurs ça qui intéresse le lectorat américain : voir l’impact de la politique du chef d’État sur la société française.
Dans ce conflit, comme Philippe Martinez l’a dit, ce sont deux visions de la société qui s’opposent. [“Macron a une vision très individualiste, anglo-saxonne. ‘Vous devez vous débrouiller tout seul’. La vision de la CGT est fondée sur la solidarité. ‘Quoi qu’il arrive, la communauté sera là pour vous aider à vous en sortir.’”] Même en prenant compte les œillères idéologiques du syndicat, je crois qu’il n’est pas loin de la vérité.
Emmanuel Macron essaie de réconcilier la France avec le capitalisme, ce que personne n’a jamais réussi à faire jusqu’à présent. Face à cela, d’importantes catégories de la population résistent.
Comment la situation peut-elle évoluer ?
Il me semble qu’il y a des avancés, des victoires des deux côtés : Macron va réussir à faire passer une partie au moins de sa réforme, et Philippe Martinez – qui incarne plus que n’importe qui l’opposition au président – n’a pas tort lorsqu’il considère que les opposants ont réussi à faire reculer significativement le gouvernement sur plusieurs points. Ce n’est donc ni une victoire totale ni un échec pour chacun des deux camps.
Toutefois, je crois que Macron sort de cet épisode à moitié renforcé parce que ce qu’il n’a pas donné signe d’avoir reculé. Sa stratégie – se maintenir à distance et de laisser Édouard Philippe prendre les devants – était assez maligne. Certes, il a reculé sur certains points, mais pas sur l’essentiel. Et le soutien de son électorat, qui se situe à droite selon moi, Macron le conserve.
Quid de l’âge pivot, que le gouvernement a suspendu en attendant que les partenaires sociaux planchent sur le financement des retraites ?
Il serait extrêmement difficile pour le gouvernement de raviver cette notion-là et de repousser l’âge de la retraite à 64 ans. Maintenant qu’ils ont obtenu une trêve, ils n’ont certainement pas envie de remettre les gens dans la rue et de rameuter toute l’opposition.
Source: courrierinternational.com