11/01/2020

Les pyrocumulonimbus, ces dangereux nuages dus aux incendies en Australie



Pyrocumulonimbus au-dessus d’un feu de forêt en Californie, en 2012. (WIKIMEDIA COMMONS)
Créés par les feux de forêt, ces monstres du ciel aggravent les incendies et peuvent provoquer d’énormes dégâts, en générant notamment des « tornades de feu », voire affecter le climat planétaire.

Une tour de nuages de huit kilomètres de haut crache des rafales de vent, des braises ardentes et des éclairs. Au sol, le camion d’une équipe de sapeurs-pompiers se trouve pris dans une tourmente effroyable. Les survivants décriront une « tornade de feu » qui a soulevé l’arrière du véhicule et l’a retourné. Samuel McPaul, un volontaire de 28 ans, y laissera la vie le 30 décembre, dans les forêts en feu de Nouvelle-Galles du Sud (Australie). A l’origine de ce drame, un phénomène météorologique aux allures apocalyptiques baptisé pyrocumulonimbus, parfois connu sous le surnom de firestorm (« tempête de feu »).

Un nuage né dans les flammes

Lors d’un incendie de forêt, des masses d’air chaud s’élèvent dans l’atmosphère, formant un panache de cendres et de fumées, mais aussi de la vapeur d’eau au-dessus. « Si les conditions ne sont pas trop sévères, le feu peut produire un nuage nommé pyrocumulus, qui est tout simplement un nuage formé au-dessus du feu. Ils sont généralement bénins et n’affectent pas les conditions au sol, détaille Rachel Badlan, chercheuse en dynamique atmosphérique à l’université de Nouvelle-Galles du Sud (Sydney). Mais si le feu est particulièrement vaste ou intense, ou si l’atmosphère au-dessus est instable, ce processus peut donner naissance à un pyrocumulonimbus et ça, c’est un monstre beaucoup plus malveillant. »
L’air échauffé par l’incendie va s’élever rapidement avec le panache de fumée, et les turbulences les mélanger à de l’air plus froid au fur et à mesure qu’il gagne en altitude. Lorsque la pression atmosphérique devient plus faible, un nuage va se former et pourra permettre à un orage de se développer. La pluie, entrant en contact avec l’air chaud et sec du dessous, va faire naître de puissantes rafales dirigées vers le sol.
« Le temps sous ces nuages peut être violent, ajoute Rachel Badlan. Alors que le nuage se forme, la circulation de l’air crée des vents forts avec des rafales descendantes dangereuses et erratiques, des souffles d’air verticaux qui frappent le sol et se dispersent dans toutes les directions. » Des coups de vent imprévisibles, atteignant les 120 à 140 km/h, qui peuvent faire changer la direction d’un incendie et mettre en danger la vie des personnes au sol, habitants et secouristes. C’est l’une de ces rafales qui a renversé le camion transportant Samuel McPaul et ses collègues…
Les vents forts risquent aussi d’attiser les flammes et de modifier l’intensité et la direction du feu. Ils peuvent également transporter des braises incandescentes sur de longues distances, créant de nouveaux foyers d’incendie. Tout comme les éclairs de l’orage, qui sont aussi la cause de départs de feux, parfois jusqu’à une centaine de kilomètres de là.
Dans certaines circonstances, on assiste même à la formation de véritables « tornades de feu », une version géante des « tourbillons de feu » fréquents lors de gros incendies : ces phénomènes aux allures de cyclones enflammés transportent des braises incandescentes qui peuvent s’élever jusqu’à 10 000 mètres d’altitude et se déplacer sur une vingtaine de kilomètres, comme cela a été le cas à Canberra en janvier 2003.

La pollution atteint la stratosphère

Avec l’augmentation en fréquence et en intensité des incendies de forêt, les pyrocumulonimbus sont devenus plus courants en Australie. Rachel Badlan en comptabilise plus de cinquante entre 2001 et 2018, dont dix-huit durant une période de six semaines cette année.
Mais les feux de forêt ne sont pas les seuls à faire naître ces terribles nuages. Les éruptions volcaniques en sont aussi la cause, et même les explosions nucléaires. Un exemple frappant est celui d’Hiroshima : des photos de l’époque montrent un nuage que l’on a longtemps pris pour le fameux « champignon » atomique. Il s’agissait en fait d’un pyrocumulonimbus, né environ trois heures après l’explosion et qui aurait provoqué plus d’une heure de pluies.
On a longtemps cru que cette photo représentait le « champignon » atomique d’Hiroshima. Il s’agit en fait d’un pyrocumulonimbus qui s’est formé trois heures plus tard à une plus haute altitude. (US MILITARY / WIKIMEDIA COMMONS)
On a longtemps cru que cette photo représentait le « champignon » atomique d’Hiroshima. Il s’agit en fait d’un pyrocumulonimbus qui s’est formé trois heures plus tard à une plus haute altitude. (US MILITARY / WIKIMEDIA COMMONS)
Ces nuages monstrueux peuvent également avoir des conséquences sur le climat de la planète. En 2010, une étude internationale publiée dans le bulletin de la société météorologique américaine (BAMS) montrait que certains phénomènes que l’on avait attribués à des éruptions volcaniques provenaient en fait de pyrocumulonimbus, capables de transporter de grandes quantités de particules polluantes dans la stratosphère. Un seul de ces nuages « peut injecter des particules dans la basse stratosphère aussi haut que seize kilomètres », assure Glenn Yue, spécialiste en sciences atmosphériques à la Nasa et coauteur de cette étude.
Ainsi, lors de l’éruption du mont Pinatubo aux Philippines en 1991, un phénomène nuageux mystérieux aurait en fait été produit non pas par le volcan mais par une tempête dans un pyrocumulonimbus au Canada.
« Notre étude montre que les pyrocumulonimbus se produisent plus souvent que les gens le réalisent », ajoute Glenn Yue, qui cite 17 événements au-dessus de la seule Amérique du Nord pour l’année 2002. Cette année-là, un incendie d’origine humaine dans le Colorado donna naissance à l’un de ces « nuages de feu », et la tempête qui s’ensuivit permit à l’incendie de ravager plus de 550 km2, faisant six victimes.

Un risque croissant aggravé par la crise climatique

Le bureau de météorologie du gouvernement australien a examiné trente années de données concernant des conditions associées à des pyrocumulonimbus et a découvert qu’ils représentaient un risque croissant. Les modèles climatiques suggèrent également que ces nuages pourraient s’avérer de plus en plus dangereux dans l’avenir dans certaines régions, dont le sud-est de l’Australie.
Les scientifiques tentent de mieux comprendre le développement des pyrocumulonimbus en espérant parvenir à prédire leur formation, leur intensité et le danger qu’ils sont susceptibles de représenter. Il s’agit cependant « d’un domaine de la science relativement nouveau, et il y a beaucoup de travail à faire avant que des prévisions précises soient possibles », reconnaissent les météorologues australiens.
Rachel Badlan souligne le côté « dangereux et imprévisible » des phénomènes liés aux pyrocumulonimbus, qui sont « impossibles à supprimer ou à contrôler ». Elle recommande donc l’évacuation précoce des zones menacées « pour éviter d’envoyer du personnel d’incendie dans des secteurs extrêmement dangereux ». En espérant limiter le nombre de victimes de ces monstres.

nouvelobs.com par Jean-Paul Fritz Publié le 08 janvier 2020 à 07h00


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