19/01/2020

FOG – La CGT, syndicat antipauvres, LePoint Franz-Olivier Giesbert


« Salauds de pauvres ! » La formule est de ce vieux ronchon de Marcel Aymé, qui, au siècle dernier, avait toujours le mot pour rire. Que sont-ils devenus après l'insurrection des Gilets jaunes (GJ), qui rappelait les premiers jours de la Révolution française quand, en 1789, la « populace » affamée envahissait Paris ?
La question a du sens alors que le mouvement contre la réforme des retraites commence à partir en sucette : les pauvres furent les grands absents d'un combat monopolisé par les conducteurs de train et de métro dont la CGT voulait nous faire croire, entre autres jobardises, qu'ils se battaient pour tous les salariés, y compris les sans-grade. La farceuse !

Comparez les pensions de la caste des grévistes professionnels des transports publics avec celles des enseignants ou des médecins, qui partent bien plus tard à la retraite et vous aurez tout compris : chacun pour soi et Dieu pour tous ! À écouter la CGT, la « pénibilité » est aussi le drame des conducteurs cégétistes plutôt que celui des éboueurs, déménageurs, paysans, ouvriers du bâtiment.
« Vos gueules, les pauvres ! » Telle est la loi de la doxa. Eux ont surtout le droit de se taire et n'intéressent plus personne, hormis quelques intellectuels comme Michel Onfray, qui publie, ces jours-ci, un virulent journal des Gilets jaunes, écrit sur le vif, où il défouraille et vocifère à la Léon Bloy : Grandeur du petit peuple (1).
Voici encore une « exception française » : la France est le pays où, à travers les Gilets jaunes, les pauvres ont été criminalisés, salis, récupérés, traînés plus bas que terre. On n'est pas obligé d'approuver les analyses polémiques de Michel Onfray, sa diabolisation de l'Europe ou du libéralisme « maastrichtiens », pour considérer que sa colère est saine et salutaire.
Même quand on n'est pas d'accord avec eux et que leurs obsessions ou leurs raccourcis nous hérissent, il est heureux que des vitupérateurs comme Michel Onfray s'époumonent avant la catastrophe annoncée. De grâce, cessons de nous voiler la face. Trahis par tous, les 8,8 millions de pauvres que compte notre pays n'auront bientôt plus qu'une échappatoire, au train où vont les choses : le parti attrape-tout qui se dit « antiélites », le Rassemblement national.
Si la gauche française est quasiment tombée à l'état de cadavre mangé par les vers, c'est sans doute parce que, tournant le dos à sa mission, elle ne cesse de zapper les pauvres, les faibles, les misérables. Jusqu'au PC, sa boboïsation est inversement proportionnelle à sa déprolétarisation. Les ouvriers qui représentent toujours 20 % de la population active n'ont même plus de porte-drapeau.
S'il arrive à la CFDT ou à la CFTC de penser aux plus démunis, la CGT les a abandonnés, comme on a pu le constater en l'observant défendre les petits intérêts catégoriels des agents de la SNCF ou de la RATP. Avec ses méthodes, la centrale de Philippe Martinez rappelle de plus en plus le syndicat des camionneurs américains, les Teamsters, à ce détail près que sa direction ne comprend pas de mafieux mais des bras cassés crypto- ou islamo-gauchistes.
Première destination touristique du monde, la France est, à plus d'un titre, une attraction. Pas seulement grâce au château de Versailles et au Mont-Saint-Michel mais aussi à cause de la CGT, qui, oubliant ses traditions, s'apparente depuis plusieurs années à une secte apocalyptique et dont, en cherchant bien, on ne trouve aucun équivalent dans le monde.
Archéo-marxiste et pseudo-révolutionnaire, la CGT incarne, jusqu'à la caricature, ce qu'on appelait au siècle dernier le « mal français ». On ne compte pas les entreprises que la centrale syndicale a mises à genoux mais on a du mal à trouver un seul exemple de compromis qu'elle aurait arraché, ces derniers temps, au patronat ou au gouvernement.Dans les conflits nationaux, la CGT fait de la figuration en se radicalisant. C'est la stratégie du canard sans tête, de la valise sans poignée. Nihiliste, individualiste et corporatiste, elle est cependant dans l'air du temps et bénéficie de la complaisance des médias qui feignent d'ignorer qu'elle a perdu son rang de premier syndicat français au profit de la CFDT.
« Les Gilets jaunes ne se sont pas autodétruits, observe Michel Onfray. Ils ont été détruits. » La morale du lamentable conflit des dernières semaines : les corps intermédiaires en général et la CGT, syndicat de caste, en particulier n'ont toujours pas tiré les leçons du soulèvement des GJ qui, à l'élection présidentielle de 2022 ou avant, pourraient bien revenir dans le jeu par la cheminée ou la fenêtre de derrière§
1. Albin Michel (384 p., 19,90 €). À ne pas rater non plus, dans un autre genre, le formidable dernier tome du Journal hédoniste de Michel Onfray, Le Temps de l'étoile Polaire, que publient les éditions Robert Laffont et où il est question de Camus, Nietzsche, Monet…

source le Point 

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