« Salauds de pauvres ! » La formule est de ce vieux ronchon de Marcel Aymé,
qui, au siècle dernier, avait toujours le mot pour rire. Que sont-ils
devenus après l'insurrection des Gilets jaunes (GJ), qui rappelait les
premiers jours de la Révolution française quand, en 1789, la « populace »
affamée envahissait Paris ?
La question a du sens alors que le mouvement contre
la réforme des retraites commence à partir en sucette : les pauvres
furent les grands absents d'un combat monopolisé par les conducteurs de
train et de métro dont la CGT voulait nous faire croire, entre autres
jobardises, qu'ils se battaient pour tous les salariés, y compris les
sans-grade. La farceuse !
Comparez les pensions de la caste des grévistes
professionnels des transports publics avec celles des enseignants ou des
médecins, qui partent bien plus tard à la retraite et vous aurez tout
compris : chacun pour soi et Dieu pour tous ! À écouter la CGT, la « pénibilité » est aussi le drame des conducteurs cégétistes plutôt que celui des éboueurs, déménageurs, paysans, ouvriers du bâtiment.
« Vos gueules, les pauvres ! »
Telle est la loi de la doxa. Eux ont surtout le droit de se taire et
n'intéressent plus personne, hormis quelques intellectuels comme Michel Onfray, qui publie, ces jours-ci, un virulent journal des Gilets jaunes, écrit sur le vif, où il défouraille et vocifère à la Léon Bloy : Grandeur du petit peuple (1).
Voici encore une « exception française » : la France
est le pays où, à travers les Gilets jaunes, les pauvres ont été
criminalisés, salis, récupérés, traînés plus bas que terre. On n'est pas
obligé d'approuver les analyses polémiques de Michel Onfray, sa
diabolisation de l'Europe ou du libéralisme « maastrichtiens », pour considérer que sa colère est saine et salutaire.
Même quand on n'est pas d'accord avec eux et que
leurs obsessions ou leurs raccourcis nous hérissent, il est heureux que
des vitupérateurs comme Michel Onfray s'époumonent avant la catastrophe
annoncée. De grâce, cessons de nous voiler la face. Trahis par tous, les
8,8 millions de pauvres que compte notre pays n'auront bientôt plus
qu'une échappatoire, au train où vont les choses : le parti attrape-tout
qui se dit « antiélites », le Rassemblement national.
Si la gauche française est quasiment tombée à l'état de cadavre mangé par les vers,
c'est sans doute parce que, tournant le dos à sa mission, elle ne cesse
de zapper les pauvres, les faibles, les misérables. Jusqu'au PC, sa
boboïsation est inversement proportionnelle à sa déprolétarisation. Les
ouvriers qui représentent toujours 20 % de la population active n'ont
même plus de porte-drapeau.
S'il arrive à la CFDT ou à la CFTC de penser aux plus démunis, la CGT les a abandonnés,
comme on a pu le constater en l'observant défendre les petits intérêts
catégoriels des agents de la SNCF ou de la RATP. Avec ses méthodes, la
centrale de Philippe Martinez rappelle de plus en plus le syndicat des
camionneurs américains, les Teamsters, à ce détail près que sa direction
ne comprend pas de mafieux mais des bras cassés crypto- ou
islamo-gauchistes.
Première destination touristique du monde, la France
est, à plus d'un titre, une attraction. Pas seulement grâce au château
de Versailles et au Mont-Saint-Michel mais aussi à cause de la CGT, qui,
oubliant ses traditions, s'apparente depuis plusieurs années à une
secte apocalyptique et dont, en cherchant bien, on ne trouve aucun
équivalent dans le monde.
Archéo-marxiste et
pseudo-révolutionnaire, la CGT incarne, jusqu'à la caricature, ce qu'on
appelait au siècle dernier le « mal français ». On ne compte
pas les entreprises que la centrale syndicale a mises à genoux mais on a
du mal à trouver un seul exemple de compromis qu'elle aurait arraché,
ces derniers temps, au patronat ou au gouvernement.Dans les conflits
nationaux, la CGT fait de la figuration en se radicalisant. C'est la
stratégie du canard sans tête, de la valise sans poignée. Nihiliste,
individualiste et corporatiste, elle est cependant dans l'air du temps
et bénéficie de la complaisance des médias qui feignent d'ignorer
qu'elle a perdu son rang de premier syndicat français au profit de la
CFDT.
« Les Gilets jaunes ne se sont pas autodétruits, observe Michel Onfray. Ils ont été détruits. »
La morale du lamentable conflit des dernières semaines : les corps
intermédiaires en général et la CGT, syndicat de caste, en particulier
n'ont toujours pas tiré les leçons du soulèvement des GJ qui, à
l'élection présidentielle de 2022 ou avant, pourraient bien revenir dans
le jeu par la cheminée ou la fenêtre de derrière§
1. Albin Michel (384 p., 19,90 €). À ne pas rater non plus, dans un autre genre, le formidable dernier tome du Journal hédoniste de Michel Onfray, Le Temps de l'étoile Polaire, que publient les éditions Robert Laffont et où il est question de Camus, Nietzsche, Monet…
source le Point
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