08/06/2021

Chine contre Australie: les raisons de l’escalade

DÉCRYPTAGE - Canberra, qui veut limiter l’influence de Pékin, son premier client, est l’avant-poste d’un bras de fer planétaire.

La Chine devrait «envoyer des missiles sur l’Australie si celle-ci intervient dans un conflit sino-taiwanais» et pourrait facilement «cibler des objectifs militaires». Hu Xijin, rédacteur en chef du Global Times, organe de presse anglophone du parti communiste chinois, est réputé pour son ton souvent belliqueux. Mais, sa dernière tirade, plus guerrière que jamais, en dit long sur la dégradation des relations entre Pékin et Canberra. Un général australien, le major général Adam Findlay, a récemment expliqué à ses troupes qu’un conflit avec la Chine était «très probable».

Depuis un an, les coups fusent entre ces deux partenaires commerciaux, distants de plus de 4000 km. Fin mai, l’ambassadeur d’Australie en Chine s’est vu interdire l’accès au tribunal où se tenait le procès de l’écrivain australien Yang Jun (dont le nom de plume est Yang Hengjun), accusé d’espionnage par Pékin. Une attitude qualifiée «d’arbitraire et opaque» par la ministre australienne des Affaires étrangères, Marise Payne.

Devant les ports chinois, c’est le blocage. Des navires en provenance d’Australie, brusquement interdits d’accès, sont régulièrement contraints de faire des ronds dans l’eau sans être certains d’obtenir un jour le droit d’accoster. L’an dernier, des dizaines de porte-conteneurs n’ont pu décharger le charbon importé d’Australie. En mai, des tonnes de raisin sont restées bloquées devant le port de Shenzhen. Simultanément, Pékin fait pleuvoir des taxes dissuasives sur de nombreux produits importés d’Australie. Les droits de douane de l’orge ont bondi l’an dernier de 80 %, ceux des vins ont été multipliés par deux ou trois.

Avec un territoire presque aussi grand que la Chine mais seulement 26 millions d’habitants, Canberra ne craint pas de s’opposer à Pékin. Le gouvernement a mis son veto à une dizaine de projets d’investissements chinois dans les secteurs miniers et industriels. En avril, il a révoqué l’accord de l’État de Victoria d’adhésion à l’initiative chinoise des «nouvelles routes de la soie». Une décision taxée de «déraisonnable et provocante» par l’ambassade de Chine en Australie, laquelle n’hésite pas à diffuser des messages déplaisants. Fin 2020, elle a publié dans la presse de Sydney une longue liste de griefs. Elle y critiquait les condamnations par Canberra de la politique chinoise à Hongkong et l’égard des Ouïgours au Xinjiang, ou encore des projets de recherche qu’elle qualifiait d’«antichinois».

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Financement des partis et photo truquée

L’escalade des tensions remonte à avril 2020. Le premier ministre, Scott Morrison, avait alors réclamé une enquête sur les origines de la pandémie de Covid-19, qui a démarré à Wuhan en Chine. Cela a exaspéré un peu plus les autorités chinoises, déjà très remontées contre Canberra, qui avait exclu, en 2018, le géant chinois Huawei des appels d’offres de son réseau 5G, pour raisons de «sécurité nationale». Un an auparavant, l’Australie avait aussi pris des mesures pour contrer l’influence chinoise grandissante en interdisant le financement des partis politiques par des dons étrangers, lesquels provenaient à hauteur de 80 % de… Chine. Dans la foulée, le Parlement a adopté des lois contre les ingérences étrangères tandis que des élus ont été accusés de corruption au profit de la Chine.

Pékin ne recule pas devant les coups bas. En novembre, Zhao Lijian, l’un des principaux porte-parole de la diplomatie chinoise, a créé la polémique en postant sur Twitter la photo d’un homme habillé en soldat australien et pointant un couteau ensanglanté sur un enfant afghan. Le premier ministre, Scott Morrison, a réclamé des excuses face à cette photo «truquée». En vain.

La partie de ping-pong est d’autant plus brutale que la Chine profite de son avantage économique. C’est facile. Destinataire, avant la crise, de 36 % de ses exportations, l’empire du Milieu est le plus gros client de l’Australie. À l’inverse, Canberra représente moins de 2 % des exportations chinoises. Les cibles sont variées. Au-delà des taxes et embargos, Pékin cherche à dissuader touristes et étudiants chinois, une manne essentielle pour le pays et ses universités, de se rendre dans l’île-continent.

L’économie australienne, qui avait déjà effacé au premier trimestre les pertes dues au Covid, résiste. Parmi les 38 pays de l’OCDE, «c’est celui qui surmonte le mieux la crise du Covid», notent les experts de Capital Economics, qui prévoient une hausse du PIB australien de 5 % cette année. Une grande part des exportations annulées ont pu être écoulées sur d’autres marchés, l’Inde pour le charbon ou l’Arabie saoudite pour l’orge.

Dépendance au fer australien

Et les exportations vers la Chine ont été soutenues par les prix élevés du minerai de fer, l’un des rares produits sur lequel Pékin, qui ne peut s’en passer, n’a pas mis d’embargo. En avril, les échanges avec l’Australie ont même augmenté, a signalé l’agence des douanes chinoise.

Les relations entre les deux voisins sont ambiguës depuis longtemps. L’Australie s’est engagée dans le Quad, une structure de dialogue avec les États-Unis, l’Inde et le Japon, créée en 2007 pour affaiblir la montée en puissance économique et militaire de la Chine. En même temps, elle a multiplié les rapprochements avec Pékin. Les deux pays ont accouché en 2015 de l’accord de libre-échange bilatéral ChAfta et l’an dernier, ils sont même devenus partenaires au sein du vaste traité RCEP. «L’Australie a courbé l’échine en adhérant à ce nouvel accord de libre-échange asiatique qui, sans les États-Unis ni l’Inde, promet d’être dominé par la Chine», analyse l’économiste et historien Philippe Chalmin, professeur à Dauphine.

Le premier ministre australien tente de relativiser les tensions. «Regardez le commerce: il n’y a jamais eu de plus gros volumes. C’est une preuve de la continuité de nos relations», a-t-il affirmé il y a quelques jours. D’autres responsables sont moins modérés. Le ministre de la Défense, Peter Dutton, veut examiner les accords de tous les États fédérés du pays avec la Chine. Y compris le très controversé bail de 99 ans du port de Darwin - cité du Nord où Barack Obama avait installé des US marines - détenu par la société chinoise Landbridge.

«Du côté de Pékin, on ne voit pas de signe d’apaisement. Les sanctions chinoises, appliquées très rapidement et fermement, continuent de s’étendre», relève Alice Ekman, responsable de l’Asie à l’Institut des études de sécurité de l’UE (EUISS). Début mai, Pékin a accusé Canberra de diffuser «une mentalité de guerre froide» et annoncé suspendre «indéfiniment» toute activité dans le cadre d’un dialogue économique stratégique Chine-Australie.

Le Covid a aggravé les tensions. «La Chine tente de se renforcer au fil des crises. La période 2020-2021 pourrait être un nouveau tournant dans la confiance en soi affichée par Pékin. Avec les échéances clés qui approchent, pas question pour les autorités chinoises de concéder la moindre faiblesse ou d’accepter qu’un pays instille le doute sur sa puissance ou sa conduite», ajoute Alice Ekman. Le Parti communiste fête ses 100 ans cette année. En 2022, l’empire du Milieu accueillera les JO d’hiver et le président Xi Jinping devrait prolonger son mandat.

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Un bouc émissaire commode

«Les Chinois sont de plus en plus décomplexés», complète Barthélémy Courmont, professeur à l’Université catholique de Lille et directeur de recherches à l’Iris. Pékin n’attend plus rien de certains pays occidentaux. Son attitude vis-à-vis de Canberra «a valeur de test», ajoute l’économiste. Vis-à-vis d’autres pays d’Asie et aussi des États occidentaux, notamment dans l’UE. «La Chine a choisi l’Australie comme une sorte de bouc émissaire pour montrer aux Occidentaux ce qu’il pourrait leur en coûter de trop critiquer l’empire du Milieu», ajoute Philippe Chalmin.

De l’autre côté du Pacifique, les États-Unis revoient leur approche à l’égard de leurs partenaires en Asie. L’Administration américaine a relancé le Quad avec des exercices militaires auxquels la marine australienne a participé. Et les échanges houleux qui se sont déroulés mi-mars à Anchorage entre le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, et la délégation chinoise illustrent le tournant dans les rapports de force entre la Chine et l’Occident.

Dans ce contexte, la situation de l’Australie est délicate. De par sa situation géographique et l’importante immigration régionale, elle est partagée entre sa culture occidentale et son ancrage asiatique. Elle n’a pas plus envie de remettre en cause son partenariat avec les États-Unis que de se retrouver en première ligne du front que Washington entretient. «Or, Canberra est le maillon faible du Quad, celui sur lequel il est plus facile de faire pression», explique Barthélémy Courmont. Celui donc que Washington doit assurer de son soutien. «Les États-Unis ne laisseront pas l’Australie seule sur le terrain face à la coercition économique de la Chine», a répété Antony Blinken mi-mai.

Les importations chinoises ont bondi en mai

Le mois de mai dernier, les importations de l’empire du Milieu ont enregistré, avec un bond de 51,1 % par rapport à mai 2020, leur plus forte croissance depuis dix ans. Cette performance s’explique en partie par le repli de 14,5 % enregistré un an plutôt, l’épidémie de Covid-19 ayant ralenti l’activité chinoise. Elle illustre aussi le dynamisme du pays et la flambée des cours des matières premières. Celles-ci sont renchéries par des risques de pénuries alors que l’économie mondiale redémarre. À l’inverse, les exportations chinoises n’ont bondi que de 27,9 % en mai. Un chiffre dû notamment à la découverte récente d’un foyer de Covid-19 dans la province du Guangdong, dont la capitale est Canton, et qui génère le quart des exportations chinoises, indique à l’AFP l’économiste Zhiwei Zhang, du fonds d’investissement PinPoint.


Source le Figaro par Par Armelle Bohineust

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