La jeune militante suédoise Greta Thunberg arrive au port de New York, le 28 août. MIKE SEGAR / REUTERS
Chronique. Peu à peu, au cours des dernières années, la fin de l’été est devenue à l’hémisphère Nord ce que la fin de la saison des ouragans est traditionnellement au golfe du Mexique : le moment de faire le bilan des dégâts. C’est l’heure des comptes. En une décennie à peine, le dérèglement climatique a changé notre perception des saisons.
Dans le monde riche et tempéré, l’été n’est plus exclusivement la saison des vacances, de l’insouciance, du farniente et des voyages, il est aussi celle des canicules à répétition, de la sécheresse, des incendies.
Même en France – dont la situation géographique n’en fait pas un pays en première ligne face au réchauffement – le péril apparaît désormais accessible aux sens de chacun. Songeons que, selon Météo France, on comptait moins de deux épisodes caniculaires par décennie entre 1950 et 1990 sur le territoire métropolitain, alors qu’on en dénombre déjà seize entre 2010 et 2019. C’est huit fois plus. En très peu de temps, le changement climatique a cessé de n’offrir aux citoyens occidentaux que le spectacle des malheurs de pays pauvres et lointains, voire la possibilité de dommages éventuels dans un futur distant. Fin juillet, la température a dépassé 40 °C dans plus d’une cinquantaine de villes françaises – avec près de 46 °C à Gallargues-le-Montueux, dans le Gard, et plus de 42 °C à Paris. Chacun peut désormais comprendre qu’il se passe quelque chose.
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Pourtant, malgré le caractère plus que tangible du changement en cours, la conversation publique est toujours envahie par de nouvelles formes de déni. Souvenez-vous. Lorsque la question climatique a commencé à se frayer une petite place dans les grands médias, la première forme de scepticisme a consisté à en nier la réalité. De véritable réchauffement, il n’y avait pas : les mesures étaient prétendument imprécises et les stations météorologiques, gagnées par l’urbanisation, affichaient toutes des températures exagérées. C’était bien évidemment faux.
Campagne de dénigrement contre Greta Thunberg
Cet argument tombé, il fallut en trouver un autre. Certes, le réchauffement était réel, mais il n’était pas le fait des activités humaines, ou alors de manière marginale. La preuve, selon les sceptiques ? Alors que les émissions de gaz à effet de serre se poursuivaient à bride abattue, ne voyait-on pas une stagnation des températures à partir de 1998 ? S’il n’y avait même plus corrélation, comment pouvait-il y avoir causalité ? Ce nouveau sophisme mis à bas, il fallut chercher autre chose. Certes, le réchauffement était réel, certes il était bien le fait des activités humaines, mais il était sans gravité. Cet élément de langage a aussi fait long feu.
Les sceptiques n’ont pas renoncé. Mais ils ont revêtu des habits neufs. Ce ne sont plus des arguments qui sont attaqués, mais les personnalités qui incarnent et qui portent la mobilisation contre le réchauffement. Fin juillet, alors qu’elle devait être entendue par l’Assemblée nationale, la jeune militante suédoise Greta Thunberg a essuyé une campagne de dénigrement d’une violence inouïe, lancée par quelques journaux et personnalités médiatiques, amplifiée par la méchanceté gratuite, anonyme et grégaire des réseaux sociaux.
A peu près rien ne fut épargné à la jeune fille. « Quelle âme habite ce corps sans chair ? », s’interroge Michel Onfray. Elle « affiche son syndrome d’Asperger comme un titre de noblesse », persifle Pascal Bruckner. C’est pire encore pour Raphaël Enthoven, pour qui elle n’est « qu’une arnaque, qu’une image, qu’une enveloppe vide mandatée pour dire le Bien ». Autant de propos profonds, formulés dans une sorte d’urgence philosophique, alors qu’en France on étouffait sous des températures record, que la Sibérie perdait dans des incendies catastrophiques une surface de forêt boréale équivalente à la Belgique, que les dix millions d’habitants de la ville de Chennai, en Inde, étaient ravitaillés en eau par des trains spéciaux et que les températures excédaient 30 °C au-delà du cercle polaire.
Diversion
Greta Thunberg a, de fait, de nombreux torts. Celui d’être jeune et d’être une femme, d’abord. Ceux, ensuite, de s’inquiéter du monde dans lequel elle grandira, d’énoncer sans fard l’état des connaissances sur un sujet complexe, et de réclamer des adultes les réactions appropriées. Mais pour toute réponse, au lieu d’examiner sur le fond les questions soulevées par la jeune militante, une certaine presse a alimenté le débat public par l’accumulation d’informations sans autre intérêt que la diversion. Ne pouvant plus argumenter, le nouveau scepticisme dénigre, harcèle et poursuit de sa vindicte ceux qui prennent acte de la situation et exigent qu’il en soit tenu compte.
Le problème n’est donc pas la déstabilisation du climat terrestre, il est de savoir si Greta Thunberg est instrumentalisée par ses parents, ou par le capitalisme vert scandinave, ou par les deux. D’autres débats majeurs ont surgi. Mérite-elle une « bonne fessée », comme le pense la députée d’extrême droite Emmanuelle Ménard (RN) ? Son discours est-il « glaçant et totalitaire », comme l’a affirmé le député Thierry Mariani (RN), quelques semaines avant de partir pour Damas, pour la sixième fois, rencontrer Bachar Al-Assad ? Fallait-il boycotter sa venue à l’Assemblée, comme l’ont proclamé d’autres parlementaires ? Son voyage en voilier vers New York (Etats-Unis) était-il neutre en carbone ? Et ce repas, qu’elle s’apprêtait à manger dans un train, est-il vraiment conforme à son engagement – cette banane, là, à côté du sandwich, n’a-t-elle pas un bilan carbone désastreux ?
Au terme de cet été, les forêts, les banquises, les océans et les ressources en eau douce ont certes souffert, mais la qualité du débat public n’a pas, elle non plus, été épargnée.
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