2375 milliards d’€: faut-il avoir peur de l’abyssale dette française?
En progression quasi-ininterrompue depuis 45 ans, la dette publique
française, désormais stabilisée à 99,5% du PIB, suscite inquiétudes et
controverses. Pourquoi a-t-elle ainsi explosé? Qui la détient? Avec
quelles conséquences?
Ce sont des chiffres qui donnent le vertige. Certains y voient une
menace de plus en plus visible qui pèse sur l’avenir de la France, quand
d’autres la balaient d’un revers de la main. Plus qu’un mode de
financement, ces dernières années, la dette
semble être devenue un mode de vie pour l’Hexagone. Tous les acteurs
économiques y font appel, qu’il s’agisse de l’État, des consommateurs,
des collectivités locales ou des entreprises. À tel point que l’on peut
s’interroger: la France vit-elle au-dessus de ses moyens? Et, ce
faisant, se dirige-t-elle vers une tornade aux conséquences imprévues?
La dette publique française,
au sens du traité de Maastricht, se définit comme «l’ensemble des
engagements financiers bruts des administrations publiques». Elle se
décompose en trois parties: la dette de l’État, sous la tutelle de
l’Agence France-Trésor (AFT) et qui regroupe des centaines
d’administrations, comme par exemple le CNRS ou l’ANRU (Agence nationale
pour la rénovation urbaine) ; celle des administrations publiques
locales, qui couvrent un large spectre, des collectivités locales aux
caisses des écoles ; et celle des administrations de sécurité sociale,
comme les régimes d’assurance-chômage, de retraite ou les organismes qui
les gèrent et les établissements qu’ils financent, dont les hôpitaux.
Additionnées, ces trois parties donnent la dette publique.
Ces dernières décennies, la dette française a augmenté quasiment sans
discontinuer, au gré des crises, comme le choc pétrolier de 1973, des
conflits - notamment la Seconde Guerre mondiale - et des politiques de
soutien de l’activité. Mais c’est surtout depuis la période trouble
entre 2007 et 2011 que le poids de la dette s’est envolé, passant de
1194,1 milliards d’euros, toutes administrations confondues, à 2315,3
milliards d’euros treize ans plus tard. Une multiplication par deux en
quelques années seulement, causée par les plans publics pour éviter que
la crise n’empire. Au second trimestre 2019,
«Il y a un effort visible depuis 2010 pour maîtriser la dette», explique au Figaro
le directeur général de l’AFT, Anthony Requin, pour qui une «baisse
structurelle» du déficit français est visible année après année «depuis
trois administrations successives». Économiste spécialisée dans le
risque souverain chez Moody’s, Kathrin Muehlbronner estime elle aussi
que «la dette française reste sous contrôle». Elle ne suscite donc pas
d’inquiétude de la part des investisseurs, qui s’attendent, en cas de
franchissement important, à une «réaction rapide des autorités». » VOIR AUSSI - Comment la France n’a cessé de s’endetter
Les autorités ne communiquent pas précisément sur les détenteurs de
la dette publique. Compte tenu de la rapidité des échanges quotidiens -
10 milliards d’euros de titres de dette française sont échangés chaque
jour sur les marchés - et la présence de multiples intermédiaires, l’AFT
reste assez vague sur ce point. On connaît, cependant, deux données importantes:
d’une part la répartition des détenteurs des titres de la dette
négociable de l’État par groupes de porteurs, et d’autre part la part de
titres détenus par des non-résidents. Au premier trimestre 2019, les
titres étaient ainsi détenus, pour 47,90% d’entre eux, par des
structures françaises comme des assurances (18,7%), des établissements
de crédit (6,6%), des organismes de placement collectif en valeurs
mobilières (OPCVM, autrement dit, des portefeuilles investissant dans
des instruments financiers - 1,7%) et d’autres structures (20,70%).
Les 52% de titres restants appartiennent à des «non-résidents», une dénomination imprécise sur laquelle l’AFT a communiqué en août 2018.
S’appuyant sur un sondage réalisé par le FMI auprès des investisseurs
internationaux (le CPIS), l’agence a estimé que «la moitié des
investisseurs non-résidents sont originaires du reste de la zone euro»,
contre «un peu moins de 20% des investissements en dette française»
venant de banques centrales. Le reste viendrait «d’Asie, d’Amérique ou
du reste de l’Europe». Les grands argentiers de Washington arrivent donc
à un chiffrage plus précis quant à l’origine géographique des
détenteurs de la dette. » LIRE AUSSI - Pierre Moscovici: «Trop de dette, ce sont les «gilets jaunes» de demain»
Pour l’AFT, par ailleurs, cette diversité est «un élément de sécurité
important, qui rend la dette française résiliente». Cependant, ces
dernières années, la part de non-résidents dans les détenteurs de titres
de dette n’a cessé de baisser:
elle est ainsi passée de 70,6%, au deuxième trimestre 2010, à 52,1%
début 2019. Une baisse expliquée en grande partie par le programme
d’achat de la BCE.
Une partie non négligeable de l’explosion de la dette se comprend par
un effet boule de neige. Autrement dit, plus la France emprunte, plus
le montant des intérêts qu’elle doit rembourser - la charge de la dette -
augmente aussi. En 2018, la charge s’établissait ainsi à 41,2 milliards
d’euros, soit un peu plus de 9% de l’ensemble des crédits de paiement
du budget général et le quatrième poste de dépense de l’État.
Mais ce n’est pas tout. Interrogés, plusieurs experts pointent du
doigt le même mécanisme: la France n’a pas assez réformé, ces dernières
années, et n’a pas suffisamment réduit ses dépenses publiques. Pour des
raisons politiques et économiques, les gouvernements ont échoué à
transformer le pays, ce qui aurait pu déclencher un «cercle vertueux»
renforçant l’activité, créant des emplois et faisant baisser le niveau
des dépenses publiques, des prélèvements et de la dette, résume ainsi un
analyste. Pour lui, la dette a été un moyen de faire survivre un
système à bout de souffle, faute de changements suffisants pour le
rendre plus performant et adapté aux nouvelles réalités. » LIRE AUSSI - La dette de la France représente 78.630 TGV, 7 ans de retraite, 35.212 euros par Français...
Dans sa dernière analyse de la France, en mai, l’agence Moody’s
écrivait que l’une des faiblesses du pays venait de «l’incapacité des
gouvernements successifs à maîtriser les dépenses publiques élevées et à
réduire le déficit budgétaire». Les analystes s’attendaient, après le
grand débat national, à ce que le déficit continue d’augmenter, «à moins
que le gouvernement ne précise des mesures claires pour réduire le
niveau élevé des dépenses publiques, ce qui devient de plus en plus
urgent». «La France affiche une dette élevée qui a augmenté de manière
quasi-continue au cours des dernières décennies. Le gouvernment ne
pourra pas toujours se reposer sur les investisseurs pour continuer à
financer sa dette, quel que soit son niveau», prévient Kathrin
Muehlbronner.
● Est-ce un risque?
De nombreuses institutions le répètent à l’envi: laisser courir la
dette représente un danger économique, stratégique, social et politique
pour l’Hexagone. En juin dernier,
le FMI tirait la sonnette d’alarme, en soulignant que «la dette
publique est trop élevée pour l’ignorer». Sur le long terme, «les
gouvernements successifs n’ont pas pleinement tiré parti des périodes
d’expansion pour défaire les hausses de dépenses encourues pendant les
phases de récession», et la France doit désormais «procéder à un effort
budgétaire structurel ambitieux afin de» faire baisser la facture,
écrivait l’institution dirigée à l’époque par Christine Lagarde.
Même son de cloche côté rue Cambon: dans son dernier rapport sur les finances publiques,
la Cour des comptes concluait que les efforts du gouvernement pour
réaliser des économies et contrôler la trajectoire de la dette avaient
«manifestement perdu de l’élan». En ouvrant les vannes, le gouvernement
prend une direction «préoccupante», qui pourrait, sur le long terme,
dégrader la «qualité perçue par les investisseurs de la signature de la
France». » LIRE AUSSI - La réduction de la dette, grande oubliée du quinquennat Macron...
Pour beaucoup, le gouvernement doit donc amplifier ses efforts pour
réduire ses dépenses, plutôt que de les financer par des impôts élevés
ou une dette alourdie. «La population française veut un nombre important
de services publics d’une bonne qualité. Elle est prête à payer des
impôts élevés pour cela. Mais aujourd’hui, le mouvement des «gilets
jaunes», notamment, a démontré qu’il existait des limites en termes de
hausse de la fiscalité», analyse Kathrin Muehlbronner.
Pour Anthony Requin, le contexte actuel donne des raisons d’espérer:
«la dette est aujourd’hui d’autant plus soutenable qu’on vit dans un
environnement de taux bas, qui accentue la trajectoire de baisse» en
limitant les intérêts à payer. Pour autant, ajoute-t-il, l’optimisme ne
sera de mise que «pour autant que l’évolution de la dépense publique
soit maîtrisée dans les prochaines années», sans quoi les charges à
financer seront toujours plus importantes.
● Les taux bas, une opportunité pour la dette?
Cependant, ces derniers mois, l’environnement de taux bas, qui permet à la France d’emprunter à des niveaux extrêmement faibles voire négatifs,
change la donne. Plusieurs économistes estiment que ce contexte
desserre la pression sur l’État: «les taux bas diminuent l’urgence de
réduire la dette publique», estimait ainsi le président du Conseil
d’analyse économique, Philippe Martin, cité par Les Echos.
Des voix s’élèvent pour demander au gouvernement d’investir l’argent
économisé via la baisse de la charge de la dette, plutôt que de
l’utiliser pour rembourser ses emprunts passés. Elles devraient être
«consacrées à des investissements permettant de lutter contre le
réchauffement climatique au niveau européen», conseillait par exemple
Jean Pisani-Ferry.
L’ancien économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, a également jeté un pavé dans la mare cette année,
en appelant les États à rompre avec leur obsession de baisser leur
dette, en profitant de l’environnement de taux bas: «Lorsque les taux
d’emprunt sont bas, la dette publique s’accumule moins vite, son coût
pour le budget et l’économie est plus faible […] A mes yeux, il est donc
crucial que les gouvernements ajustent leur politique budgétaire à ce
nouveau contexte», expliquait-il au Monde.
Une idée balayée du revers de la main par Bercy: «Nous ne nous
guérirons pas de notre dépendance collective à la dette par plus de
dette. Je veux donc être très clair: nous continuerons notre politique
de réduction de la dette», répondait Bruno Le Maire à l’Assemblée,
mi-juillet.
● Concrètement, qu’entraînerait une flambée de la dette?
Une explosion de la dette aurait plusieurs conséquences. D’abord, sur
le court terme, la France entrerait en opposition avec les traités de
l’Union, et risquerait d’être sanctionnée. Ensuite, l’Hexagone verrait
la confiance des investisseurs étrangers envers sa signature et ses
capacités de remboursement baisser. Dans ce cas, les marchés resteraient
disposés à prêter au pays, mais en échange d’une prime plus élevée,
pour compenser le risque supplémentaire qu’ils endossent. En d’autres
termes, le coût de l’emprunt augmenterait, rendant ce dernier plus cher,
et réduisant les marges de manœuvre financières du gouvernement,
notamment pour investir. En cas de crise, les autorités auraient alors
un coussin bien moins solide pour encaisser les chocs. De plus, avoir
une dette élevée met le gouvernement «dans une situation de
sous-investissement public chronique», expliquait l’économiste Henri
Sterdyniak au Figaro:
l’État doit alors consacrer une partie non négligeable de ses fonds non
pour financer l’avenir, mais plutôt pour rembourser son passé, prenant
ainsi le risque de «saper la croissance future».
Certaines voix discordantes estiment toutefois que ces mises en garde
n’ont pas de sens. «L’État n’est pas mortel», contrairement aux ménages
et aux entreprises, soulignait en 2012
l’économiste atterré Christophe Ramaux. Selon lui, «les administrations
publiques sont aussi fondées à s’endetter que le privé», car elles
dynamisent l’activité en investissant et renforcent le pays. «C’est un
pari sur l’avenir». Son collègue Thomas Porcher va dans le même sens,
en estimant qu’un État «ne meurt pas, donc il peut constamment
rembourser sa dette». «Il faut arrêter de la diaboliser», considérait-il
en juin dernier, ajoutant qu’elle est avant tout utilisée comme
argument pour justifier des politiques d’austérité libérales et des
«coupes dans les dépenses sociales». Autant de privatisations et de
baisses des dépenses publiques qui mettent en péril le «patrimoine»
français, limitant les perspectives futures, ajoutait-il.
● Une tendance de fond en France...
L’État n’est toutefois pas le seul à laisser filer la dette. Tous les
acteurs économiques français font de plus en plus appel à cet
instrument pour financer leur activité. Qu’il s’agisse de crédits
accordés aux ménages ou de prêts aux entreprises, des centaines de
milliards d’euros sont désormais transférés, plus encore depuis qu’une
politique de taux bas a été instaurée par les banques centrales. D’après la Banque de France,
la dette des ménages s’élevait, au troisième trimestre 2018, à 1383
milliards d’euros, en forte augmentation. De leur côté, les sociétés non
financières présentaient, en mars 2017, un encours établi à 1611,9
milliards d’euros, en progression de près de 150 milliards d’euros en
deux ans seulement.
● ... et en Europe
On présente souvent l’Hexagone comme le bonnet d’âne de la classe
européenne, incapable de maîtriser ses dépenses. Pourtant, la France
n’est pas le pire pays en la matière, et sa courbe actuelle n’est pas
non plus la plus inquiétante. Le gouvernement s’est engagé à ne pas
dépasser le seuil fatidique de 100%, là où d’autres nations, comme
l’Italie, ont desserré les cordons de la bourse, avec une dette
dépassant les 134% du PIB pour Rome, voire 181% dans le cas d’Athènes.
Les données Eurostat
et les dernières communications des gouvernements européens en la
matière soulignent cependant les efforts que Paris doit encore faire
pour atteindre un niveau acceptable. En juin dernier, la Commission
européenne avait mis en garde la France contre le relâchement des
efforts pour réduire la dette et le déficit. «La France ne devrait pas, à
première vue, respecter les dispositions transitoires en matière de
dette en 2019 et 2020», écrivait-elle notamment.
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