28/09/2019

2375 milliards d’€: faut-il avoir peur de l’abyssale dette française?

En progression quasi-ininterrompue depuis 45 ans, la dette publique française, désormais stabilisée à 99,5% du PIB, suscite inquiétudes et controverses. Pourquoi a-t-elle ainsi explosé? Qui la détient? Avec quelles conséquences?
Ce sont des chiffres qui donnent le vertige. Certains y voient une menace de plus en plus visible qui pèse sur l’avenir de la France, quand d’autres la balaient d’un revers de la main. Plus qu’un mode de financement, ces dernières années, la dette semble être devenue un mode de vie pour l’Hexagone. Tous les acteurs économiques y font appel, qu’il s’agisse de l’État, des consommateurs, des collectivités locales ou des entreprises. À tel point que l’on peut s’interroger: la France vit-elle au-dessus de ses moyens? Et, ce faisant, se dirige-t-elle vers une tornade aux conséquences imprévues?




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● Comment la dette publique a-t-elle évolué?

La dette publique française, au sens du traité de Maastricht, se définit comme «l’ensemble des engagements financiers bruts des administrations publiques». Elle se décompose en trois parties: la dette de l’État, sous la tutelle de l’Agence France-Trésor (AFT) et qui regroupe des centaines d’administrations, comme par exemple le CNRS ou l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) ; celle des administrations publiques locales, qui couvrent un large spectre, des collectivités locales aux caisses des écoles ; et celle des administrations de sécurité sociale, comme les régimes d’assurance-chômage, de retraite ou les organismes qui les gèrent et les établissements qu’ils financent, dont les hôpitaux. Additionnées, ces trois parties donnent la dette publique.
Ces dernières décennies, la dette française a augmenté quasiment sans discontinuer, au gré des crises, comme le choc pétrolier de 1973, des conflits - notamment la Seconde Guerre mondiale - et des politiques de soutien de l’activité. Mais c’est surtout depuis la période trouble entre 2007 et 2011 que le poids de la dette s’est envolé, passant de 1194,1 milliards d’euros, toutes administrations confondues, à 2315,3 milliards d’euros treize ans plus tard. Une multiplication par deux en quelques années seulement, causée par les plans publics pour éviter que la crise n’empire. Au second trimestre 2019,
elle s’est stabilisée
à 99,5% du PIB, soit 2375,4 milliards d’euros.
«Il y a un effort visible depuis 2010 pour maîtriser la dette», explique au Figaro le directeur général de l’AFT, Anthony Requin, pour qui une «baisse structurelle» du déficit français est visible année après année «depuis trois administrations successives». Économiste spécialisée dans le risque souverain chez Moody’s, Kathrin Muehlbronner estime elle aussi que «la dette française reste sous contrôle». Elle ne suscite donc pas d’inquiétude de la part des investisseurs, qui s’attendent, en cas de franchissement important, à une «réaction rapide des autorités».
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● Par qui la dette de l’État est-elle détenue?

Les autorités ne communiquent pas précisément sur les détenteurs de la dette publique. Compte tenu de la rapidité des échanges quotidiens - 10 milliards d’euros de titres de dette française sont échangés chaque jour sur les marchés - et la présence de multiples intermédiaires, l’AFT reste assez vague sur ce point. On connaît, cependant, deux données importantes: d’une part la répartition des détenteurs des titres de la dette négociable de l’État par groupes de porteurs, et d’autre part la part de titres détenus par des non-résidents. Au premier trimestre 2019, les titres étaient ainsi détenus, pour 47,90% d’entre eux, par des structures françaises comme des assurances (18,7%), des établissements de crédit (6,6%), des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM, autrement dit, des portefeuilles investissant dans des instruments financiers - 1,7%) et d’autres structures (20,70%).
Les 52% de titres restants appartiennent à des «non-résidents», une dénomination imprécise sur laquelle l’AFT a communiqué en août 2018. S’appuyant sur un sondage réalisé par le FMI auprès des investisseurs internationaux (le CPIS), l’agence a estimé que «la moitié des investisseurs non-résidents sont originaires du reste de la zone euro», contre «un peu moins de 20% des investissements en dette française» venant de banques centrales. Le reste viendrait «d’Asie, d’Amérique ou du reste de l’Europe». Les grands argentiers de Washington arrivent donc à un chiffrage plus précis quant à l’origine géographique des détenteurs de la dette.
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Pour l’AFT, par ailleurs, cette diversité est «un élément de sécurité important, qui rend la dette française résiliente». Cependant, ces dernières années, la part de non-résidents dans les détenteurs de titres de dette n’a cessé de baisser: elle est ainsi passée de 70,6%, au deuxième trimestre 2010, à 52,1% début 2019. Une baisse expliquée en grande partie par le programme d’achat de la BCE.
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● Comment expliquer la hausse de la dette?

Une partie non négligeable de l’explosion de la dette se comprend par un effet boule de neige. Autrement dit, plus la France emprunte, plus le montant des intérêts qu’elle doit rembourser - la charge de la dette - augmente aussi. En 2018, la charge s’établissait ainsi à 41,2 milliards d’euros, soit un peu plus de 9% de l’ensemble des crédits de paiement du budget général et le quatrième poste de dépense de l’État.
Mais ce n’est pas tout. Interrogés, plusieurs experts pointent du doigt le même mécanisme: la France n’a pas assez réformé, ces dernières années, et n’a pas suffisamment réduit ses dépenses publiques. Pour des raisons politiques et économiques, les gouvernements ont échoué à transformer le pays, ce qui aurait pu déclencher un «cercle vertueux» renforçant l’activité, créant des emplois et faisant baisser le niveau des dépenses publiques, des prélèvements et de la dette, résume ainsi un analyste. Pour lui, la dette a été un moyen de faire survivre un système à bout de souffle, faute de changements suffisants pour le rendre plus performant et adapté aux nouvelles réalités.
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Dans sa dernière analyse de la France, en mai, l’agence Moody’s écrivait que l’une des faiblesses du pays venait de «l’incapacité des gouvernements successifs à maîtriser les dépenses publiques élevées et à réduire le déficit budgétaire». Les analystes s’attendaient, après le grand débat national, à ce que le déficit continue d’augmenter, «à moins que le gouvernement ne précise des mesures claires pour réduire le niveau élevé des dépenses publiques, ce qui devient de plus en plus urgent». «La France affiche une dette élevée qui a augmenté de manière quasi-continue au cours des dernières décennies. Le gouvernment ne pourra pas toujours se reposer sur les investisseurs pour continuer à financer sa dette, quel que soit son niveau», prévient Kathrin Muehlbronner.

● Est-ce un risque?

De nombreuses institutions le répètent à l’envi: laisser courir la dette représente un danger économique, stratégique, social et politique pour l’Hexagone. En juin dernier, le FMI tirait la sonnette d’alarme, en soulignant que «la dette publique est trop élevée pour l’ignorer». Sur le long terme, «les gouvernements successifs n’ont pas pleinement tiré parti des périodes d’expansion pour défaire les hausses de dépenses encourues pendant les phases de récession», et la France doit désormais «procéder à un effort budgétaire structurel ambitieux afin de» faire baisser la facture, écrivait l’institution dirigée à l’époque par Christine Lagarde.
Même son de cloche côté rue Cambon: dans son dernier rapport sur les finances publiques, la Cour des comptes concluait que les efforts du gouvernement pour réaliser des économies et contrôler la trajectoire de la dette avaient «manifestement perdu de l’élan». En ouvrant les vannes, le gouvernement prend une direction «préoccupante», qui pourrait, sur le long terme, dégrader la «qualité perçue par les investisseurs de la signature de la France».
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Pour beaucoup, le gouvernement doit donc amplifier ses efforts pour réduire ses dépenses, plutôt que de les financer par des impôts élevés ou une dette alourdie. «La population française veut un nombre important de services publics d’une bonne qualité. Elle est prête à payer des impôts élevés pour cela. Mais aujourd’hui, le mouvement des «gilets jaunes», notamment, a démontré qu’il existait des limites en termes de hausse de la fiscalité», analyse Kathrin Muehlbronner.
Pour Anthony Requin, le contexte actuel donne des raisons d’espérer: «la dette est aujourd’hui d’autant plus soutenable qu’on vit dans un environnement de taux bas, qui accentue la trajectoire de baisse» en limitant les intérêts à payer. Pour autant, ajoute-t-il, l’optimisme ne sera de mise que «pour autant que l’évolution de la dépense publique soit maîtrisée dans les prochaines années», sans quoi les charges à financer seront toujours plus importantes.

● Les taux bas, une opportunité pour la dette?

Cependant, ces derniers mois, l’environnement de taux bas, qui permet à la France d’emprunter à des niveaux extrêmement faibles voire négatifs, change la donne. Plusieurs économistes estiment que ce contexte desserre la pression sur l’État: «les taux bas diminuent l’urgence de réduire la dette publique», estimait ainsi le président du Conseil d’analyse économique, Philippe Martin, cité par Les Echos . Des voix s’élèvent pour demander au gouvernement d’investir l’argent économisé via la baisse de la charge de la dette, plutôt que de l’utiliser pour rembourser ses emprunts passés. Elles devraient être «consacrées à des investissements permettant de lutter contre le réchauffement climatique au niveau européen», conseillait par exemple Jean Pisani-Ferry.
L’ancien économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, a également jeté un pavé dans la mare cette année, en appelant les États à rompre avec leur obsession de baisser leur dette, en profitant de l’environnement de taux bas: «Lorsque les taux d’emprunt sont bas, la dette publique s’accumule moins vite, son coût pour le budget et l’économie est plus faible […] A mes yeux, il est donc crucial que les gouvernements ajustent leur politique budgétaire à ce nouveau contexte», expliquait-il au Monde . Une idée balayée du revers de la main par Bercy: «Nous ne nous guérirons pas de notre dépendance collective à la dette par plus de dette. Je veux donc être très clair: nous continuerons notre politique de réduction de la dette», répondait Bruno Le Maire à l’Assemblée, mi-juillet.

● Concrètement, qu’entraînerait une flambée de la dette?

Une explosion de la dette aurait plusieurs conséquences. D’abord, sur le court terme, la France entrerait en opposition avec les traités de l’Union, et risquerait d’être sanctionnée. Ensuite, l’Hexagone verrait la confiance des investisseurs étrangers envers sa signature et ses capacités de remboursement baisser. Dans ce cas, les marchés resteraient disposés à prêter au pays, mais en échange d’une prime plus élevée, pour compenser le risque supplémentaire qu’ils endossent. En d’autres termes, le coût de l’emprunt augmenterait, rendant ce dernier plus cher, et réduisant les marges de manœuvre financières du gouvernement, notamment pour investir. En cas de crise, les autorités auraient alors un coussin bien moins solide pour encaisser les chocs. De plus, avoir une dette élevée met le gouvernement «dans une situation de sous-investissement public chronique», expliquait l’économiste Henri Sterdyniak au Figaro : l’État doit alors consacrer une partie non négligeable de ses fonds non pour financer l’avenir, mais plutôt pour rembourser son passé, prenant ainsi le risque de «saper la croissance future».
Certaines voix discordantes estiment toutefois que ces mises en garde n’ont pas de sens. «L’État n’est pas mortel», contrairement aux ménages et aux entreprises, soulignait en 2012 l’économiste atterré Christophe Ramaux. Selon lui, «les administrations publiques sont aussi fondées à s’endetter que le privé», car elles dynamisent l’activité en investissant et renforcent le pays. «C’est un pari sur l’avenir». Son collègue Thomas Porcher va dans le même sens, en estimant qu’un État «ne meurt pas, donc il peut constamment rembourser sa dette». «Il faut arrêter de la diaboliser», considérait-il en juin dernier, ajoutant qu’elle est avant tout utilisée comme argument pour justifier des politiques d’austérité libérales et des «coupes dans les dépenses sociales». Autant de privatisations et de baisses des dépenses publiques qui mettent en péril le «patrimoine» français, limitant les perspectives futures, ajoutait-il.

● Une tendance de fond en France...

L’État n’est toutefois pas le seul à laisser filer la dette. Tous les acteurs économiques français font de plus en plus appel à cet instrument pour financer leur activité. Qu’il s’agisse de crédits accordés aux ménages ou de prêts aux entreprises, des centaines de milliards d’euros sont désormais transférés, plus encore depuis qu’une politique de taux bas a été instaurée par les banques centrales. D’après la Banque de France, la dette des ménages s’élevait, au troisième trimestre 2018, à 1383 milliards d’euros, en forte augmentation. De leur côté, les sociétés non financières présentaient, en mars 2017, un encours établi à 1611,9 milliards d’euros, en progression de près de 150 milliards d’euros en deux ans seulement.

● ... et en Europe

On présente souvent l’Hexagone comme le bonnet d’âne de la classe européenne, incapable de maîtriser ses dépenses. Pourtant, la France n’est pas le pire pays en la matière, et sa courbe actuelle n’est pas non plus la plus inquiétante. Le gouvernement s’est engagé à ne pas dépasser le seuil fatidique de 100%, là où d’autres nations, comme l’Italie, ont desserré les cordons de la bourse, avec une dette dépassant les 134% du PIB pour Rome, voire 181% dans le cas d’Athènes.
Les données Eurostat et les dernières communications des gouvernements européens en la matière soulignent cependant les efforts que Paris doit encore faire pour atteindre un niveau acceptable. En juin dernier, la Commission européenne avait mis en garde la France contre le relâchement des efforts pour réduire la dette et le déficit. «La France ne devrait pas, à première vue, respecter les dispositions transitoires en matière de dette en 2019 et 2020», écrivait-elle notamment.

Source: lefigaro.fr 

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