Peu de sujets divisent autant
les Français que la question de la stabilité ou non de la part de
l’électronucléaire dans le mix électrique national. Le nucléaire est un
objet singulier dans le paysage électrique français qui déchaîne les
passions et face auquel peu parviennent à rester neutres. Les
gouvernements récents semblent avoir fait un choix net sur ce sujet,
avec la loi dite de Transition énergétique de 2015 (loi 2015-992) qui
vise à augmenter nettement la part des énergies renouvelables (ENR) dans
la production électrique : 40% de la production électrique en 2030
(art. 1). Une telle hausse – les énergies renouvelables, hydroélectrique
compris, ne représentaient en 2018, selon RTE, que 21,2% – ne peut se
faire qu’au détriment du nucléaire qui représente près des trois-quarts
de ladite production (71,7%). Une tribune de Nicolas Mazzucchi.
Qu’en déduire pour la filière électronucléaire française ? Elle devrait a priori être la grande perdante de cette vision de la transition énergétique qui met fortement l’accent sur les énergies renouvelables. Au-delà de la problématique que pose cette transition dans son aspect de sécurité énergétique – les éoliennes et panneaux solaires n’étant pas produits en France avec un recours intensif aux métaux stratégiques – une grande question économique se pose ici quant aux investissements. Le mix est ainsi qu’on le veuille ou non, de la responsabilité de la puissance publique. L’Etat, par sa politique, définit les sources et, par conséquent, oriente les investissements vers l’une ou l’autre. Un choix d’évolution du mix aussi radical semble de ce fait avant tout signifier une réorientation des deniers publics ; c’est là le cœur de la question du mix électrique français d’aujourd’hui et de demain.
La question du financement de cette transition se pose avec une acuité d’autant plus forte que les filières ENR et nucléaire réclament d’ores et déjà des financements importants, pour leur maintien ou leur développement. Pour les filières ENR il s’agit – en l’absence quasi-totale d’un grand champion industriel des renouvelables en France si l’on excepte SunPower – de favoriser l’implantation de nouveaux types de centrales, avec les modifications que cela entraîne, en particulier dans les réseaux. Les ENR, en décentralisant la production au plus près du consommateur, ont, par ricochet un effet de décentralisation de certaines mailles réseau, ce qui nécessite de le modifier en profondeur. Les coûts induits sont donc importants puisqu’il s’agit d’opérer des modifications profondes sur l’ensemble du système.
D’autre part, la filière électronucléaire demande elle aussi d’importants financements pour plusieurs raisons. La première est due à la taille des installations – même sans prendre en compte les pénalités dues au retard de l’EPR de Flamanville – qui, eu égard à leur puissance installée, ont un coût certain, dépassant le milliard EUR par réacteur. La seconde tient à la nécessité de maintenir un niveau de commande constant afin de pérenniser des savoir-faire. Les problématiques des soudures et des cuves sur Flamanville rappellent douloureusement cette réalité : une absence de commandes prolongée dans un domaine technologiquement aussi précis que le nucléaire, induit des pertes capitales de savoir-faire. Enfin il y a la nécessité de l’investissement dans la R&D pour maintenir le secteur français à son niveau d’excellence et anticiper les futurs développements, en particulier vers la quatrième génération.
Or le saupoudrage des financements – prévisible pour réaliser la transition recherchée dans le laps de temps proposé, sans détruire la filière nucléaire – risque d’aboutir à des situations où toutes les filières sont perdantes. Ainsi Naval Group choisit de fermer sa filiale chargée des énergies marines renouvelables en 2018 car les subventions y sont trop faibles, mettant fin à une aventure industrielle assez prometteuse, malgré la relative limitation des gisements hydroliens. De manière pratiquement concomitante, les projets de réacteurs nucléaires de quatrième génération – ASTRID en particulier dans la filière des réacteurs au sodium (SFR) – sont mis au point-mort par manque d’argent. ASTRID est finalement condamné à la fin de l’été 2019, malgré les promesses portées par ce nouveau type de réacteur. Des choix doivent ainsi être faits pour éviter d’autres échecs industriels. En se fondant sur le tissu industriel français tel qu’il est, les savoir-faire détenus et la structure du marché international, il apparait plus raisonnable de maintenir un niveau d’engagement financier fort dans le nucléaire, la bataille industrielle des renouvelables étant déjà perdue face à la Chine, l’Allemagne ou même les Etats-Unis.
Il faut toutefois se garder d’opposer nucléaire et renouvelables, tant les deux participent à la solution du mix français du futur. Les ENR ont besoin d’une base de production stable et prévisible que le nucléaire est le seul – dans le contexte français – à pouvoir apporter. De son côté le nucléaire ne peut à lui seul constituer un mix et bénéficie nettement de la flexibilité de production des renouvelables, dont le coût de production horaire est, dans les conditions optimales, bien plus bas. La combinaison de ces sources, dans un équilibre restant à définir, mais ne devant pas se faire sous les 50% de nucléaire, est une garantie à la fois de respect des engagements climatiques de la France, aussi bien que de sécurité énergétique. Il ne s’agit ainsi pas de concilier les deux dans une vision de l’alliance de la carpe et du lapin, mais bien de penser en profondeur leur complémentarité, laquelle est bien réelle.
Il appartient également de penser ce mix et ses enjeux au-delà de la seule production. La question du stockage électrique est tout aussi importante, de même que celle du pilotage des réseaux au plus près de la demande. Ici les investissements publics doivent être conséquents pour avancer sur des technologies (batteries au sodium, hydrogène – lequel bénéficierait sans doute fortement des investissements dans les réacteurs de quatrième génération -, smart grids, méthanisation, etc.) pour lesquelles la compétition internationale demeure ouverte. La France a ainsi tout intérêt à regarder cette question du mix électrique dans l’optique d’une chaîne de valeur complète, depuis la source jusqu’au consommateur, et à ne surtout pas découpler ces questions. Cessons donc d’opposer ENR et nucléaires, ainsi que de refuser d’effectuer des choix clairs de financement. La pérennité du modèle français fondé sur la sécurité énergétique bas carbone est à ce prix.
Les avis d’expert sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n’engagent en rien la rédaction de L’EnerGeek.
Qu’en déduire pour la filière électronucléaire française ? Elle devrait a priori être la grande perdante de cette vision de la transition énergétique qui met fortement l’accent sur les énergies renouvelables. Au-delà de la problématique que pose cette transition dans son aspect de sécurité énergétique – les éoliennes et panneaux solaires n’étant pas produits en France avec un recours intensif aux métaux stratégiques – une grande question économique se pose ici quant aux investissements. Le mix est ainsi qu’on le veuille ou non, de la responsabilité de la puissance publique. L’Etat, par sa politique, définit les sources et, par conséquent, oriente les investissements vers l’une ou l’autre. Un choix d’évolution du mix aussi radical semble de ce fait avant tout signifier une réorientation des deniers publics ; c’est là le cœur de la question du mix électrique français d’aujourd’hui et de demain.
La question du financement de cette transition se pose avec une acuité d’autant plus forte que les filières ENR et nucléaire réclament d’ores et déjà des financements importants, pour leur maintien ou leur développement. Pour les filières ENR il s’agit – en l’absence quasi-totale d’un grand champion industriel des renouvelables en France si l’on excepte SunPower – de favoriser l’implantation de nouveaux types de centrales, avec les modifications que cela entraîne, en particulier dans les réseaux. Les ENR, en décentralisant la production au plus près du consommateur, ont, par ricochet un effet de décentralisation de certaines mailles réseau, ce qui nécessite de le modifier en profondeur. Les coûts induits sont donc importants puisqu’il s’agit d’opérer des modifications profondes sur l’ensemble du système.
D’autre part, la filière électronucléaire demande elle aussi d’importants financements pour plusieurs raisons. La première est due à la taille des installations – même sans prendre en compte les pénalités dues au retard de l’EPR de Flamanville – qui, eu égard à leur puissance installée, ont un coût certain, dépassant le milliard EUR par réacteur. La seconde tient à la nécessité de maintenir un niveau de commande constant afin de pérenniser des savoir-faire. Les problématiques des soudures et des cuves sur Flamanville rappellent douloureusement cette réalité : une absence de commandes prolongée dans un domaine technologiquement aussi précis que le nucléaire, induit des pertes capitales de savoir-faire. Enfin il y a la nécessité de l’investissement dans la R&D pour maintenir le secteur français à son niveau d’excellence et anticiper les futurs développements, en particulier vers la quatrième génération.
Or le saupoudrage des financements – prévisible pour réaliser la transition recherchée dans le laps de temps proposé, sans détruire la filière nucléaire – risque d’aboutir à des situations où toutes les filières sont perdantes. Ainsi Naval Group choisit de fermer sa filiale chargée des énergies marines renouvelables en 2018 car les subventions y sont trop faibles, mettant fin à une aventure industrielle assez prometteuse, malgré la relative limitation des gisements hydroliens. De manière pratiquement concomitante, les projets de réacteurs nucléaires de quatrième génération – ASTRID en particulier dans la filière des réacteurs au sodium (SFR) – sont mis au point-mort par manque d’argent. ASTRID est finalement condamné à la fin de l’été 2019, malgré les promesses portées par ce nouveau type de réacteur. Des choix doivent ainsi être faits pour éviter d’autres échecs industriels. En se fondant sur le tissu industriel français tel qu’il est, les savoir-faire détenus et la structure du marché international, il apparait plus raisonnable de maintenir un niveau d’engagement financier fort dans le nucléaire, la bataille industrielle des renouvelables étant déjà perdue face à la Chine, l’Allemagne ou même les Etats-Unis.
Il faut toutefois se garder d’opposer nucléaire et renouvelables, tant les deux participent à la solution du mix français du futur. Les ENR ont besoin d’une base de production stable et prévisible que le nucléaire est le seul – dans le contexte français – à pouvoir apporter. De son côté le nucléaire ne peut à lui seul constituer un mix et bénéficie nettement de la flexibilité de production des renouvelables, dont le coût de production horaire est, dans les conditions optimales, bien plus bas. La combinaison de ces sources, dans un équilibre restant à définir, mais ne devant pas se faire sous les 50% de nucléaire, est une garantie à la fois de respect des engagements climatiques de la France, aussi bien que de sécurité énergétique. Il ne s’agit ainsi pas de concilier les deux dans une vision de l’alliance de la carpe et du lapin, mais bien de penser en profondeur leur complémentarité, laquelle est bien réelle.
Il appartient également de penser ce mix et ses enjeux au-delà de la seule production. La question du stockage électrique est tout aussi importante, de même que celle du pilotage des réseaux au plus près de la demande. Ici les investissements publics doivent être conséquents pour avancer sur des technologies (batteries au sodium, hydrogène – lequel bénéficierait sans doute fortement des investissements dans les réacteurs de quatrième génération -, smart grids, méthanisation, etc.) pour lesquelles la compétition internationale demeure ouverte. La France a ainsi tout intérêt à regarder cette question du mix électrique dans l’optique d’une chaîne de valeur complète, depuis la source jusqu’au consommateur, et à ne surtout pas découpler ces questions. Cessons donc d’opposer ENR et nucléaires, ainsi que de refuser d’effectuer des choix clairs de financement. La pérennité du modèle français fondé sur la sécurité énergétique bas carbone est à ce prix.
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