23/03/2020

L’eau à l’épreuve des changements climatiques

Une ferme de la région de la Nouvelle-Galles du Sud,
              le 27 août 2019. L’Australie faisait alors face à une
              pénurie d’eau sans précédent.Dans un rapport publié dimanche, les Nations unies estiment que près de 52 % de la population mondiale pourrait avoir à vivre en subissant les effets d’une pénurie d’eau d’ici 2050.
 Source Le Monde | Martine Valo 22/03/2020
Photo: Une ferme de la région de la Nouvelle-Galles du Sud, le 27 août 2019. L’Australie faisait alors face à une pénurie d’eau sans précédent. WILLIAM WEST / AFP
Sur la planète bleue, l’eau douce va prochainement manquer à des milliards de personnes, jusque dans des régions du monde où les précipitations sont pour l’instant abondantes. Moins accessibles, en moindre quantité et qualité, les ressources hydriques se dégradent, avertissent les Nations unies dans un foisonnant rapport publié, comme chaque année, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, dimanche 22 mars.
L’Organisation météorologique mondiale consacre sa propre journée internationale, lundi 23 mars, au thème de l’eau et du changement climatique.

Car le temps presse : déjà près de 4 milliards d’individus affrontent actuellement une pénurie sévère pendant au moins un mois par an. Le réchauffement global n’en est pas la seule cause. La consommation mondiale explose : au cours des cent dernières années, elle a augmenté à un rythme deux fois plus rapide que la croissance démographique, elle a été multipliée par six et continue de grossir de près de 1 % par an en raison du développement économique et des nouveaux usages. Et la pollution massive des nappes souterraines et des rivières aggrave la situation.

Emergence accélérée de pathogènes

Pourtant les auteurs du programme ONU-Eau considèrent l’eau comme l’élément clé de la plupart des dix-sept Objectifs de développement durable : de la lutte contre la faim dans le monde, la pauvreté, l’inégalité entre les genres, à la dégradation des sols et de l’état de l’océan. Seulement plus les températures s’élèvent, plus la demande en eau grimpe et plus l’évaporation s’accentue, privant les sols de leur humidité. Le diagnostic peut paraître évident. Pourtant dans ce rapport édité par l’Unesco et intitulé L’eau et les changements climatiques, le programme dédié de l’ONU en détaille les interactions innombrables, notamment sur la production de l’énergie, l’agriculture ou bien les écosystèmes. Mais il présente aussi d’autres répercussions profondes, pour certaines insoupçonnées du grand public, sur la santé humaine en particulier. Ce chapitre-là alerte sur l’une émergence accélérée de pathogènes. De quoi interpeller en pleine pandémie de coronavirus.


 
Premier lien évident avec les modifications du climat déjà à l’œuvre : la question de l’eau, par son trop plein ou son absence, est au cœur de toutes les catastrophes dites naturelles. « Les inondations et précipitations extrêmes au niveau mondial ont augmenté de plus de 50 % ces dix dernières années, et surviennent actuellement à un rythme quatre fois plus soutenu qu’en 1980, écrivent les rapporteurs. D’autres événements climatiques extrêmes comme les tempêtes, les sécheresses et les vagues de chaleur ont augmenté de plus d’un tiers au cours des dix dernières années et sont enregistrés deux fois plus souvent qu’en 1980. » 



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Si les modèles ont du mal à établir des prévisions régionales et saisonnières, ils convergent en revanche pour prédire des tendances plus extrêmes d’aléas météorologiques très violents, de longues périodes sans précipitations. Déjà, au cours des vingt dernières années, inondations et sécheresses ont causé plus de 166 000 morts, touché plus de 3 milliards de personnes et provoqué des pertes économiques totales s’élevant à près de 700 milliards de dollars, selon une étude de 2019. Les sécheresses à elles seules ont frappé 1,1 milliard de personnes, causant 22 000 décès entre 1995 et 2015. Elles contribuent aux incendies, aux pénuries de tous ordres et aux déplacements chaotiques de populations.

Stress hydrique

Le stress hydrique « fait partie des principaux problèmes que rencontreront de nombreuses sociétés et la planète au cours du XXIe siècle », estiment les auteurs de cette analyse qui compile les conclusions de nombreuses études scientifiques. La pénurie va s’aggraver : près de 52 % de la population mondiale pourrait avoir à vivre en en subissant ses effets d’ici 2050. Des agglomérations comme Amman (Jordanie), Melbourne (Australie) risquent d’affronter une diminution de 30 % à 49 % de la disponibilité en eau douce, et même de plus de 50 % s’agissant de Santiago-du-Chili. En Afrique du sud, Le Cap qui a vécu une absence de pluie historique ces trois dernières années, a failli fermer totalement les robinets de la ville en 2018. Les petits pays insulaires en développement apparaissent particulièrement vulnérables avec leurs ressources rares. Ils ne sont pourtant pas les seuls à être menacés par la montée du niveau des mers, dont l’une des conséquences va être l’invasion des aquifères côtiers par de l’eau salée.



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L’agriculture, de très loin la plus grande consommatrice puisqu’elle prélève 69 % de l’eau douce de la planète, fait face à un défi essentiel. Car « la dénutrition sera l’une des plus grandes menaces pour la santé (…) Selon les projections, 540 à 590 millions de personnes seront sous-alimentées si le réchauffement venait à atteindre 2 °C, les jeunes et les personnes âgées étant particulièrement touchés », rappelle le programme ONU-Eau. Dans ce contexte, consacrer « environ 2 % à 3 % de toutes les ressources en eau et de toutes les terres agricoles du monde » aux agrocarburants comme actuellement pose question. Destinées au secteur des transports, ces cultures nécessitent davantage de prélèvements que la production primaire de pétrole et de gaz.


 
Considérer les réserves hydriques sans prendre en compte les infrastructures qui alimentent les sociétés humaines n’aurait pas de sens. Celles-ci pâtissent elles aussi du changement climatique : lorsque les crues font déborder les stations d’épuration, que les longues sécheresses finissent par concentrer toutes sortes de pollutions dans les réseaux d’alimentation. Comment faire face à la détérioration prévisible d’installations déjà insuffisantes alors qu’actuellement 2,2 milliards de personnes n’ont toujours pas droit à un approvisionnement en eau sérieux et 4,2 milliards n’ont pas accès à une installation d’assainissement gérée en toute sécurité ?

« Deux millions de décès évitables »

Selon une « estimation prudente » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2019, « l’insuffisance de l’eau et de l’assainissement est à l’origine de près de deux millions de décès évitables dans le monde chaque année, la charge la plus importante pesant sur les enfants de moins de 5 ans ». Parmi les causes de la mortalité liée aux défaillances de ces services, l’OMS cite les près de 830 000 personnes emportées par une maladie diarrhéique en 2016, suivies par plus de 370 000 décès dus à une infection aiguë des voies respiratoires. Les pathologies directement liées à l’eau ont manifesté une tendance « encourageante » à la baisse en 2000, mais certaines études prévoient que les diarrhées pourraient augmenter de 10 % d’ici 2030 par rapport à cette période.

« Il est difficile de mesurer l’impact du changement climatique sur l’eau, mais on peut en constater les effets sur les humains et les écosystèmes, résume Richard Connor, rédacteur en chef de ce rapport. On pense ainsi à des maladies comme le paludisme, la dengue, le choléra, mais on souligne plus rarement les effets sur la santé mentale liée à l’angoisse de la pénurie, au traumatisme des catastrophes et aux blessures qu’elles causent. » La hausse des températures dans les étangs, les marais va continuer de favoriser la reproduction de certains vecteurs de ces affections, ainsi que ceux qui transmettent la maladie du Nil occidental, la maladie de Lyme, des pathologies tropicales négligées.

L’ONU-Eau insiste sur la dégradation problématique de la qualité des ressources hydriques. Désormais, il arrive que les réseaux d’adduction transportent en grande quantité non seulement des toxines et pathogènes divers, mais encore nitrates, fluor, arsenic et d’autres polluants chimiques dont on ne connaît pas tous les effets.

L’éventail des implications de l’eau dans la vie des terriens est en réalité extrêmement large. Ainsi on risque gros à se baigner dans un lac ou une rivière où prolifèrent de plus en plus d’algues nuisibles, ce qui est loin de ne concerner que les pays en voie de développement. Les intoxications par les cyanotoxines sont devenues plus fréquentes depuis trente ans. En se réchauffant l’eau, de mer cette fois, permet, par exemple, le développement de la ciguatera dans le poisson, qui peut être mortelle pour qui le mange. Quant aux inondations, elles favorisent aussi la propagation de pathogènes par le bétail.

Par ailleurs, on estime qu’en 2017, pas moins de 36 millions d’hectares de terres cultivées autour des villes étaient irriguées par des effluents urbains majoritairement bruts de tout traitement. Le recours aux eaux usées fait actuellement débat en France. Traitées non pas au point d’être potables, mais suffisamment pour pouvoir servir à l’agriculture, voire à la recharge d’aquifères, il s’agit pour certains d’une piste de réponse au déclin de la ressource. « L’eau peut être parfaitement recyclée, assure Richard Connor, convaincu. C’est bien ce qui se passe dans la station spatiale internationale ! »

Dessalement, captage atmosphérique, transport d’icebergs…

Le monde en est précisément à chercher à se procurer de l’eau sous des formes non-conventionnelles : dessalement (16 000 usines dans le monde), captage atmosphérique, gouttes extraites du brouillard, ensemencement de nuages, transport d’icebergs. Des options aux coûts souvent prohibitifs auxquelles peuvent être opposées les solutions basées sur la nature, que détaillait un précédent rapport de l’ONU-Eau. Les zones humides en représentent un bel exemple. Elles qui sont les championnes du stockage de carbone, capables d’adoucir crues et sécheresses, de filtrer certains polluants, contribuer à la recharge des nappes, accueillir oiseaux et poissons d’eau douce qui disparaissent à un rythme vertigineux, elles sont néanmoins parmi les plus maltraitées des écosystèmes. Plus de 85 % d’entre elles ont été rayées de la surface de la terre depuis le XVIIIe siècle. Elles disparaissent trois fois plus vite que les forêts.

« L’eau représente évidemment un vecteur très important de l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques, mais notre rapport montre qu’elle peut aussi avoir un rôle dans l’atténuation de ce changement, expose Richard Connor. On peut commencer par économiser la ressource ce qui signifie automatiquement économiser l’énergie nécessaire pour la pomper, la transporter… On peut aussi réduire les prélèvements pour les cultures et l’élevage qui libère beaucoup de méthane dans l’atmosphère en changeant de modèle agricole… » Enfin les eaux usées qui contiennent de la matière organique, émettent du méthane et du protoxyde d’azote. Elles qui sont à 90 % rejetées dans l’environnement sans être ni traitées ni même collectées dans les pays en voie de développement, pourraient être mieux gérées. Elles peuvent au demeurant produire leur propre énergie. « A Stockholm, quelques taxis roulent avec du biogaz provenant des stations d’épuration de la ville », relate Richard Connor. Et de conclure que cette approche-là pourrait conduire à orienter une part des budgets consacrés à la lutte contre le réchauffement vers des investissements pour l’eau, un secteur vital souvent évoqué, mais rarement financé.

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