Tout l’éclairage public d’Hénin-Beaumont va être équipé d’ampoules LED, plus respectueuses de l’environnement. Des agents municipaux vont venir chez les habitants pour planter gratuitement des arbres – une solution naturelle pour conserver la fraîcheur lors des vagues de chaleur, comme celles qui ont déferlé sur l’Europe l’été dernier. Des moutons broutent l’herbe d’un grand pré appartenant à la municipalité, dans le cadre d’une expérience d’“écopâturage”. Un panneau d’affichage urbain explique : “Moins de pollution, moins de bruit, moins de pesticides. Un pas de plus vers la protection de notre biodiversité.”
Non, ces mesures ne sont pas l’œuvre d’une mairie verte. Hénin-Beaumont est une municipalité Rassemblement national (RN), un parti devenu la principale force d’opposition du pays en faisant de la lutte contre l’immigration son cheval de bataille.

Un intérêt écologique récent

Il y a encore quelques années, cette formation ne montrait guère d’intérêt pour l’environnement. Son fondateur, Jean-Marie Le Pen, niait l’origine humaine du changement climatique et qualifiait [en 2010] l’écologie de “nouvelle religion des bobos gogos”. Mais la question de l’environnement est désormais au premier rang des préoccupations de l’électorat dans toute l’Europe, ce qui n’a pas échappé au RN.
Ces derniers mois, la dirigeante du RN, Marine Le Pen, a prononcé deux discours importants où elle appelait à transformer l’Europe en “première civilisation écologique du monde”, et se ralliait à des idées comme la consommation de produits locaux.

Un moyen de séduire l’électorat

Hénin-Beaumont est aux mains du RN depuis 2014. En prévision des municipales de l’année prochaine, le parti en a fait l’une des vitrines de son écologisme pragmatique.
Longtemps, les partis politiques se sont emparés de l’écologie et ont ciblé seulement les classes aisées, la bourgeoisie, explique Christopher Szczurek, adjoint au maire d’Hénin-Beaumont et membre du bureau national du parti. Or maintenant, on voit que les travailleurs peuvent aussi y trouver un véritable intérêt.”
Le président Emmanuel Macron, longtemps critiqué par les écologistes pour sa relative inaction face au dérèglement climatique, s’est lui aussi érigé en porte-drapeau de l’écologie. Il a notamment critiqué Jair Bolsonaro, le président du Brésil, pour sa gestion des feux en Amazonie.
Tant pour [le chef de l’État] que pour Marine Le Pen, qui devraient être de nouveau face à face lors de l’élection présidentielle de 2022, l’écologie constitue un moyen d’élargir sa base électorale. En mai, le Parti vert européen, orienté à gauche, a conquis de nombreux électeurs sur tout le continent, notamment en France et en Allemagne, ainsi que lors de l’élection du mois dernier en Autriche.

L’accent sur le local

Selon une récente étude d’Adelphi, un institut de recherche sur le climat établi à Berlin, les partis populistes d’extrême droite européens ont diverses positions face au changement climatique : certains nient le phénomène, d’autres en reconnaissent le caractère mondial, certains sont favorables à une stratégie de lutte internationale.
À mi-chemin, on trouve des partis comme le RN qui prônent une conception nationaliste, identitaire, de l’écologie, mais excluent toute collaboration avec d’autres pays. Ancré dans l’idéalisation traditionnelle de la terre et de l’identité nationale propre à la droite, l’écologisme du RN met l’accent sur le local – le fait que les gens vivent et travaillent autant que possible sur leurs propres territoires. Il entend restreindre aussi bien la consommation de biens matériels que la croissance démographique, ce afin de préserver des ressources limitées.
La protection de l’environnement concorde avec d’autres objectifs du RN : renforcer les frontières et réduire l’immigration ; limiter les accords commerciaux et promouvoir les industries locales ; mettre en avant une identité française forte face à “l’homme hors sol”, mondialisé.

Le refus de coopérer avec d’autres pays

Fondamentalement, l’écologie c’est le propre d’hommes et de femmes sur leur terre, enracinés dans une culture […] et qui ont envie de transmettre cette culture”, explique Hervé Juvin, un essayiste ayant souvent écrit sur l’environnement, élu député RN au Parlement européen en mai.
Les écologistes de gauche et de droite peuvent s’entendre sur certains points. Mais il subsiste entre eux un fossé infranchissable : le RN, comme d’autres mouvements d’extrême droite, est farouchement opposé à toute forme d’accords multilatéraux visant à combattre le changement climatique. Juvin estime que de tels accords entraînent une perte de souveraineté et sont simplement inefficaces.
Certains détracteurs du RN font valoir que si le parti avait vraiment l’intention de lutter contre le changement climatique, il ne serait pas réfractaire à l’idée de coopérer avec d’autres pays. Seules la diplomatie et des négociations au long cours pourront remédier à ce qui est avant tout un problème mondial, affirment-ils.

“Un hold-up de la gauche [radicale]”

Or, dans cette région [les Hauts-de-France], la qualité de l’air ne pourra être préservée qu’en concertation avec les pays voisins, affirme Marine Tondelier, seul membre des Verts au conseil municipal d’Hénin-Beaumont.
Nous ne pouvons pas résoudre cette équation sans l’Europe, assure-t-elle. Je leur ai donc dit que c’était absurde de se prétendre écologistes. C’est comme la ligne Maginot pendant la guerre – nous étions derrière la frontière et nous essayions de nous protéger. Ça ne marche pas.
À droite, certains rappellent que leur camp a été pionnier en matière d’écologie. C’est en effet sous la présidence du conservateur Georges Pompidou que le premier ministère de l’Environnement a vu le jour, au début des années 1970. Mais au début des années 1990, les Verts se sont alliés avec la gauche, qui depuis lors a eu la haute main sur les problèmes d’environnement. “Il y a eu un hold-up de la gauche [radicale]”, affirme Juvin.

D’autres partis s’approprient la question

Proche de Marine Le Pen, [le député] essaie de ramener l’environnement dans le giron de la droite, ou tout au moins dans celui du RN, dont il est la principale personnalité écologiste. Avant tout, il doit faire des émules au sein du parti, dont de nombreux militants restent climatosceptiques.
J’essaie de lutter contre cela, souligne Juvin. Les choses ont un peu changé. J’espère avoir contribué à ce changement. Mais certains ont parfois l’impression qu’il s’agit de faux problèmes.
Le RN n’est pas le seul parti d’extrême droite à vouloir s’approprier cette question. À la veille des élections européennes, la formation d’extrême droite allemande Alternative für Deutschland (AfD) a nié le changement climatique et qualifié d’élitistes les préoccupations écologistes. Ce qui lui a valu une levée de boucliers de la part de sa section des jeunes de Berlin [Junge Alternative, JA]. Vadim Derksen, le chef de section, précise qu’il y a actuellement “tout un débat sur la manière dont nous devrions nous positionner” face au changement climatique.
Nous reconnaissons l’existence du changement climatique, a déclaré Derksen dans une récente interview, et nous aimerions plutôt réfléchir à la stratégie à adopter pour y faire face.

L’implantation du RN

Hénin-Beaumont appartient à une région du nord de la France sinistrée ces dernières décennies par la fermeture des mines et des usines. Ce à quoi il faut ajouter la présence de migrants qui tentent de traverser illégalement la frontière vers le Royaume-Uni. Autant d’éléments qui ont favorisé l’implantation du RN. Les socialistes ont longtemps été au pouvoir à Hénin-Beaumont et dans d’autres municipalités de la région. Mais la corruption d’un maire de gauche, Gérard Dalongeville, a fini par mener le RN à la victoire dans cette ville de 27 000 habitants.
La région a progressivement cherché à s’affranchir des usines et du charbon, et la transformation de Loos-en-Gohelle et de Grande-Synthe en modèles de développement durable a principalement été attribuée aux Verts. Mais aujourd’hui, le RN défie les Verts sur un sujet qui était leur chasse gardée depuis longtemps.

Une récupération ?

À Hénin-Beaumont, le parti d’extrême droite met en œuvre de nombreux projets comparables, ce qui n’est pas sans déplaire à certains membres des Verts.
[L’environnement] a maintenant un potentiel électoral, explique Marine Tondelier. Je me souviens des gens qui s’en souciaient avant que ça ne soit populaire. Ils ont lancé des expériences qui sont aujourd’hui récupérées par ceux qui veulent rivaliser avec eux dans les urnes.”
Juvin, chargé de la question climatique au RN, ne nie pas les considérations politiques qui l’animent. Si le parti s’intéresse à l’environnement, il pourrait attirer des électeurs qui se situent au-delà de sa position sur l’immigration : “Les gens ont le sentiment qu’il faut arrêter de croire qu’on se préoccupe uniquement de l’immigration”, affirme-t-il.