Si la neige a recouvert Davos de son blanc-manteau, l’ordre du jour du sommet, lui, s’est mis au vert.
L’environnement, et en particulier la lutte contre le dérèglement climatique, se sont imposés comme l’une des priorités de cette [cinquantième] édition du Forum économique mondial, qui se tient comme chaque année en janvier dans la station de sports d’hiver des Alpes suisses.
Voilà un terrain sur lequel il est aisé de critiquer Davos. Ces dernières années, ce sont quelque 1 500 jets privés qui sont venus déposer ici les riches et les puissants de ce monde, qui déboursent chacun 70 000 dollars [plus de 63 000 euros] pour discuter des moyens de réduire l’empreinte carbone de l’humanité. Le risque est donc grand que ce coup de projecteur environnemental qu’entend donner le Forum ne se retourne contre ces grands décideurs qui, vaquant entre le Centre de congrès et le Steigenberger Grandhotel Belvédère, pensent être les seuls à batailler contre la surchauffe planétaire.
Mais ne sous-estimons pas la puissance du verbe, un art dans lequel excellent la femme et l’homme de Davos. Le plus gros obstacle dans la bataille climatique tient aux comportements “profiteurs” – on évite soi-même les contraintes tout en bénéficiant de celles que s’imposent les autres. Or les échanges entre délégués lors des réunions sur le climat organisées à Davos ont le pouvoir d’infléchir la tendance en instaurant, chez eux, un sentiment d’urgence autour de la nécessité d’une action collective. N’est-ce pas d’ailleurs la devise officieuse de la Suisse ? Unus pro omnibus, omnes pro uno, “un pour tous, tous pour un”.

Le climat et la biodiversité en tête des priorités

Si les participants au Forum en repartent convaincus de changer leurs comportements, des améliorations durables et à grande échelle sont possibles – ce sont après tout des personnalités influentes : des Premiers ministres et des chefs d’État, des PDG du monde entier, des présidents d’organisations non gouvernementales, des grands noms du journalisme et une bonne poignée d’artistes en tout genre.
Le sujet figure tout en haut de la liste des six priorités établies pour l’édition 2020 : “Écologie : comment mobiliser les entreprises face aux risques du changement climatique et faire en sorte que les mesures de protection de la biodiversité aillent en profondeur, jusqu’aux racines des forêts et jusqu’au fond des océans.”
Environ 18 % des réunions organisées à Davos cette année sont consacrées au changement climatique et plus largement aux thématiques de l’environnement et du développement durable, contre 13 % en 2010, quand la reprise post-crise de 2008 accaparait les esprits.
Le Forum publiera une feuille de route recensant des objectifs “environnementaux, sociaux et de gouvernance” (ESG) universels, établie par son International Business Council, que dirige le président de Bank of America Brian Moynihan. “Le changement climatique est remonté tout en haut des priorités ces douze derniers mois” confirme Adair Turner, un habitué de Davos, qui présida la Financial Services Authority [l’ancien organisme de régulation du secteur financier britannique].

Une donnée déterminante pour les entreprises

Le 14 janvier, Larry Fink, PDG de BlackRock, le plus important gestionnaire d’actifs au monde, qui passe de temps à autre à Davos, publiait une lettre aux décideurs : il y prend acte que “le changement climatique est devenu une donnée déterminante pour les perspectives des entreprises à long terme”. Le lendemain, le Forum économique mondial rendait public son Rapport sur les risques mondiaux, dans lequel les menaces liées au climat et à l’environnement raflent pour la toute première fois les cinq premières places par leur degré de probabilité.
Pourquoi maintenant ? Notamment parce que l’enjeu s’est fait plus pressant. Malgré les progrès des véhicules électriques et des énergies renouvelables, la planète continue de se réchauffer.
Mais c’est aussi que les organisateurs du Forum semblent être arrivés à la conclusion que pour en finir avec les comportements profiteurs, il faut amener les entreprises, les États et la société civile à agir de concert. Le Britannique Adair Turner résume :
L’homme de Davos n’est pas réputé pour son humilité, mais sur le climat, le sentiment général est qu’une relation plus symbiotique est nécessaire entre le monde des affaires et le monde politique.”
Les habitués de Davos auront bien du mal à contrer ceux qui les taxent d’hypocrisie. La plupart sont incontestablement des nantis ; or, le niveau de vie est proportionnel à la production de gaz à effet de serre. Selon [une étude parue en 2015 et menée par] Oxfam, dans le monde, les 10 % les plus riches émettent 60 fois plus de gaz à effet de serre que les 10 % les plus pauvres. “Comment les élites représentées à Davos peuvent-elles convaincre les gens ordinaires de faire des sacrifices au nom de la lutte contre le changement climatique ?” s’interroge Anatol Lieven, professeur à la Georgetown University au Qatar et auteur de Climate Change and the Nation State [“Le changement climatique et l’État nation”, inédit en français].

Fini les gobelets en plastique

Sensible à la question, l’équipe du Forum économique mondial s’efforce de rendre le sommet lui-même respectueux de l’environnement – autant que peut l’être une rencontre organisée dans les Alpes en janvier. Il est déconseillé de recourir aux jets privés et aux contenants en plastique à usage unique, et des panneaux solaires et installations de chauffage géothermique ont été mis en place.
Depuis 2017, le forum compense 100 % de ses émissions, y compris celles des voyages aériens, assurent les organisateurs. L’année dernière, le programme de compensation a notamment financé des fourneaux de cuisine à meilleur rendement énergétique en Chine, en Inde, au Mali et en Afrique du Sud, et des installations au biogaz pour des fermes suisses. Dans les assiettes, à l’occasion du “Future Food Wednesday” (mercredi de l’alimentation de demain), le menu sera “riche en protéines mais sans viande ni poisson”.
Autant d’efforts qui, au fond, ne vont guère au-delà du symbole : le fardeau de la lutte contre le dérèglement climatique pèse bien, pour l’essentiel, sur les épaules des pauvres et des classes ouvrières, analyse une étude de Deutsche Bank qui sera présentée [ces prochains jours] à Davos. Ces populations consacrent en effet une plus grande part de leur revenu aux combustibles fossiles et sont donc plus durement touchées lorsque existe une fiscalité écologique dissuasive, soulignent ces travaux. En 2018 en France, les “gilets jaunes” ont ainsi contraint Emmanuel Macron à renoncer à une hausse des taxes sur les carburants.
Pour autant, les décideurs réunis à Davos ne sont pas pour ralentir le rythme des réformes. Si les pauvres paient un tribut disproportionné à la lutte contre le changement climatique, ce sont aussi eux qui en pâtissent le plus lourdement, entre inondations, incendies, chutes des récoltes et autres catastrophes.

Une sortie des énergies fossiles exigée “tout de suite”

Cette année, le Forum a de nouveau convié la militante Greta Thunberg. Cette fois, la Suédoise de 17 ans vient accompagnée d’une petite armée de lycéens habitués des grèves pour le climat et d’autres militants venus du monde entier pour exiger une sortie complète et immédiate des énergies fossiles. “Nous ne demandons pas que cela soit fait en 2050, en 2030, ni même en 2021 : nous l’exigeons maintenant, tout de suite”, précisait une lettre ouverte signée par 21 d’entre eux et publiée dans le quotidien britannique The Guardian le 10 janvier.
Ce qui va trop loin pour certains est trop timoré pour d’autres. Il s’agit à Davos de trouver un consensus à travers le dialogue et le débat. Sauf qu’en matière de lutte contre le changement climatique, les décideurs mondiaux n’ont le soutien garanti d’aucun camp.

 Source Courrier international