Alors que les villes de la côte Est [de l’Australie] se battent contre les flammes qui menacent les habitations, Sydney doit affronter un autre ennemi : un énorme nuage de fumée qui étouffe la ville. La pollution de l’air est déjà trois fois pire qu’elle ne l’a été au cours de ces cinq dernières années – et rien ne laisse espérer une amélioration.

Les autorités se veulent rassurantes : il faut rester à l’intérieur et limiter l’exposition à la pollution. Mais si ce confinement peut durer un jour ou deux, comment ferons-nous quand cela deviendra la norme ?

Si la catastrophe devenait la norme

Il a fallu se rendre à l’évidence : l’Australie est vulnérable face aux caprices de la nature. Des centaines de maisons sont parties en fumée dans les incendies, ainsi que de vastes étendues d’espaces naturels protégés.
Même si Sydney n’a pas changé ses habitudes,et qu’il est difficile de prévoir comment le climat va se comporter ces prochaines années, les conséquences risquent d’être catastrophiques au quotidien dans les zones urbaines du pays.
Selon Sophie Lewis, climatologue à l’université de Nouvelle-Galles du Sud à Canberra, nos grandes villes sont déjà confrontées à des températures extrêmes – et nos infrastructures ne sont pas préparées à cela :
En période de canicule, certaines infrastructures urbaines sont mises à l’épreuve : à Melbourne et Sydney, les transports en commun deviennent invivables.”
Selon le rapport du CSIRO [l’équivalent du CNRS] sur l’état du climat 2018, l’Australie devrait connaître une augmentation des températures marines et atmosphériques, avec davantage de vagues de chaleurs et moins de températures médianes. “Certaines des températures record que nous avons connues pendant l’été dans l’est de l’Australie vont probablement devenir la norme d’ici quelques décennies”, explique Lewis. Selon la climatologue, de nombreuses régions d’Australie connaissent déjà des incendies plus fréquents, et plus intenses – et cela devrait continuer. “Nous devons donc nous préparer dès maintenant à la multiplication des incendies dans d’autres endroits tout au long de l’année”, poursuit-elle.
Cette situation aura des conséquences non seulement sur les habitants des régions rurales ou régionales qui sont directement touchés par les incendies, mais aussi sur la qualité de l’air et la pollution par la fumée, et donc sur la santé avec une recrudescence des maladies respiratoires et d’asthmatiques.”

Un coût pour la santé de tous

Préparez-vous à entendre parler de l’acronyme IQA – l’indice sur la qualité de l’air.
En plus des dégâts matériels et humains induits par les incendies, la médiocrité de la qualité de l’air qui en découle est également cause de mortalité – et selon le professeur Bowman, [spécialiste des feux de forêt,] le pays doit prendre cette réalité plus au sérieux à court et à long terme.
Un nombre important de personnes avec des maladies respiratoires et cardiovasculaires vont inonder les hôpitaux, et cela va nous coûter cher. Les gens en bonne santé croient à tort que la fumée des incendies est une simple nuisance, mais c’est faux. C’est un vrai danger pour les bébés, les femmes enceintes ou les personnes âgées.”
Mais les gens en bonne santé ne sont pas non plus à l’abri. Sotiris Vardoulakis, professeur spécialisé dans les risques sanitaires liés à l’environnement au Centre national d’épidémiologie et de santé publique de l’Université nationale australienne, explique que les signalements de cas de maux de gorge et de nez qui pique sont de plus en plus fréquents. “Et potentiellement une certaine difficulté à respirer, mais ces symptômes sont généralement réversibles et disparaissent une fois que la qualité de l’air revient à la normale”, tempère-t-il.
Mais voir la fumée et sentir l’odeur de la pollution de l’air peuvent nous aider à nous rendre compte que nous sommes trop exposés et donc à prendre des mesures de précaution.”

Le secteur florissant des produits antipollution

Encore difficiles à trouver à Sydney, les meilleurs masques antipollution viennent tous de Chine. Le smog et la fumée font désormais partie du paysage quotidien de ce pays qui lutte depuis des années contre “l’airpocalypse”. La médiocre qualité de l’air en Chine a donné naissance à un secteur florissant de produits destinés à minimiser l’impact de la pollution sur la santé.
Pour les habitants de Pékin, le premier élément incontournable pour ne pas mourir asphyxié est un masque à porter à l’extérieur qui filtre les particules les plus dangereuses. Les meilleurs masques doivent pouvoir filtrer au moins 95 % des particules fines connues sous le nom de PM2,5. Ces particules font moins de 2,5 micromètres de diamètre, soit une taille vingt fois inférieure à celle d’un cheveu. Elles sont très dangereuses parce qu’elles sont capables de passer dans le sang.
Lise Floris et son mari Francesco ont quitté l’Europe pour s’installer à Pékin avec leurs trois enfants en décembre 2015. Lise raconte :
Quand nous sommes arrivés à Pékin, nous étions à peine descendus de l’avion que nous avions déjà mis nos masques. Nous avons atterri un jour où l’IQA était de 300 et nous n’étions pas rassurés au début. Nous avons décidé que les enfants devraient porter des masques dès que l’IQA serait supérieur à 100.”
Des dizaines d’entreprises internationales proposent désormais des masques antipollution – de la version jetable qui vous donne l’impression de sortir de l’hôpital jusqu’à l’accessoire de mode brodé et incrusté de bijoux chez MeHow. Et comme cet article vous mange pratiquement tout le visage, il n’est pas étonnant que la “mode antipollution” soit devenue une affaire juteuse.
Les marques internationales comme VogMask jouent la carte fashion, avec des campagnes publicitaires haut de gamme et des défilés de mode pour lancer leurs gammes de masques selon les saisons qui s’appuient sur des designs amusants et colorés. Une gamme pour les enfants et les tout-petits existe aussi.
Ces masques ne conviennent pas aux amateurs de course ou à ceux qui aiment faire de l’exercice en plein air. Mieux vaut des marques comme Respro et Totobobo, qui offrent plus d’étanchéité et qui ne bougent pas pendant les sports à impact élevé.

Il faudra toujours un plan B à l’avenir

Ce week-end, dans toute la Nouvelle-Galles du Sud, de nombreux matchs sportifs et autres événements publics ont été annulés.
Dans les dix prochaines années, il faudra toujours prévoir un plan B en intérieur, non seulement pour les barbecues, concernés par des tempêtes estivales ou les interdictions totales de faire du feu, mais aussi à cause des risques sanitaires liés aux pics de pollution. Selon le professeur Vardoulakis, le confinement reste la meilleure façon de limiter son exposition à la pollution – mais cela ne signifie pas qu’il faille se transformer en ermite. “Pendant les longues périodes où la qualité de l’air est mauvaise, il est important que les gens continuent à vivre normalement et à faire de l’exercice”, prescrit-il.
Bien sûr, lorsque la pollution est trop dangereuse, nous conseillons aux gens de s’abstenir de faire de l’exercice physique intense à l’extérieur, et de préférer s’entraîner dans un gymnase ou une salle de sport.”

Faire du sport ou pas ?

Mais un masque ne suffit pas toujours à réduire les risques du sport en extérieur, et l’évaluation des risques et des bénéfices de l’exercice en cas de pic de pollution est source de débat dans les villes concernées par ce problème. À Pékin, le mari de Lise Floris, Francesco, pratique le marathon sur son temps libre et fait partie du club de course à pied Hey Running. Le club annule les séances d’entraînement en plein air lorsque l’IQA dépasse 160 – chiffre que Sydney et une grande partie de la côte de la Nouvelle-Galles du Sud ont régulièrement dépassé la semaine dernière.
Les directives de l’Organisation mondiale de la santé sur la qualité de l’air stipulent que la pollution de l’air doit rester inférieure à 50. “Beaucoup de gens sont convaincus que lorsque l’IQA est inférieur à 160, les bénéfices d’une pratique sportive sont supérieurs aux risques liés à la pollution atmosphérique”, dit Floris.
Cette philosophie est soutenue par le médecin américain Richard Saint Cyr, qui a travaillé pendant dix ans dans un grand hôpital à Pékin et qui écrit régulièrement des articles sur la pollution de l’air. Le docteur Saint Cyr estime que jusqu’à un certain point, l’exercice en plein air offre “beaucoup plus de bienfaits que de risques” lorsqu’on porte un masque.

Qu’en est-il des enfants ?

Les poumons en développement des jeunes enfants sont plus vulnérables à la pollution et à la fumée. Certaines écoles de Sydney – notamment les écoles de Newport et Stanmore – gardent leurs élèves à l’intérieur pendant la récréation et le déjeuner afin de réduire leur exposition à la fumée des incendies. Et de nombreux clubs sportifs ont conseillé aux parents de se préparer à l’annulation des matchs du week-end en cas de nouveau pic de pollution.
Les écoles les plus cotées de Chine mettent désormais en avant leur capacité à fournir une qualité de l’air presque parfaite dans leurs salles de classe. Lise Floris explique :
L’école de mes enfants est équipée d’un système de purification de l’air très perfectionné. Chaque fois qu’une porte s’ouvre, l’air pollué est repoussé à l’extérieur. Ce qui garantit un IQA intérieur d’environ 1.”
Ces écoles d’élite sont également équipées d’un, voire deux “dômes sportifs” – des structures gonflables géantes qui peuvent accueillir des courts de tennis ou de basket-ball et même des terrains de football, et dont l’air est filtré afin que les enfants puissent respirer un air pur pendant qu’ils font de l’exercice. Lorsque la pollution de l’air atteint 200 sur l’indice de la qualité de l’air, un signal sonore avertit les élèves qu’ils ne doivent pas aller à l’extérieur ou qu’ils doivent se rendre jusqu’aux dômes sportifs.

Manquer d’air pur et rêver de l’Europe

Pour Lise Floris, si vivre avec la pollution fait partie du quotidien, ce n’est pas “notre préoccupation majeure”. Pour autant, elle préférerait ne pas emménager dans une autre grande ville polluée lorsque leur contrat d’expatriation prendra fin l’année prochaine. “L’air pur nous manque et nous rêvons parfois de l’Europe, de ses parcs et ses forêts, reconnaît-elle.
Nous avons eu la possibilité d’aller à Delhi après Pékin, mais pour moi, ce n’est pas possible. Nous avons vraiment constaté une énorme amélioration de la qualité de l’air à Pékin ces quatre dernières années. Or d’après ce qu’on entend, le gouvernement indien ne prend pas les mêmes mesures.”

Mais qu’en est-il de l’air à l’intérieur des maisons ?

Si vous avez suivi les conseils du gouvernement, vous êtes restés chez vous toute la journée. Pourtant, fermer les fenêtres et les portes ne suffit pas à empêcher ces minuscules particules de se frayer un chemin à l’intérieur. Comme l’indiquent les détecteurs de qualité de l’air intérieur – un autre appareil entré dans la plupart des foyers de la classe moyenne de Pékin –, la fumée et les particules fines peuvent se faufiler à l’intérieur. Lise Floris admet :
Le purificateur d’air est notre atout le plus précieux pour supporter la pollution. Nous vivons au septième étage d’un immeuble en ville, et donc dès notre réveil, nous pouvons visualiser le niveau de pollution en fonction du nuage de smog sur les gratte-ciel. Nous savons quand il faut mettre en marche les purificateurs. Nous en avons six dans notre appartement et les mauvais jours ils fonctionnent à plein régime toute la journée.”
Les jours de pics de pollution, Lise fait du télétravail et ne quitte pas la maison.
La pollution de l’air donne lieu à une telle psychose à Pékin que les restaurants et les cafés vantent la qualité de l’air au sein de leurs établissements. Et l’un des centres commerciaux les plus haut de gamme de Pékin, Parkview Green, propose un air filtré pour attirer les clients. Si le pic de pollution dure plusieurs jours d’affilée, les autorités chinoises décrètent l’alerte rouge et font fermer les écoles et restreindre la circulation.

Comment l’habitat peut-il nous protéger de la pollution ?

On parle déjà de la façon de mieux protéger les maisons contre les incendies dans le bush. Mais comment pourrons-nous mieux protéger nos maisons de la pollution à l’avenir ? Selon les spécialistes, la meilleure façon d’empêcher la fumée d’entrer, c’est de ne rien laisser passer. Et en cela, la maison passive a de nombreux atouts. Ce concept allemand associe un vitrage et une isolation très efficace, avec un bâti étanche à l’air pour contrôler la température intérieure.C’est une sorte de cloche sous vide, sans chauffage, ni climatisation. Jesse Clarke, ingénieur et responsable des sciences du bâtiment chez Pro Clima, explique :
Les pays hautement développés ont tous opté pour des bâtiments étanches à l’air afin d’améliorer l’efficacité énergétique ainsi que pour des systèmes de ventilation contrôlée permettant de garantir une bonne qualité de l’air en permanence. Et nous avons malheureusement plusieurs décennies de retard dans ce domaine.”

Des politiques publiques adaptées

Les chercheurs attribuent le nombre relativement faible de décès dans les incendies cette saison au bon fonctionnement des services d’urgence et aux améliorations apportées aux systèmes d’alerte depuis le Samedi noir, il y a dix ans [l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de l’Australie, le samedi 7 février 2009].
Mais Richard Thornton, directeur du Centre de recherche coopératif sur les feux de brousse et les risques naturels, affirme qu’il est toujours possible de faire plus – notamment en mettant en place un système national de classement des incendies en cours d’élaboration.
Selon le professeur Bowman, la solution réside probablement dans des formes alternatives de gestion des combustibles :
Là où nous essayons de réduire la quantité d’émissions de pollution, particulièrement dans les banlieues et les villes… il faut revoir complètement notre façon de penser.”
Pour Thornton, c’est un débat qui devra avoir lieu, d’une façon ou d’une autre. “Il s’agit de savoir si nous voulons la pollution liée à nos déplacements ou des feux incontrôlés pendant l’été. Cet équilibre est à discuter.”