02/04/2019

La pauvreté s’est-elle aggravée en France?


Source premium.lefigaro.fr  Sur la pauvreté en France: une enquête de Marie-Cécile Renault du Figaro

INFOGRAPHIE - La pauvreté a augmenté dans l’OCDE avec la crise de 2008. Mais il n’y a pas eu d’explosion en France, où le système de protection sociale amortit les chocs.

«Les “gilets jaunes”, sur les ronds-points, ont des fins de mois difficiles. Avec 1500 euros par mois, ils ont du mal à joindre les deux bouts. Pourtant, ce ne sont pas les plus démunis», affirmait en février Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès d’Agnès Buzyn, soucieuse de faire entendre la voix des vrais précaires dans le grand débat. Mais qui sont vraiment les pauvres en France en 2019? Et si le taux de pauvreté s’est aggravé partout en Europe après la crise de 2008, qu’en est-il en France, où le système de protection sociale est l’un des plus généreux au monde?
Mère qui élève seule ses enfants et travaille à mi-temps. Famille avec un seul revenu proche du smic. Jeune qui après avoir été placé de foyer en foyer par l’aide sociale à l’enfance se retrouve à la rue. Homme qui bascule suite à des problèmes de santé et un divorce. SDF, handicapé, immigré… Les visages de la pauvreté sont multiples. Au total, la France compte 8,8 millions de pauvres, dont 3 millions d’enfants, soit 14% de la population, selon le dernier relevé de l’Insee.

Près de 9 millions de pauvres

Les pauvres, ce sont ces personnes très éloignées du revenu médian, qui divise la population en deux parties égales et qui s’établissait en 2016 à 20.520 euros annuels soit, 1710 euros par mois (pour un adulte). Est considéré comme pauvre celui qui a un revenu disponible (tous revenus nets, impôts déduits et prestations sociales incluses) inférieur à 60% du revenu médian pour l’Insee et à 50% pour l’OCDE, qui adopte une définition plus restrictive. La très grande pauvreté, celle que l’on appelle la «misère», se situe, elle, en dessous de 40% du revenu médian. Concrètement, en France, cela signifie qu’une personne est comptabilisée comme pauvre quand elle dispose pour vivre de moins de 855 euros (seuil à 50%) ou 1026 euros (seuil à 60%) par mois. Bien sûr, l’Insee tient compte de la composition des ménages, et élève ce seuil en fonction du nombre de personnes du foyer. Le premier adulte vaut une part entière, toutes les personnes de plus de 14 ans comptent pour une demi-part et les moins de 14 ans pour 0,3 part. Au final, un couple avec deux enfants en bas âge sera tenu comme pauvre si ses ressources ne dépassent pas 1800 euros (seuil à 50%) ou 2155 euros (seuil à 60%). La barre est respectivement à 2138 ou 2565 euros pour un couple avec deux enfants de plus de 14 ans.

Jeunes sans emploi et mères isolées

On le voit, la pauvreté est une mesure relative, calculée par rapport à la richesse distribuée, à un moment donné. Et qui évolue avec le temps. Si le niveau de vie médian progresse, alors le seuil de pauvreté augmente: il peut y avoir plus de pauvres, même si leur niveau de vie est inchangé. Et réciproquement. Il s’agit donc plus d’une mesure de dispersion des revenus que d’une définition absolue basée sur des critères de dénuement en matière de logement, de biens et de services. Par exemple, le taux de pauvreté est plus élevé au Luxembourg qu’en France, mais le seuil de pauvreté y est bien plus élevé. Cet indicateur mesure donc imparfaitement la pauvreté au sens usuel. Et ce, d’autant plus qu’il ne tient pas compte du patrimoine: on peut être propriétaire et sous le seuil de pauvreté.



Aujourd’hui, 1 enfant sur 5 vit sous le seuil de pauvreté dans l’Hexagone
Pour autant, peut-on dire que la pauvreté en France s’est aggravée? Sur une période longue, ce n’est pas le cas. Entre 1970 et 2009, le seuil de pauvreté à 50 % a doublé, passant de 400 à 850 euros (en euros constants, une fois l’inflation déduite). Résultat, «une partie des pauvres d’aujourd’hui dispose de niveaux de vie proches de ceux des classes moyennes de l’époque», relève l’Observatoire des inégalités. Mais sur une période courte, la trajectoire est différente. Alors que la pauvreté avait constamment reculé, elle s’est accrue au cours des dix dernières années. La crise déclenchée en 2008 a marqué un retournement. Entre 2006 et 2016, le taux de pauvreté a progressé partout en Europe, la France - où il est passé de 13,3% à 14% - ne faisant pas exception. Cette évolution s’explique par la faiblesse de la croissance, le niveau de chômage élevé, mais elle est aussi due à des facteurs démographiques, en particulier la progression des familles monoparentales, à plus de 80% des femmes qui élèvent seules leurs enfants.
Ainsi, en France, 25% des pauvres vivent dans une famille monoparentale, note l’Observatoire des inégalités. Autre public très exposé: les jeunes, souvent en difficulté d’insertion sur le marché du travail, d’autant plus quand ils sont peu ou pas diplômés. Chaque année, 140.000  jeunes décrochent du système éducatif, ce sont les fameux Neet (Not in Education, Employment or Training) qui ne sont ni étudiants, ni employés, ni stagiaires. Sans oublier les enfants qui vivent dans ces familles défavorisées: aujourd’hui, 1 enfant sur 5 vit sous le seuil de pauvreté dans l’Hexagone. C’est un changement sociologique majeur. Alors que dans les années 1970 la pauvreté touchait surtout les personnes âgées, qui avaient peu ou pas de pension, aujourd’hui les retraités ont en moyenne un niveau de vie supérieur à celui de la population générale.

Le modèle français amortit le choc

Toutefois, la France reste parmi les pays de l’OCDE ayant l’un des plus faibles taux de pauvreté. Le modèle social français, qui est l’un des plus généreux au monde, amortit le choc ; les prestations de protection sociale se sont en effet élevées à 714 milliards d’euros en 2016, soit 32% du PIB, contre 27,5% du PIB dans l’UE des Vingt-Huit. Sans ce filet de protection, la pauvreté grimperait à 22% au lieu de 14%, soit 5 millions de personnes en plus, selon le ministère des Solidarités (Drees).



En France comme dans les autres pays de l’Union l’ascenseur social est en panne: ceux qui se situent en bas de l’échelle des revenus ont peu de chances de gravir les échelons
Si la France dépense beaucoup, c’est d’abord à cause des retraites et de la santé (80 % des dépenses sociales). Mais, sur les mécanismes de solidarité, l’Hexagone est aussi parmi les pays qui dépensent le plus, avec 26,2 milliards d’euros, soit 1,2% du PIB. Ainsi 4,15 millions de personnes percevaient fin 2016 au moins un des dix principaux minima (RSA, AAH, minimum vieillesse, ASS, etc.). Avec les conjoints et les enfants, 7 millions de personnes sont couvertes, soit 11% de la population. Cette politique redistributive contribue à réduire en partie les inégalités, comme en témoigne le «coefficient de Gini», qui mesure les écarts de revenus entre les plus riches et les plus pauvres (0 étant l’égalité parfaite, et 1 l’inégalité absolue). Il se situe à 0,30 en France pour une moyenne de 0,33 dans les pays du G7 en 2016. Alors que depuis 2010 la reprise économique a eu tendance à creuser les inégalités dans les pays de l’OCDE, en France la redistribution s’est renforcée (avec le relèvement du taux d’imposition des tranches supérieures, la revalorisation des prestations sociales, la mise en place de la prime d’activité en 2016, etc.), ce qui «a contribué à inverser, du moins à contenir, l’accroissement des inégalités de revenus», note l’OCDE. En revanche, en France comme dans les autres pays de l’Union l’ascenseur social est en panne: ceux qui se situent en bas de l’échelle des revenus ont peu de chances de gravir les échelons. En France, il faut en moyenne six générations (180 ans) pour que les enfants nés dans une famille modeste parviennent à se hisser au niveau du revenu moyen, contre cinq générations (150 ans) dans l’OCDE.

Le double chantier de Macron

C’est pourquoi Emmanuel Macron a lancé un plan de lutte contre la pauvreté en septembre dernier. Avec deux priorités. D’une part, soutenir les enfants et les familles monoparentales. Il y a dans chaque enfant d’une famille pauvre «un Mozart qu’on assassine», a déclaré le président, citant Saint-Exupéry. Décidé à ce que la pauvreté «ne se transmette plus en héritage», il a instauré le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones prioritaires, l’école obligatoire dès 3 ans, le petit-déjeuner gratuit dans les collèges défavorisés, augmenté de 30% les aides à la garde d’enfant pour les familles monoparentales, facilité l’accès aux places en crèche, prolongé l’aide sociale à l’enfance de 18 ans à 21 ans, etc. D’autre part, il a lancé une réforme des minima sociaux, qui doit se traduire par une loi en 2020 créant le revenu universel d’activité (RUA), qui fusionnera plusieurs prestations en une seule tout en renforçant l’obligation d’insertion. Grâce à ce double chantier, Emmanuel Macron estime que l’on peut, «à hauteur d’une génération, éradiquer la grande pauvreté dans notre pays».



» VOIR AUSSI - 10 chiffres chocs sur la pauvreté en France en 2018





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