09/12/2022

Jean-Marc Jancovici : «Le réchauffement climatique est inarrêtable»

Le spécialiste des enjeux de l’énergie et du climat pense que l’on pourra, au mieux, ralentir le réchauffement en faisant une croix sur les énergies fossiles dont l’épuisement est par ailleurs engagé selon les études de The Shift Project.

Des étudiants de Neoma Business School à Reims ont souhaité vous poser la question : « Crises climatique et énergétique, peut-on respecter l’accord de Paris sans tout réinventer ? ». Quelle est votre réponse ?

La réponse est non. Si l’on essaye de comprendre où l’on va, il faut comprendre d’où l’on vient. On vient d’un monde qui était totalement renouvelable, c’était notre monde d’il y a trois siècles. Ce qui a fait notre monde moderne, ce sont les énergies fossiles. Vous êtes assis comme moi sur une chaise qui doit comporter une armature en métal. L’acier est fait avec du charbon métallurgique. À peu près 15 % du charbon dans le monde sert à faire de l’acier. Cette chaise est recouverte de plastique. C’est de la pétrochimie. Cette chaise n’est pas arrivée ici par porteurs mais par camion et avant par bateau. Tout cela utilise des énergies fossiles. Nous sommes posés sur de la moquette. C’est un dérivé du pétrole. Nous sommes dans un bâtiment. Il a été fait avec de l’acier et du ciment. Le ciment a été fait avec du gaz. Les matériaux de carrière sont arrivés dans la cimenterie grâce à des camions et des convoyeurs alimentés par des énergies fossiles…

La totalité de la transformation du monde des deux derniers siècles a eu un déterminant structurel extrêmement fort qui s’appelle l’abondance énergétique. Le monde du Black Friday et des t-shirts Zara à 5euros est juste impensable sans énergie fossile. Donc peut-on se débarrasser des énergies fossiles sans tout réinventer ? La réponse est non.

On commence par quoi ?

On commence par bien comprendre le problème qui se présente à nous. Aujourd’hui, la quasi-totalité des gens n’y sont pas encore. Il y a trois grands canaux d’accès à l’information : l’enseignement initial, la formation continue et la presse, et maintenant par extension les réseaux sociaux. Ce que je viens d’expliquer fait l’objet de développements extrêmement brefs dans la formation initiale. Globalement, on vous apprend des maths, du français, de l’anglais. Quand on vous apprend l’histoire, on parle très très peu du rôle de l’énergie dans ce qui a fait le monde des deux derniers siècles. C’est également vrai dans l’enseignement supérieur initial où l’on va trouver au mieux un cours d’environnement ou de développement durable en plus des cours « normaux ». Dans la formation continue, c’est pareil. Dans les médias, il y a très peu d’explications de texte. Quand ils parlent du fond, c’est à l’occasion des anecdotes. Par exemple, ils parlent du climat lors de la COP ou de records de température. Ils sont très très accrochés à l’instant, ce n’est pas une critique, c’est comme ça. Quant aux réseaux, ils vous ouvrent peu sur le monde. Ils vous proposent une information qui correspond à ce que vous pensez et savez déjà.

Pour horrible qu’elle soit, la guerre en Ukraine avec ses conséquences sur l’énergie ne nous force-t-elle pas à accélérer la transition ?

Imaginons que vous fumiez un paquet de cigarettes par jour. Je vous dis que vous devriez arrêter pour de bon. Un jour, on vous annonce qu’on va devoir vous enlever un poumon. Alors vous dites : « Là, j’ai un signal d’alerte, je vais arrêter de fumer ». C’est juste un peu tard. Le réchauffement climatique est un processus inarrêtable. À partir du moment où l’on a les premières alertes sévères, la seule garantie, c’est que ce sera pire derrière. La canicule de l’été dernier n’est que le début de quelque chose qui va être pire. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire. À partir de maintenant, on va devoir lutter sur deux terrains. Il va falloir modérer le plus possible la pression sur l’environnement pour modérer le plus possible l’augmentation du problème. Et il faut commencer à réorganiser nos activités et une partie de nos infrastructures pour incorporer le fait que l’adversité va augmenter.

Comment convaincre le Français qui va laisser tomber sa voiture pour le vélo que son action n’est pas dérisoire ?

Hubert Reeves disait, paraît-il, que l’environnement ce n’était pas un gros problème mais huit milliards de petits problèmes. Il y a plein de cas de figure où l’on est confronté à des gens qui disent : « Moi, que je fasse quelque chose ou pas, ça ne changera rien ». Heureusement, on ne fonctionne pas comme ça tout le temps. Nous sommes des animaux sociaux et il nous est désagréable de s’extraire du groupe.

“Le monde du Black Friday et des t-shirts Zara à 5 euros est juste impensable sans énergie fossile”

Quand les salariés d’une entreprise, les étudiants d’une école ou les habitants d’une ville vont ensemble, dans une même direction, sur un projet collectif – au surplus quand ils l’ont décidé eux-mêmes – c’est beaucoup plus efficace que de laisser les gens seuls face à l’adversité.

Cela n’empêche pas d’autres pays d’avoir recours massivement au charbon…

De toute façon, un jour la fête se finira. Il faut 300 millions d’années pour faire du charbon et 50 à 400 millions d’années pour faire du pétrole. Le Shift Project a publié un rapport sur les perspectives d’approvisionnement en pétrole de l’Union Européenne. Il dit que, climat ou pas climat, les seize premiers fournisseurs de pétrole de l’Union Européenne vont voir leur production divisée par deux d’ici à 2050. Donc de toute façon, on va consommer beaucoup moins de pétrole. On va sortir un rapport identique sur le gaz, financé par RTE. C’est même motif, même punition. Poutine ou pas Poutine, l’approvisionnement en gaz va décliner fortement dans les décennies à venir. La voiture-balai est déjà là, on y va tout droit. Que les autres ne fassent pas d’efforts, ce n’est pas un sujet. De toute façon, on va devoir décarboner de gré ou de force. Mon sentiment, c’est qu’il vaut mieux le faire de gré plutôt que de force. Comme, par ailleurs, les gens sont des animaux mimétiques, si l’on prend la meilleure option, d’autres peuvent suivre le même chemin, étant rappelé qu’il n’y aura jamais de garantie que l’ensemble de l’humanité va basculer. Par contre, il y a une garantie absolue : si personne ne fait rien, c’est le chaos qui s’occupera de régler le problème. Donc le pari pascalien est très clair : il faut agir. 

 lunion.fr | Julien BOUILLE

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