07/04/2022

Luc Ferry: «Du succès des idées fausses»

CHRONIQUE - Comment expliquer l’emprise des rumeurs les plus absurdes dans un monde où l’éducation est devenue obligatoire et où les sources d’information n’ont jamais été aussi aisés dans toute l’histoire humaine?

C’est le thème qu’aborde Étienne Klein dans la passionnante conférence qu’il vient de donner devant les membres de l’Institut Diderot (You Tube accessible ici: «La vulgarisation scientifique est-elle un échec?»). Et le physicien n’y va pas par quatre chemins: «Que ce soit sur le nucléaire, le climat, la vaccination, les OGM, la théorie de l’évolution, la science devient l’otage de la postvérité et de la désinformation. “Imaginez-vous que, depuis des siècles, tout le monde vous ment en affirmant que la terre est ronde, en réalité elle est plate!”: cette conviction est partagée par de plus en plus de personnes dans le monde, dopées par les complotistes sur les réseaux sociaux.»

J’ajouterai que les sciences dures ne sont pas les seules victimes de ce fléau si l’on songe aux mensonges qui envahissent l’espace public en matière d’économie ou de géopolitique pendant les campagnes électorales et les guerres au point que, parfois, on se sent littéralement cerné par des fake news qui l’emportent sur les vérités de simple bon sens. Comment expliquer cette emprise des rumeurs les plus absurdes dans un monde où, pourtant, l’éducation est devenue obligatoire et où les sources d’information et l’accès aux livres n’ont jamais été aussi aisés dans toute l’histoire humaine?

Je suis comme lui convaincu que ce sont eux qui font le plus de dégâts quand ils se mettent à déraper. Ce sont les oppositions, parfois haineuses, entre les médecins sur les plateaux de télévision qui ont accentué le doute sur les bienfaits des vaccins ou la nécessité de mesures sanitaires ; ce sont des scientifiques qui ont le plus égaré l’opinion sur le climat: on cite à juste titre le cas de certains membres de l’Académie des sciences, mais si, en face d’eux, je veux dire du côté des experts en écologie, les mensonges n’étaient pas eux aussi gros que des brochets, les opinions publiques seraient sans doute moins égarées. Souvenons-nous des invraisemblables prédictions de Paul Ehrlich, professeur réputé et directeur de recherches dans une des universités les plus prestigieuses des États-Unis, qui annonçait dans un livre vendu à plusieurs millions d’exemplaires qu’en «1980, l’espérance de vie des Américains ne dépasserai pas 42 ans à cause des pesticides et du DDT»!

Souvenons-nous aussi de ces pseudo-spécialistes qui prétendaient, comme François Heisbourg, qu’il existait des armes de destruction massives en Irak, refusant par la suite de reconnaître leurs erreurs, comme on le voit dans cette sidérante interview publiée dans Libération en juillet 2003. Question: «Avez-vous le sentiment de vous être trompé sur la nature de la menace irakienne?» Réponse de Heisbourg: «Je suis sans état d’âme, sur le fond mon sentiment n’a pas changé: l’Irak avait bien des armes de destruction massive.» Question: «Pourtant, personne ne les a découvertes…» Réponse: «En tout état de cause, ces armes ont existé!» Ben voyons! La vérité, c’est que, à part dans la tête de Bush, de Blair et des porte-flingue atlantistes qui leur servaient la soupe, elles n’ont jamais existé!

J’eus l’honneur d’être membre d’un gouvernement, aux côtés de Dominique de Villepin et sous l’égide de Jacques Chirac, qui dut résister à ces carabistouilles. Elles divisaient la droite et auraient pu, si nous les avions écoutées, nous entraîner dans une guerre désastreuse qui aurait fini par provoquer la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes. Le poisson pourrit par la tête, ce qui pose la question de la responsabilité de ceux qui ont une parole publique, mais qui s’en servent pour propager leurs mensonges sous couvert d’«expertise». Klein veut continuer à croire aux bienfaits de la vulgarisation dans le combat pour la vérité. Il a bien raison, mais il faut aussi prendre conscience qu’à l’heure des réseaux sociaux, du primat des lobbies et des intérêts particuliers, la tâche s’annonce de plus en plus rude.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Ce blog est ouvert à la contradiction par la voie de commentaires. Je tiens ce blog depuis fin 2005; je n'ai aucune ambition ni politique ni de notoriété. C'est mon travail de retraité pour la collectivité. Tout lecteur peut commenter sous email google valide. Tout peut être écrit mais dans le respect de la liberté de penser de chacun et la courtoisie.
- Je modère tous les commentaires pour éviter le spam et d'autres entrées malheureuses possibles.
- Cela peut prendre un certain temps avant que votre commentaire n'apparaisse, surtout si je suis en déplacement.
- Je n'autorise pas les attaques personnelles. Je considère cependant que ces attaques sont différentes des attaques contre des idées soutenues par des personnes. Si vous souhaitez attaquer des idées, c'est bien, mais vous devez alors fournir des arguments et vous engager dans la discussion.
- Je n'autorise pas les commentaires susceptibles d'être diffamatoires (au mieux que je puisse juger car je ne suis pas juriste) ou qui utilisent un langage excessif qui n'est pas nécessaire pour l'argumentation présentée.
- Veuillez ne pas publier de liens vers des publicités - le commentaire sera simplement supprimé.
- Je suis pour la liberté d'expression, mais il faut être pertinent. La pertinence est mesurée par la façon dont le commentaire s'apparente au sujet du billet auquel le commentaire s'adresse. Si vous voulez juste parler de quelque chose, créez votre propre blog. Mais puisqu'il s'agit de mon blog, je vous invite à partager mon point de vue ou à rebondir sur les points de vue enregistrés par d'autres commentaires. Pour ou contre c'est bien.
- Je considère aussi que la liberté d'expression porte la responsabilité d'être le propriétaire de cette parole.

J'ai noté que ceux qui tombent dans les attaques personnelles (que je supprime) le font de manière anonyme... Ensuite, ils ont l'audace de suggérer que j'exerce la censure.