31/10/2020

Alain Bauer: «L’église et l’école face au djihad»

Alain Bauer est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, professeur de criminologie, et consultant en sécurité et en gestion de crise.
Il y a quelques années encore, le débat ouvert par un ancien Président de la République, sur la prééminence disputée du curé et de l’instituteur faisait encore couler beaucoup d’encre. En quelques jours, le djihadisme militant et terroriste vient de rappeler à tous que les véritables enjeux de la connaissance et de la foi constituaient la même cible. Et pouvaient, comme un ultime appel à la mobilisation des laïques et des croyants, de la rose et du réséda, de celui qui croyait comme de celui qui ne croyait pas, permettre justement l’émancipation et la compréhension.

Toute religion a connu la marque de ses intégrismes avant de savoir, lentement parfois, évoluer. La soumission n’est pas la libération, les enjeux de l’interprétation et de l’adaptation des textes à l’évolution du monde restent complexes pour chacun. Mais l’appel à l’élimination physique des opposants - la conception absolutiste du blasphème ou de l’apostasie - est encore plus sensible en milieu musulman.

L’Islam connut une période faste d’ouverture et de dialogue, de science et de voyages. Bernard Lewis ou Gustav Von Grunenbaum racontent cette découverte brutale de l’occident et l’effet terrorisant que fut la rencontre du progrès avec la tradition, notamment par la recension faite de Rifa’a al-Tahtawi de sa visite à Paris en 1826 à 1830, découvrant que la ville moderne, accueillante, prospère serait «un paradis des incroyants» et donc «un enfer des croyants».…

Dans ces régimes, la remise en question de l’orthodoxie religieuse et de l’autorité politique permet de transformer toute dissidence, toute opposition, en blasphème ou apostasie

Avant le XIIe siècle, sous l’impulsion du gouvernement de l’époque, un directeur d’une école de droit de Bagdad, Gazali, auteur de la «revivification des sciences religieuses» (Ihya), impose une vision spiritualiste, mystique et dogmatique. Il commencera par désigner comme apostats des philosophes déjà décédés, puis tout intellectuel supposément progressiste ou dangereux pour le pouvoir en place.

Une «sainte alliance entre les oulémas et l’État» selon les termes du professeur Ahmet Kuru,serait née au milieu du XIe siècle en Asie centrale, en Iran et en Irak, avant de s’étendre à la Syrie, à l’Égypte et à l’Afrique du Nord. Dans ces régimes, la remise en question de l’orthodoxie religieuse et de l’autorité politique permet de transformer toute dissidence, toute opposition, en blasphème ou apostasie.

Malgré cela, la Turquie post Ottomane d’Ataturk, l’Égypte nassérienne, l’Irak Baasiste, la Syrie des Alaouites, l’Algérie du FLN, la Tunisie du Destour, et de nombreux autres avaient connu un épisode laïque marqué par un nationalisme souvent virulent. Remplacés au fur et à mesure de leur élimination par des apprentis sorciers souvent occidentaux, par des opposants «intégristes» qui, comme le golem de Prague, échappèrent à leurs manipulateurs.

Depuis, de très nombreux musulmans ont été et sont encore victimes de poursuites, d’agressions, d’éliminations ou d’exécutions dans des pays qui punissent le blasphème ou l’apostasie, alors même que le Coran manque singulièrement de précisions sur la question.

Or, selon, certaines sources dans les hadiths, le Prophète lui-même aurait affirmé « que la mise à mort des blasphémateurs était chose inutile »

Comme le rappelle mon collègue Jean-Pierre Cavaillé: «Un verset du Coran dit: «n’injurie pas ceux qui ne sont pas Dieu et auxquels ils adressent leur prieres, de crainte qu’en retour ils n’insultent Dieu par vengeance et pure ignorance» (6: 108). Dans le droit coranique on invoque les actes d’«insulter Dieu» (sabb Allah) et d’«insulter le Prophète» (sabb al-Rasul) comme constituant les plus grands pêchés. Il en est de même des insultes contre les anges ou les autres prophètes, mais aussi des familiers du Prophète et de ses compagnons (sabb al- sahabah). Il est à noter que l’invocation de cette dernière forme de blasphème servit dans le passe la criminalisation des…chiites».

Or, selon, certaines sources dans les hadiths, le Prophète lui-même aurait affirmé «que la mise à mort des blasphémateurs était chose inutile». Derrière ces accès de violence, cette régression sociétale, cette crispation nationale devenue identitaire et religieuse, se cache un immense problème de culture et de transmission des racines de la Foi. De leur diversité, de la compréhension des problématiques historiques, des évolutions nombreuses qui marquèrent l’histoire du Monde.

Loin d’un choc des civilisations, nous vivons surtout une tragédie des incultures portées par les éléments les plus engagés d’un Djihad souvent marqué par la profonde inculture de ses porteurs les plus sanguinaires. C’est précisément pour cela qu’ils s’en prennent aux sources de la transmission, aux espaces du recueillement, aux outils de la liberté d’expression. Pour y parer, afin de ne pas être obligé de ne se battre que sur l’espace sécuritaire, il faut justement revenir sur le champ de la bataille principale, celle du savoir et de la culture. Identitaire pour les uns, républicaine pour d’autres, la qualification du terrain ne change rien à la nature du terrain.

Pour ce faire, au nom d’une juste laïcité, qui ne peut se limiter à une neutralité molle, à une adjectivation inutile («plurielle», «diverse»,) qui ne peut se résoudre à devenir une simple excuse à l’ignorance des sources des histoires nationales, il convient de revenir sur le terrain d’une dynamique laïque et républicaine, respectueuse des croyantes et des croyants, mais imposant ce qui est l’élément fondateur des valeurs indispensables à faire Nation.

Vingt ans perdus plus tard, il convient de réinvestir le terrain spirituel aussi

Ce qui imposera aussi de mettre fin à la sous-traitance des cultes à des États étrangers et des prêcheurs importés. Le temps est largement venu de revenir à l’esprit qui permit à la République de financer à l’unanimité de sa chambre des députés la création de la «Société des Habous et Lieux Saints de l’Islam, devenue Grande Mosquée de Paris». Jean Jaurès, déjà, expliquait que «la France ne devait pas être schismatique mais révolutionnaire» et imposait aux radicaux, avec l’aide de Briand et Buisson, une loi de 1905 bien plus modérée et bien plus efficace que la rupture voulue par les plus belliqueux des opposants à l’Église de Rome….

Régis Debray avait pris toute sa part à la reconstruction de cet édifice avec son rapport de 2002, peu lu, peu compris, peu appliqué. Vingt ans perdus plus tard, il convient de réinvestir le terrain spirituel aussi. On ne cessera jamais de rappeler que la Déclaration des droits de 1789 fut votée, imprimée et diffusée «en présence et sous les auspices de l’Être Suprême».

Depuis 1905, la République a longtemps trouvé les moyens de convaincre les religions de s’adapter à ses valeurs. Elle ne l’a pas fait la main tremblante ou la peur au ventre. Elle l’a fait sur le terrain de la loi et sur le terrain de l’école. Pour les Chrétiens, les Juifs. Orthodoxes et Bouddhistes s’y sont pliés de bonne grâce. C’est le moment de l’Islam en France de choisir de devenir l’Islam de France. Et à la République, sur tous les terrains, d’aider les musulmans à retrouver les chemins du respect dans la pratique de leur culte, dans la paix civile sous contrôle de la puissance publique, garante du droit de croire, de ne pas croire, ou de changer de religion et de ne pas menacer la paix publique.

En bref, le moment est venu du grand retour de la Loi de 1905. Toute la loi. Rien que la Loi.

 

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