Selon un rapport de l’Inspection générale des finances, la première cause de l’inflation alimentaire est l’augmentation du coût des intrants, principalement des engrais. Le revenu des agriculteurs semble avoir également augmenté, quand la profitabilité de l’industrie agro-alimentaire a, elle, diminué.
Tout le monde s’en est aperçu en faisant ses courses : la facture de gaz et d’électricité n’est pas seule à mordre sur le budget. Certes, les 6 % d’inflation enregistrés cette année s’expliquent en premier lieu par la hausse des prix de l’énergie, mais aussi par les produits alimentaires. Ces derniers ont en effet enregistré une hausse de 10 % entre septembre 2021 et 2022, si bien que l’alimentation pèse à elle seule un tiers de l’inflation totale.
Pourquoi le prix de l’huile a-t-il grimpé de 60 % en un an ? Même question pour le couscous (20 %) ou les volailles (15,8 %). Surtout, y-a-t-il, comme pour le secteur énergétique, des superprofiteurs ? L’inspection générale des finances (IGF) vient justement d’apporter des réponses. Elle décompose dans un très riche rapport les causes de l’inflation alimentaire et comment les différents acteurs de la chaîne ont profité, ou pas, de cette augmentation.
Ce qui n’est pas forcément simple car, schématiquement, trois acteurs interviennent pour fabriquer un aliment. L’agriculteur évidemment – éleveurs, maraîchers ou céréaliers. Vient ensuite l’industrie agroalimentaire qui achète les produits à l’agriculteur pour les transformer. Que ce soit des céréales pour en faire de la farine, des pâtes, ou de la viande pour la couper et préparer.
Puis en bout de course, cet industriel vend le produit fini à la grande distribution, qui le propose au consommateur. Le prix d’un kilo de farine ou d’un yaourt se répartit donc en trois parts qui vont chacune rémunérer l’un des acteurs de cette chaîne qu’on nomme « chaîne de valeur ». Se pose donc la question stratégique et majeure du partage de la valeur au sein de cette chaîne.
Lorsqu’un client achète un paquet de spaghettis, en moyenne, 25 % revient au producteur, 56 % au transformateur (le secteur agroalimentaire) et 19 % au distributeur. Pour une escalope de poulet, produit moins transformé que les pâtes, l’agriculteur empoche 32 % du prix, l’industriel 27 % et le commerçant 42 %.
Dépendance aux intrants
Mais revenons aux causes : pourquoi les prix s’envolent-ils ? La principale raison est la hausse du coût des intrants tout au long de la chaîne. Mais cela vaut surtout pour les agriculteurs. Le prix auquel ces derniers ont vendu leurs produits a augmenté en moyenne de 20 %, et la moitié de cette hausse s’explique par la hausse du coût des intrants, en grande majorité l’énergie et les engrais, dont le prix est tiré par la guerre en Ukraine et la reprise post-covid.
Il faut le rappeler, sans pétrole, la ferme France ne tourne pas. Mais la consommation d’énergie dans l’agriculture ne se limite pas au carburant pour les tracteurs ou moissonneuses-batteuses, elle est nécessaire pour chauffer les serres et pour produire les engrais.
« La très forte dépendance de notre agriculture et de notre alimentation à l’égard de l’emploi d’énergies fossiles [résulte principalement] […] du recours intensif à ces engrais de synthèse pour fertiliser les céréales (blé, orge, etc.) et oléagineux (colza, tournesol). », rappelle Marc Dufumier, agronome à Agroparistech.
C’est en effet saillant pour les grandes cultures (blé, colza, tournesol, etc.), dont 45 % de la consommation énergétique provient de la production des engrais azotés. Sans entrer dans la leçon de chimie, les engrais azotés sont principalement produits à base d’ammoniac, lui-même extrait du gaz. Leur fabrication demande donc, logiquement, de l’énergie.
L’achat de ces intrants se retrouve ainsi lié au marché de l’énergie. Et si la consommation d’engrais azoté se concentre dans les grandes cultures, elle touche par répercussion également les éleveurs, puisqu’une partie de cette production est destinée à l’alimentation animale.
L’agriculture française repose sur une consommation d’énergie, d’engrais et de produits sanitaires, dont la note annuelle se chiffre à un peu plus de 12 milliards d’euros, soit 14 % de la valeur de sa production
En somme, l’activité agricole française repose sur une consommation d’énergie, d’engrais et de produits sanitaires, dont la note annuelle se chiffre à un peu plus de 12 milliards d’euros, soit 14 % de la valeur de la production du pays. Un révélateur de la dépendance du modèle agricole français.
La hausse du prix des intrants touche aussi l’industrie, puisque les emballages en papier et carton ont augmenté de 16 % depuis le début d’année, 8 % pour ceux en plastiques ou encore 9 % pour ceux en verre. Voilà, pour les causes de l’inflation alimentaire.
Reste à savoir comment cette hausse a été répercutée par chaque acteur. Pour cela, le rapport de l’IGF regarde la marge nette, qui correspond au prix de vente pour chaque acteur de la chaîne, diminué de ses consommations intermédiaires ayant servi à la production, de la rémunération des salariés et augmenté des subventions d’exploitation. Autrement dit, la profitabilité de chaque activité.
Inversion du rapport de force ?
Commençons par celle de l’agriculture. On l’a dit, le prix de vente d’un produit agricole a augmenté de 20 %. La première cause est la hausse du coût des intrants (10,9 %), suivie de l’augmentation des salariés du secteur (1,6 %), et d’une amélioration de cette marge nette (8 %).
Comment expliquer que les agriculteurs français aient augmenté leurs marges ? Cela peut être l’effet d’une amélioration du rapport de force entre l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. Une conséquence potentielle de la loi Egalim II, pointe le rapport de l’IGF. « Les lois Egalim I en 2018 puis Egalim II en 2021 ont été adoptées pour améliorer le revenu des producteurs agricoles », résument les auteurs.
L’une des dispositions mise en application cette année vise à rendre la part de la matière première agricole non négociable. L’objectif est que les négociations entre l’industrie agroalimentaire et la grande distribution ne portent pas sur le coût de l’achat des produits agricoles mais uniquement sur leur coût de transformation.
Derrière l’amélioration de la marge de l’agriculture se cachent évidemment d’importantes disparités entre exploitations fruitières ou maraîchères, et certains secteurs, comme les céréaliers, avantagés en cas de tendance haussière
De cette manière, « l’industrie agroalimentaire pourrait avoir une incitation moins forte à négocier à la baisse le prix d’achat des matières premières agricoles en amont auprès des agriculteurs ». Un rapport de force plus favorable aux agriculteurs est-il en train de s’amorcer ? Une évaluation plus fine et complète de la loi est cependant nécessaire pour mesurer ces effets.
Derrière l’amélioration de la marge de l’agriculture se cachent évidemment d’importantes disparités. Les exploitations fruitières et de maraîchage ont enregistré une hausse du prix de vente inférieure à celle du coût de leurs intrants, entraînant une baisse de leur marge. A l’inverse, certains secteurs, comme les céréaliers, ont leur prix de vente indexés sur les cours mondiaux et décorrélés des coûts de production, ce qui les avantage en cas de tendance haussière.
Ensuite pour l’industrie agroalimentaire, la hausse du coût de leurs intrants (12,2 %), principalement les produits agricoles et plus faiblement celui des emballages, et la légère évolution (de 1,3 %) des salaires du secteur sont supérieurs à l’augmentation du prix de vente (12 %). Résultat : la marge nette s’est donc réduite de 16 % entre 2019 et mi-2022.
Comme le note le rapport, la diminution de la rentabilité du secteur « contribue, à elle seule, à réduire la hausse des prix finaux à la consommation des prix alimentaires de 1,3 % ». Cette diminution s’inscrit cependant dans une tendance plus longue de dégradation de la rentabilité de ce secteur industriel.
Dernier maillon de la chaîne : la grande distribution. Les Auchan, Leclerc, Carrefour et consorts ne sont pas les seuls à écouler les produits alimentaires, mais ils représentent tout de même 70 % des ventes de produits alimentaires. La hausse du prix de vente de la grande distribution compense grosso modo l’augmentation de leur coût d’approvisionnement ainsi que celle des salaires du secteur, si bien que leur marge nette est presque stable avec un léger reflux de 1 %.
Ces chiffres dessinent un tableau général, qui compte évidemment certains contre-exemples. La grande distribution a par exemple amélioré sa marge sur les yahourts, mais l’a réduite sur les pâtes, le bœuf et le poulet. Mais ils mettent surtout en lumière l’évolution des rapports de force au sein d’un secteur économique et plus globalement ses fragilités. Pour éviter que la facture de nos caddies soit de plus en plus salée, il faudrait commencer par réduire la dépendance de l’agriculture aux intrants, engrais et produits phytosanitaires.
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