08/12/2022

Le plein-emploi est-il à l’horizon ?

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Le gouvernement met les moyens et mise beaucoup sur l’apprentissage pour atteindre son objectif de plein-emploi d’ici à 2027. Mais ce n’est pas gagné.

Dans son discours de politique générale prononcé l’été dernier, Elisabeth Borne l’assurait : « Le plein-­emploi est à portée de main. » Si l’on en croit le dernier projet de loi de finances 2023, présenté le 26 septembre dernier en Conseil des ministres, l’objectif est d’« accompagner la France vers le plein-emploi », et cela passera par l’amélioration du taux d’insertion professionnelle à la sortie des études, l’aide à la réinsertion de ceux éloignés de l’emploi et l’augmentation de l’attractivité des métiers. On retrouve pour l’instant une enveloppe de 20,7 milliards d’euros inscrite pour la mission « travail et emploi », c’est 6,7 milliards de plus qu’en 2022.

Vers le million d’apprentis

Le plein-emploi désigne une situation dans laquelle le chômage n’est que transitoire puisque lié aux frictions sur le marché du travail. Autrement dit, ce serait une situation où il pourrait y avoir du chômage, mais toute personne désireuse de trouver un travail pourrait le faire plus ou moins facilement. L’Organisation internationale du travail définit le plein-emploi comme un taux de chômage inférieur à 5 %.

En s’établissant à 7,4 % de la population active mi-2022, le taux de chômage en France a retrouvé, près de quinze ans après, son niveau observé avant la « grande récession » de 2008. Le nombre de chômeurs s’élève mi-2022 à 2,3 millions, soit 583 000 de moins qu’au début du premier mandat d’Emmanuel Macron. Entre mi-2017 et mi-2022, près de 1,7 million de postes ont été créés, dont plus d’un million d’emplois salariés. C’est particulièrement le cas dans le secteur privé, l’emploi salarié public ayant, quant à lui, montré un dynamisme nettement plus mesuré (+ 0,8 % entre mi-2017 et mi-2022, contre + 7,4 % dans le privé). L’activité non salariée a également progressé (+ 13,1 %), soit plus de 377 000 personnes.

Faisons maintenant un petit exercice : si l’on se base sur les projections d’évolution de la population active pour 2027 récemment réalisées par l’Insee, atteindre le plein-­emploi impliquerait une baisse du nombre de chômeurs de 725 000 (2,4 % de l’emploi total au 2e trimestre 2022) d’ici juin 20271. Ce pari est-il tenable ?

Le soutien massif à l’apprentissage pesant très lourd pour les finances publiques il ne saurait être pérennisé, sa contribution à la baisse du chômage reste ainsi très incertaine

Une première piste consisterait à enrichir la croissance en emplois, avec la mise en place d’une politique de l’emploi ambitieuse. A cet égard, la réforme de l’apprentissage de septembre 2018, et plus récemment la mise en place d’une prime exceptionnelle de 8 000 euros pour l’embauche d’un apprenti majeur, a fait grimper en flèche le nombre d’apprentis. 733 000 contrats d’apprentissage ont été signés en 2021 et on devrait atteindre un niveau au moins aussi élevé pour 2022. Le gouvernement veut aller plus loin et cible un million d’apprentis d’ici à 2027. L’effet net sur l’emploi2 de ce dispositif peut être estimé à près de 280 000 créations de postes entre 2019 et mi-2022. Il y a donc de quoi être optimiste pour les années à venir. Mais ce soutien massif à l’apprentissage pèse très lourd pour les finances publiques et ne saurait être pérennisé, sa contribution à la baisse du chômage reste ainsi très incertaine. Enfin, l’absence de ciblage du dispositif a surtout bénéficié à un public qui aurait eu de toute façon moins de difficultés à s’insérer sur le marché du travail, contrairement au public visé par les précédentes politiques d’emplois aidés.

Rétention de main-d’œuvre

Une question toujours non résolue est celle de la perte de productivité. Deux ans ont passé depuis l’arrivée en France du Covid et les entreprises ont su profiter du « quoi qu’il en coûte », notamment via le dispositif d’activité partielle : entre 2020 et 2021, 2,3 millions de salariés en moyenne ont été placés en activité partielle. L’emploi total a ainsi été sauvegardé grâce à un ajustement de la durée du travail. Le volume horaire travaillé est aujourd’hui bien plus élevé que ce que l’on pouvait anticiper au moment de la crise sanitaire. Selon les dernières prévisions de l’OFCE3, 660 000 emplois salariés dans le secteur marchand existent aujourd’hui alors qu’ils auraient dû être détruits pendant la crise.

Il est probable que les entreprises tenteront de regagner une partie des pertes de productivité, rendant alors la croissance moins riche en emplois

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette « rétention de main-d’œuvre » : les aides distribuées aux entreprises depuis la crise du Covid-19 ont pu maintenir artificiellement certaines d’entre elles en activité – c’est ce que l’on appelle les « entreprises zombies » – alors même qu’elles auraient dû faire faillite. D’autres facteurs ont pu jouer, comme le télétravail, la hausse du taux d’absence ou encore la déclaration de travail dissimulé avant que les aides aux entreprises ne se mettent en place. Enfin, l’anticipation d’une forte reprise, illustrée par des carnets de commandes fournis, a pu inciter les employeurs à garder leurs effectifs, dans un contexte où les difficultés de recrutement sont importantes.

Cette rétention expliquerait que la productivité du travail demeure largement en deçà de sa tendance d’avant-crise en France (et dans une majorité de secteurs). S’il est encore trop tôt pour évaluer précisément l’incidence de ces différentes pistes sur le comportement passé des entreprises en matière d’emploi, il nous semble en revanche très probable que, dans un futur proche, les entreprises tenteront de regagner une partie de ces pertes de productivité, rendant alors la croissance à venir moins riche en emplois et la baisse du chômage plus hypothétique. Dans une projection réalisée jusqu’à l’horizon 2027, l’OFCE jugeait en juillet 2022 que le taux de chômage resterait supérieur de 2,5 points à l’objectif décrit par le gouvernement4.

1,9 million de personnes se trouvaient encore dans le halo autour du chômage en juin 2022 et 1,3 million étaient en situation de sous-emploi

Enfin, est-ce que viser un faible taux de chômage est suffisamment ambitieux ? Pour aller plus loin, ne faut-il pas aussi réduire le nombre de personnes contraintes dans leur offre de travail ? Pour mémoire, 1,9 million de personnes se trouvaient dans le halo autour du chômage en juin 2022 et 1,3 million étaient en situation de sous-emploi (c’est-à-dire que ces personnes travaillaient moins d’heures qu’elles ne l’auraient voulu). Atteindre le plein-emploi est sans doute un objectif souhaitable, mais encore faut-il que les emplois en question soient de qualité, avec un partage équitable des bons postes, sans discrimination selon le sexe ou l’origine. 

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