16/04/2022

Le programme de Marine Le Pen s'appliquerait en "violation de la Constitution"

C’est le propre des projets de rupture: des promesses spectaculaires qui se heurtent à certaines réalités qui dépassent les propos d’estrade. À ce sujet, le programme de Marine Le Pen pourrait faire office de cas d’école. Car le projet qu’elle porte compte un nombre de mesures qui se fracasseraient sur le socle de notre fonctionnement démocratique: la Constitution. Et notamment la pierre angulaire de son projet: la préférence nationale. Alors que la faisabilité juridique du programme de Marine Le Pen fait débat, Le HuffPost a sollicité Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille, pour passer au crible les propositions de la candidate d’extrême droite. Et pour ce spécialiste, le programme de Marine Le Pen ne pourra se réaliser sans une “violation de la Constitution”, que ce soit sur le fond, comme dans la forme. Explications. 

Un projet contraire au principe d’égalité 

Tout d’abord, un coup d’œil à la Constitution. Dans son préambule, il est écrit que “le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946”. Un principe consacré par l’article premier du texte, qui “assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion”. Or, Marine Le Pen propose dans son programme d’inscrire dans la Constitution la “priorité nationale” ou encore une disposition interdisant “l’installation d’un nombre d’étrangers” qui serait “de nature à modifier la composition et l’identité du peuple français”. 

Ce qui entre en contradiction avec le “bloc de constitutionnalité” qui consacre les “principes essentiels” mentionnés plus haut. “Actuellement, la Constitution garantit le principe d’égalité. La priorité nationale est une rupture pure et simple de ce principe. En théorie, on peut tout mettre dans le texte, mais pour le faire, il faut que ce soit conforme aux règles. Or là, ça va totalement à rebours des principes du texte, ça se ferait en confrontation totale avec l’esprit de la Constitution”, observe Jean-Philippe Derosier, ajoutant que cette mesure entre aussi en contradiction “avec les règles européennes auxquelles la France a souscrit au nom de la Constitution”.

Selon le professeur de droit public, une telle mesure “engendrerait la nécessité de sortir de l’Union européenne”. Il en va de même pour la priorité du droit national sur le droit européen qu’elle souhaite également instaurer. Consciente de la difficulté que pose l’instauration de discriminations dans un texte qui garantit les grands principes d’égalité et de fraternité, Marine Le Pen entend trancher cette question par un référendum qui modifierait la Constitution. Et là aussi, il y a (beaucoup) à redire. 

Un “coup d’État constitutionnel”

Pour s’assurer de pouvoir inscrire dans la Constitution la matrice de son programme, Marine Le Pen entend convoquer le peuple, via un projet de loi référendaire. Une méthode, croit-elle, qui lui permettrait de se défaire des contraintes légales auxquelles se heurte son projet. Pour réviser la Constitution, la candidate d’extrême droite peut utiliser la procédure prévue à l’article 89. Problème, celui-ci implique que l’Assemblée nationale et le Sénat approuvent, et dans des termes strictement identiques, le projet de loi qu’elle voudrait soumettre à référendum.

Un chemin législatif qui demande d’avoir une majorité à l’Assemblée (ce qui n’est pour l’heure pas acquis) mais, surtout, que le Sénat (où Les Républicains sont majoritaires) accepte de modifier la Constitution selon ses termes. Ce qui est improbable, et Marine Le Pen en est consciente. Pour contourner le Parlement, la candidate RN entend s’appuyer sur l’article 11 de la Constitution, qui permet d’organiser un référendum. Pour appuyer sa démonstration, Marine Le Pen cite le précédent du général De Gaulle et son référendum de 1962, au sujet de l’élection présidentielle au suffrage universel. “Depuis cette date, il a été acquis que la Constitution pouvait être modifiée par référendum directement”, affirme-t-elle.

“Si elle n’a que de très vagues compétences en droit constitutionnel, Marine Le Pen a au moins une bonne mémoire”, ironise Jean-Philippe Derosier, avant de pointer les différences entre le précédent de 1962 et le contexte actuel. “D’abord, la Constitution n’avait que trois ans d’existence, tout comme le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, tous les juristes de l’époque avaient dénoncé une violation du droit constitutionnel. Enfin, le droit a évolué depuis cette date”, poursuit le constitutionnaliste, avant de démonter l’argumentaire de la candidate RN.  

Selon elle, les Sages n’ont “pas la capacité de regarder le contenu d’un référendum” mais doivent seulement s’assurer de la bonne tenue du scrutin. Ainsi, elle pourrait très bien proposer toutes ces révisions par ce biais, sans que le Conseil constitutionnel puisse agir. Erreur. “Le Conseil doit examiner les actes préparatoires d’un référendum. Et parmi ceux-ci, il y a le décret de convocation du scrutin et le projet de loi qu’elle souhaite soumettre. Si le contenu de ces actes est contraire à la Constitution et n’entre pas dans le champ d’application de l’article 11, il s’y opposera”, explique Jean-Philippe Derosier, qui s’alarme de la légèreté avec laquelle Marine Le Pen aborde ces questions fondamentales. 

“En réalité, il y a très peu de chances que cela se réalise. Ce qui est frappant, c’est le fait d’assumer de vouloir violer la Constitution, ce qui me conduit à qualifier son projet de ‘coup d’État constitutionnel’”, pointe le spécialiste. Alors que Marine Le Pen a l’obligation de modifier la Constitution pour appliquer son programme, son incapacité à le faire dans les termes qu’elle voudrait pourrait la conduire, en cas d’élection le 24 avril, à la paralysie politique.   

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