16/04/2022

Thierry Breton: «Le projet de Madame Le Pen nécessite un “Frexit”»

source lefigaro.fr par Thierry Breton 
Le commissaire européen au marché intérieur analyse le programme des deux candidats au second tour de l’élection présidentielle à l’aune de leur conformité au droit européen.

L’Union européenne ne saurait s’immiscer dans les échéances électorales nationales, lesquelles relèvent de la seule souveraineté des peuples des États membres. Les projets politiques soumis au suffrage des citoyens - et ce fut notamment le cas pour le Brexit - incitent toutefois à prendre en considération leur possible impact sur le respect et le fonctionnement des institutions européennes.

Vu de Bruxelles, il ressort que plusieurs mesures du programme de Mme Le Pen sont incompatibles en l’état avec les traités européens. Outre la renégociation des accords de Schengen, certaines de ses propositions nécessiteraient une révision pure et simple desdits traités. Entre autres exemples: la promesse de rétablir la primauté de la Constitution française sur le droit européen ; le remplacement de l’Union européenne par une alliance d’États-nations ; le rétablissement des contrôles systématiques de marchandises aux frontières ; l’octroi des aides sociales aux seuls citoyens français ; le conditionnement des prestations sociales à un minimum d’années de travail sur le territoire national.

Par principe, une révision des traités est de l’ordre du possible mais elle suppose de réunir un certain nombre de préalables. En premier lieu, de soumettre au Conseil européen un projet réunissant une majorité pour convoquer une conférence des gouvernements des États membres. Encore faut-il que les États s’accordent ensuite sur le contenu même des modifications que les Vingt-Sept - autre condition sine qua non - doivent accepter à l’unanimité avant de les faire ratifier par vote des parlements nationaux ou par référendum.

Sauf à ce que, sous sa présidence, la France ne s’affranchisse unilatéralement de ses obligations, les ambitions européennes de Mme Le Pen paraissent très difficiles, voire impossibles à réaliser

Bien qu’elles ne soient pas incompatibles avec les traités, d’autres mesures du programme de Mme Le Pen sont contraires aux règles actuelles de l’Union. Citons par exemple la promesse de réduire de 5 milliards d’euros la contribution française au budget de l’Europe. Ou celles de ramener de 20 % à 5,5 % la TVA sur les carburants, d’interrompre le développement du solaire et de l’éolien ou de généraliser l’étiquetage relatif à l’origine et à la qualité des produits alimentaires. Adopter de telles mesures nécessiterait de changer la législation européenne. Pour ce faire, la Commission européenne devrait présenter des textes modificatifs en ce sens qui devraient être ensuite votés à la majorité par le Parlement, et à la majorité qualifiée par le Conseil. Précisons à cet égard que les questions de fiscalité imposent de recueillir l’unanimité du Conseil.

Les États membres sont aujourd’hui impliqués dans un plan de réduction des émissions de C02 et de développement des énergies vertes et la probabilité qu’ils acceptent de modifier leurs trajectoires apparaît infime, pour ne pas dire inexistante. Au Parlement européen, réunir une majorité sur le même sujet semble tout aussi inenvisageable. Et cela vaut de la même manière pour la contribution budgétaire qui, pour les années 2020-2027, a fait l’objet d’une âpre négociation à vingt-sept.

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En d’autres termes, et sauf à ce que, sous sa présidence, la France ne s’affranchisse unilatéralement de ses obligations, les ambitions européennes de Mme Le Pen paraissent très difficiles, voire impossibles à réaliser. Si les Français devaient choisir son programme, Mme Le Pen, pour le mettre en œuvre, n’aurait d’autre choix que de leur proposer un «Frexit» par référendum. C’est suivant le même scénario, et après la même analyse, que les Britanniques ont été contraints de le faire, en juin 2016.

Pour sa part, le projet européen de M. Macron reste ancré dans une ambition de souveraineté et de solidarité qui, depuis la crise sanitaire et le déclenchement de la guerre en Ukraine, s’affirme dans un contexte particulièrement instable. Parmi les chantiers initiés depuis janvier au titre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, citons tout particulièrement la régulation de l’espace informationnel et des grandes plateformes numériques (DMA/DSA), l’Europe de la Défense, l’autonomie technologique et la réindustrialisation de l’Union dans un certain nombre de secteurs névralgiques, ainsi que l’édification d’une politique d’indépendance énergétique fondée sur le nucléaire et les énergies renouvelables.

Ces axes stratégiques constituent aujourd’hui des priorités désormais partagées par les partenaires de la France en Europe. La crise sanitaire a provoqué une profonde prise de conscience dans l’Union européenne. Les Vingt-Sept ont résolu de surmonter leurs désaccords et de décréter un élan de solidarité, en tous points historique, pour faire face aux lourdes conséquences économiques et sociales de la pandémie. Ils se sont mobilisés pour l’achat et la production de vaccins, jusqu’à devenir le premier exportateur mondial de vaccins à ARN messager. Pour la première fois depuis sa création, l’Europe a décidé d’emprunter en commun, de mutualiser les dettes engendrées par la pandémie et de lancer un grand plan de relance au soutien de l’économie européenne. Enfin, et pour lutter contre le dérèglement climatique, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a vu le jour sous la présidence française, qui a vocation à protéger les efforts écologiques des producteurs européens dans la compétition mondiale et de tirer vers le haut les acteurs étrangers qui opèrent dans le marché intérieur européen.

Ces initiatives constituent autant de ruptures décisives pour le futur de l’Europe et sa place dans le monde. Elles résultent d’une ambition, d’une méthode et d’un projet conformes aux traités. Elles s’inscrivent dans le respect de nos partenaires et du fonctionnement des institutions.

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