À une semaine du second tour de la présidentielle, la campagne s'emballe. Après les résultats du 10 avril, les deux candidats ont repris la route pour convaincre avec deux stratégies différentes. Le président-candidat, presque absent avant le premier tour, se multiplie, allant au contact, débattant – à portée de claques – avec les Français et amendant son projet. Marine Le Pen, débarrassée d'Éric Zemmour, n'est plus abri et son projet est désormais scruté et attaqué. À Avignon (Vaucluse), la candidate du Rassemblement national a tenté de contourner le « front républicain » en appelant à faire barrage contre Emmanuel Macron. Le point d'orgue de cet entre-deux-tours sera bien évidemment le débat du 20 avril, à suivre sur Le Point. Le conseiller Philippe Olivier revient sur cette campagne et explique en quoi cette présidentielle est différente de 2002 et 2017 où le RN (ex-FN) était déjà présent au second tour.
Le Point : À huit jours de l'élection, Emmanuel Macron mène une campagne éclair, certes, mais de terrain, n'hésitant pas à aller au-devant de ses détracteurs, quand Marine Le Pen privilégie conférences de presse et visites dans des territoires favorables. N'est-ce pas une erreur ?
Philippe Olivier :Marine Le Pen a fait en quelques mois quelque quatre-vingts déplacements. Personne ne peut lui faire le grief de n'être pas sur le terrain et de ne pas rencontrer de citoyens. L'idée que seul M. Macron irait à la rencontre des gens est un élément de langage de la campagne LREM, pas une réalité. M. Macron n'a pas fait campagne au premier tour et en est poussivement à trois rencontres dans ce second tour. Alors que Marine Le Pen est acclamée lors de rencontres spontanées et sollicitée pour des milliers de selfies, M. Macron, lui, est pris à partie par des électeurs mécontents. Ces rencontres lui donnent d'ailleurs l'occasion de montrer qu'il n'a rien perdu de sa capacité de dédain pour les personnes en désaccord avec lui.
C'est la troisième fois que le FN/RN est au second. En quoi 2022 est-elle différente de 2002 et 2017 ?
Oui, ce sont les mêmes personnes au second tour, mais ce ne sont pas les mêmes personnages. M. Macron a un bilan, un bilan catastrophique qu'il n'a même pas cherché à présenter. Rappelez-vous, en 2017, il se présentait vierge de tout bilan alors qu'il avait été conseiller et ministre de François Hollande. Marine Le Pen a beaucoup travaillé et chacun reconnaît qu'elle est différente, plus aguerrie, qu'elle est prête. En fait, les deux débatteurs se présentent dans une situation opposée à 2017 : Mme Le Pen est sereine et sûre de son projet ; M. Macron est fébrile et agressif, avec un projet manifestement improvisé, bricolé et incertain.
Le Mozart de la finance laisse 600 milliards de dettes supplémentaires et 80 milliards de déficit commercial.
Le « front républicain », dont vous aviez parié qu'il avait disparu, semble bel et bien réactivé : syndicats, patronat, monde du sport et de la culture, responsables politiques… Tous appellent à faire barrage au RN. Le « plafond de verre » est-il indépassable ?
Sur les plateaux, c'est : « Stop à Marine », mais dans la rue, c'est : « Stop à Macron ». Ce second tour, qui voit l'oligarchie face au peuple, révèle les connivences de tout le système. Des révolutionnaires en peau de lapin ou en peau de vison font cause commune avec le Medef ou le paradis fiscal du Luxembourg. Pour les observateurs attentifs, ce dévoilement constitue un véritable révélateur de la farce qui se joue dans la vie politique depuis des dizaines d'années : de Jospin à Sarkozy en passant par Hollande, ils sont tous appelés en renfort pour tenter de sauver le soldat Macron contre le peuple. Les électeurs pensaient naïvement que tous ces gens étaient des adversaires politiques. Ils se rendent compte que, depuis des décennies, on les trompe. Ils ont tous gouverné avec le même logiciel mondialiste avec les mêmes résultats. Ils sont tous solidaires les uns des autres. La seule vraie alternative pour le pays, c'est vraiment le vote Marine Le Pen.
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En 2017, Marine Le Pen avait tenté de capter les voix de Mélenchon, sans succès. Pourquoi cela marcherait-il cette année ?
Parce qu'Emmanuel Macron a un bilan, un bilan épouvantable ; le Mozart de la finance laisse 600 milliards de dettes supplémentaires et 80 milliards de déficit commercial. Le candidat Macron n'a, par ailleurs, pas renoncé à passer le rouleau compresseur social. Les électeurs savent que, s'il est réélu, à partir de 2030, c'est-à-dire demain, ils devront travailler jusqu'à l'épuisement avec une pension de misère. Avec lui, la déréglementation fera des ravages dans toutes les professions. Ceux qui auront laissé passer M. Macron s'en voudront énormément.
Comment réconcilier ces trois France issues des urnes ? Peut-on encore être le président de tous les Français à la vue de la fracturation du pays ?
C'est tout le projet de Marine Le Pen. Poser sans détour les problèmes et y apporter des solutions par une recherche constante de l'unité nationale. Notre pays est trop fracturé pour ne pas rechercher avec un gouvernement d'union nationale les voies et moyens du redressement du pays. C'est ce que propose Marine Le Pen avec la vision d'une femme d'État.
La guerre en Ukraine a-t-elle changé votre perception de la Russie ?
Personne n'ignore que la Russie est un pays rude et prêt à beaucoup de sacrifices pour défendre ce qu'elle estime être ses intérêts. Les millions de morts russes de la guerre contre l'Allemagne nazie en témoignent. Nous, nous pensons que Vladimir Poutine, en dehors d'une faute politique majeure, a violé gravement le droit international et nous condamnons sans réserve l'injustifiable invasion de l'Ukraine. Nous sommes totalement solidaires du peuple ukrainien qui vit un véritable martyre. Pour nous, la seule boussole, c'est l'intérêt national et la recherche, autant que possible, de la paix. Nous pensons qu'il faut parler à tout le monde, y compris aux régimes que nous n'apprécions pas. M. Macron, lui-même, continue à parler avec Vladimir Poutine. C'est le rôle de la France d'aider à sortir de cette épouvantable tragédie dans l'intérêt même du malheureux peuple ukrainien et sortir de la dangereuse logique de l'escalade.
Le programme de Marine Le Pen est maintenant scruté à la loupe. Et de nombreuses mesures inquiètent. Votre chiffrage est jugé bancal, certaines propositions légalement inapplicables. Pourra-t-on relancer la croissance en mettant l'économie sous cloche ?
C'est là une présentation injustement à charge. Ceux qui ont suivi la conférence de presse sur le chiffrage ont vu que le projet que nous présentons est parfaitement équilibré. Nous mettons en face des dépenses que nous programmons pour le pouvoir d'achat des Français de sérieuses économies : sur la ruineuse politique d'immigration, sur les fraudes qui s'élèvent à plusieurs dizaines de milliards d'euros et sur la réduction de la contribution qui nous semble excessive à la dispendieuse Union européenne.
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Votre vision européenne « d'alliance des nations libres et souveraines » ressemble furieusement à un Frexit qui ne dirait pas son nom. N'est-ce pas ce qui menace, si les nombreux bras de fer (sur l'énergie, la commande publique, Schengen, etc.) que vous comptez engager avec Bruxelles échouent ?
Nous n'avons pas de problème à dire ce que nous pensons et ce que nous proposons. Quand nous étions pour le Frexit, nous l'avons dit. Nous avons évolué parce que la situation a évolué. L'orthodoxie qui pesait sur l'euro et qui interdisait à la monnaie unique d'être un outil de relance a été assouplie. Cela signifie que ce que nous demandions pour l'euro était possible. C'est tant mieux.
Sur les institutions, nous sommes aujourd'hui pour une réforme de l'Union européenne, sachant qu'il y a en Europe de plus en plus de pays qui refusent cette Europe hypercentralisatrice, une organisation qui évolue vers un état central européen, un véritable empire qui écrase les nations. Nous voulons ramener davantage d'écoute et de démocratie dans le fonctionnement de l'Union européenne. Nous voulons que les nations d'Europe ne soient plus méprisées mais prises en compte.
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Que deviendrait, sous une présidence Le Pen, le couple franco-allemand ?
Nous avons vocation à parler avec l'Allemagne. Pour autant, l'Europe, c'est 27 pays qui se sentent humiliés par ce duo un peu exclusif. Il faut que les grands pays européens associent davantage leurs partenaires dans une Europe plus respectueuse de tous les peuples, de tous les États.
On a beaucoup parlé de guerre, mais peu, finalement, de projet de défense. Comment réarmer la France ?
Le réarmement de la France passe d'abord par un changement d'état d'esprit de nos dirigeants, dont beaucoup ne croient plus en la France. La France doit avoir à cœur de préserver sa défense nationale parce qu'il faut être conscients que la France ne sera jamais mieux défendue que par les Français. Notre dissuasion nucléaire doit être maintenue à niveau et son commandement doit rester strictement français. Notre armée, aujourd'hui à l'os, doit retrouver toutes ses capacités défensives, opérationnelles et de projection. Dans ce monde tourmenté dans lequel nous entrons, l'esprit de défense de la nation doit être restauré.
À défaut d’avoir des idées, Emmanuel Macron est obligé de s’inspirer de modèles étrangers.
M. Macron déballe à la va-vite un programme. À défaut d'avoir des idées, il est obligé de s'inspirer de modèles étrangers. Avec un mandat législatif de cinq ans, la possibilité d'expression du peuple au cours du quinquennat existe déjà. Pas la peine de chercher à singer le « modèle » américain. Avec cette proposition, M. Macron révèle beaucoup les sources de son inspiration.
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En vue des législatives, êtes-vous prêt à proposer un contrat de législature avec LR ?
Pour l'instant, nous sommes dans la présidentielle pour amener Marine Le Pen à la victoire. Nous verrons après le 24 avril pour les législatives.
Allez-vous « pardonner » à ceux qui ont quitté le RN pour Reconquête !, le parti d'Éric Zemmour ?
Nous croyons à des valeurs simples, comme la droiture, la franchise, la loyauté et l'honnêteté. C'est peu de dire que les personnes qui nous ont quittés et qui se comptent sur les doigts d'une seule main n'en ont pas donné l'exemple. La confiance avec ces personnes est effectivement rompue.
Comment analysez-vous la campagne d'Éric Zemmour ?
La campagne de Zemmour fut une campagne courageuse. Malheureusement pour les militants qui se sont dépensés sans compter, elle n'a pas totalement tenu compte du caractère particulier de la présidentielle. Si on le situe sur un positionnement « conservateur », avec un résultat honorable de 7 %, Éric Zemmour se rapproche du score de François-Xavier Bellamy aux européennes. Son score est donc finalement assez logique.
Consultez notre dossier : L'entretien du week-end
philippe Olivier, beau frère et stratège de marine Le Pen
RépondreSupprimerDans le climat actuel, je trouve bien que le Point relaie ce point vue. On en pense ce qu'on veut.
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