16/04/2022

Cette année à Pâques, il y a quelque chose qui cloche...

La newsletter de  Philippe Mabille  Directeur de la rédaction de La Tribune.

Dernier week-end Pasqual avant... Non, rien. Comme le dit le proverbe, «  le carême est court pour celui qui a une dette à payer à Pâques ». Et puis, il nous reste encore une semaine de réflexion, enfin, pour celles et ceux qui ont besoin de réfléchir. Donc, LA question qui va assaisonner le gigot (à l'ail), ce dimanche, c'est : peut-elle gagner ? Ou plutôt, peut-il perdre ? L'avantage, c'est que cela marche pour à peu près tous les sujets du moment.L'Ukraine peut-elle l'emporter ? Poutine peut-il perdre ? Ou alors : Marine peut-elle être élue à l'Elysée dimanche 24 avril à 20h00 ? Emmanuel Macron peut-il vaincre la malédiction des présidents, aucun n'ayant été réélu depuis Jacques Chirac il y a vingt ans, un certain 21 avril... On a retrouvé pour vous l'éditorial que nous avions écrit, avec Robert Jules, vendredi 5 mai 2017, l'avant-veille du premier duel Macron-Le Pen, qui s'était soldé par une nette victoire du premier. Son titre : «  voter Macron, oui mais pour quoi faire ? ».

On prend donc  les mêmes et on recommence, cela devient lassant, écrit notre chroniqueur  Jean Brousse. Revivre cela une fois de plus, ce sentiment pour beaucoup d'une élection par défaut et d'un débat volé, d'un non-choix,  il y a de quoi déchanter. A la Sorbonne et à Sciences-Po,  la jeunesse abstentionniste se réveille en  Gé-né-ra-tion désenchantée, comme le chante divinement Mylène Farmer ( poke pour les boomers). Nouveau slogan pour un « mai 2022 » de la jeunesse : « tout est chaos, à côté, tous mes idéaux : des mots abimés... Je cherche une âme qui pourrait m'aider. Je suis d'une génération... désenchantée (bis, bis) ». Mais inutile de se plaindre si l'on n'a pas voté : il y avait 12 candidats inscrits d'un bout à l'autre du spectre politique ce 10 avril. La démocratie, c'est la délibération, certes, mais c'est aussi la participation. Les absents ont toujours tort.

Pourtant, ce n'est pas vraiment la même élection qu'il y a cinq ans.  Marc Endeweld, notre chroniqueur politique le souligne : c'est  « un faux remake de 2017 ». En coulisses, les réseaux s'agitent. Nicolas Sarkozy parle beaucoup avec le président sortant et se voit en conseiller de l'ombre dans un monde de tempêtes, titre de son dernier livre. Tandis que certains à droite  jouent avec la stratégie du chaos et l'hypothèse Marine Le Pen à l'Elysée, pour se refaire aux Législatives de juin sur une défaite du marcionisme. Tentation dangereuse  comme le souligne aussi Marc Endeweld qui entretient le suspense sur le résultat du 24 avril, malgré les sondages.

Dimanche prochain, on retrouvera donc à nouveau face-à-face les progressistes européens face aux populistes nationalistes. Alors que le barrage républicain se fissure, Emmanuel Macron monte au filet et joue la re-diabolisation de son adversaire, la candidate de l'« extrême-droite ». Il   se lance enfin dans une campagne « à portée de baffes », dans les fiefs RN pour séduire le vote Mélenchon et le premier parti de France, celui des abstentionnistes : après le Nord-Pas-de-Calais, le Grand-Est, Le Havre, chez Edouard Philippe.

Car  un second tour est toujours une nouvelle élection.  Se re-diabioliser, à vrai dire, Marine Le Pen y arrive très bien toute seule : ses deux conférences de presse de la semaine y ont largement contribué, entre remise en cause des règles de base de notre Constitution pour y inscrire par référendum la « priorité nationale », qui reste quand même, si on enlève tout le decorum bisounours ambiance « j'aime les chats et je défendrai mieux que LUI votre pouvoir d'achat », reste le principale marqueur de son projet, qui n'a pas changé depuis... son père. Alors, imagine-t-on Jean-Marie Le Pen à l'Elysée félicitant Marine lors de la passation de pouvoir ? La deuxième conférence de presse de Marine Le Pen sur la politique internationale est tout autant en rupture avec les fondamentaux de la diplomatie française, qui se retrouverait alignée sur la Russie de Poutine.

Pour se rendre mieux compte concrètement, La Tribune a passé au scanner les programmes de Marine Le Pen et d'Emmanuel Macron. Si vous avez déjà fait votre choix,  retrouvez les ici, en « trois minutes chrono ». Si ce n'est pas le cas, approfondissez vos connaissances, afin de savoir ce que sera votre vie d'après le 24 avril, que vous soyez  chefs d'entreprise,  salariés,  chômeurs,  retraités, propriétaires ou locataires, jeunes, voici le programme des cinq ans qui viennent.

Signe de fébrilité, ou volonté d'ouverture à gauche, ou les deux, Emmanuel Macron a envoyé des signaux en réduisant d'un an, à 64 ans, l'horizon de l'allongement de l'âge de départ à la retraite au terme de la réforme « progressive » qu'il propose de « négocier » s'il est réélu.  Fanny Guinochet nous explique  les raisons et les enjeux de cette volte-face qui n'est pas vraiment une retraite...

La bataille du débat de second tour se jouera un peu sur les retraites mais beaucoup plus sûrement sur le pouvoir d'achat et les salaires éreintés par l'inflation. La surenchère des chèques en bois n'a pas de limite : mais  même la TVA à 0% sur 100 produits alimentaires de première nécessité de Marine Le Pen ne changerait guère la donne, à peine 0,07% face au minimum de 4% de hausse attendue des prix, relève Giulietta Gamberini, citant une étude du cabinet Asterès. Pour améliorer son train de vie, en ces temps difficile, mieux vaut renoncer aux œufs en chocolat à la salmonelle ou aux pizzas surgelées frelatées de marques industrielles dont on taira le nom.

En cette période, on se serait sans doute bien passé en haut lieu d'une polémique sur le salaire des grands patrons, incarnée par le rejet par les actionnaires dont l'Etat de la rémunération indécente accordée aux dirigeants de Stellantis. Près de 300 fois le salaire d'un ouvrier, 66 millions en un an,  les codes de l'ESG sont-ils vraiment respectés par Carlos Tavares ? L'affaire a dû bien faire rire l'autre Carlos, depuis sa retraite libanaise. Face à l'émotion,  même Macron réclame un plafond européen sur le salaire des dirigeants. Et propose même de "verdir" leur rémunération sur la base de critères écologiques.

Alors que l'Europe se retrouve au cœur d'un basculement du monde entre Occident et Eurasie, c'est sans doute aussi sur deux visions opposées de l'avenir de la France dans l'Union que se décidera le sort du pays. Entre  l'Europe des nations voulue par Marine Le Pen qui remet en cause le couple franco-allemand et veut s'allier aux pays « illibéraux », Hongrie d'Orban en tête, et l'Europe-puissance dessinée par Emmanuel Macron, les Français feront le 24 avril un choix plus décisif encore que celui du Traité de Maastricht le 20 septembre 1992 qui a donné naissance à l'euro ou du référendum perdu sur la Constitution européenne de 2005.

Ce vote sera décisif aussi pour la transition écologique qui se fera différemment, selon celui ou celle qui sera à la tête du pays.  Marine Godelier et Juliette Raynal ont analysé les programmes et leur constat est sans appel. Celui de Marine Le Pen, qui veut  « déconstruire » les éoliennes et rallumer la centrale de Fessenheim, est extravagant et même inquiétant.

La Tribune a aussi passé au crible  les propositions énergétiques du président-candidat Emmanuel Macron. Du nucléaire à l'éolien en passant par le photovoltaïque ou l'hydrogène, ces mesures apparaissent périlleuses, aussi bien sur le plan industriel qu'en termes d'acceptabilité par les citoyens.

Pour autant, ne rêvons pas. Ce n'est pas le sort du monde qui se jouera le 24 avril, juste celui d'un « vieux pays d'un vieux continent », comme dirait Dominique de Villepin. Le destin de la planète se joue ailleurs, dans le Donbass à la frontière russe, en Sibérie à la frontière chinoise, dans le Pacifique, au large de Taïwan. Parmi les mauvais œufs de Pâques,  l'annonce du géant de l'énergie chinois CNOOC qui a prévu la cession de tous ses actifs en Amérique du Nord, souffle un vent mauvais.

Tout comme les démocraties meurent en silence,  la mondialisation telle qu'on l'a connue connaît un mouvement tellurique avec un glissement vers l'Est. Poutine en pleine préparation de l'offensive finale sur l'Ukraine, dit se préparer à la chute des achats européens de pétrole, de gaz et de charbon, pour se tourner vers les inépuisables besoins des pays émergents, Chine en tête.

Alors que Washington hausse le ton, liant enjeux énergétiques et sécurité nationale, Pékin a réaffirmé « sa relation spéciale » avec la Russie, assurant que  la Chine est « du bon côté de l'histoire ». Les sanctions occidentales pourraient bien aboutir à  la désintégration de la mondialisation, comme l'a dit l'influent patron du fonds d'investissement Blackrock.

Ce monde fou aura des conséquences sur notre vie quotidienne, par les prix de l'alimentation et de l'énergie, mais aussi par les taux d'intérêt qui risquent de flamber. Pour l'heure,  la BCE temporise, malgré une inflation au plus haut. Christine Lagarde, la présidente française de la Banque centrale européenne, n'est-elle pas  mieux et plus utile à Francfort qu'à Matignon ?

Impossible de finir sans évoquer  le coup d'Etat à 43 milliards de dollars du fantasque milliardaire Elon Musk à l'assaut du réseau social Twitter, officiellement au nom de la défense « de la liberté d'expression ».  L'homme le plus riche du monde, à la tête de l'un des principaux « médias » d'influence du monde, cela fait un peu peur, ambiance 1984 d'Orwell.

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