03/10/2021

Les centrales nucléaires sont-elles trop vulnérables face au dérèglement climatique?

LA VÉRIFICATION
- La hausse des températures et la baisse de débit des cours d'eau menacent leur sécurité et leur productivité, assurent les pourfendeurs de l'atome.

LA QUESTION. L'énergie nucléaire, qui permet de produire de l'électricité peu carbonée, est considérée par ses défenseurs comme un levier indispensable pour atteindre la neutralité carbone d'ici à la moitié du siècle et limiter ainsi l'impact du réchauffement climatique. Mais son exploitation est-elle elle-même adaptée au dérèglement déjà en cours ? Lors de l'émission «C ce soir» sur France5, Mathilde Panot, députée LFI du Val-de-Marne, a assuré le 28 septembre que ce n'était pas le cas, notamment parce qu'il faut refroidir les réacteurs nucléaires et «qu'on sait par exemple que le Rhône va voir son débit baisser de 40%. Et que chaque été on ferme des réacteurs parce qu'on doit les refroidir.»

La question de la vulnérabilité des centrales face au réchauffement climatique revient régulièrement dans le débat: on sait que ce dernier provoque une hausse globale de la température de l'air et de l'eau, qu'il induit un risque accru de multiplication des événements extrêmes comme les tempêtes et les sécheresses. En outre, le projet Explore2070 chargé d'évaluer son impact sur la ressource en eau à l'échéance 2070 en France conclut qu'il faut s'attendre à «une diminution significative globale des débits moyens annuels à l'échelle du territoire (…) de l'ordre de 10% à 40% selon les simulations». Les centrales dépendant de l'eau de refroidissement pour assurer leur sécurité, sont-elles donc menacées par le réchauffement climatique?

VÉRIFIONS. L'énergie nucléaire, qui fournit environ 10% de l'électricité mondiale, nécessite l'accès à de grands volumes d'eau pour refroidir les réacteurs, d'où leur localisation en bord de mer ou le long d'un cours d'eau. Les 56 réacteurs fonctionnant en France peuvent être classés en trois catégories selon leur localisation et leur mode de refroidissement, indique Olivier Dubois, directeur adjoint de l'expertise de sûreté à l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire).

Ceux situés au bord de la mer fonctionnent en circuit ouvert, l'eau étant prélevée puis rejetée (sans jamais entrer en contact avec un produit radioactif) avec quelques degrés de plus. Le débit d'eau pompée y est compris entre 40 et 50 mètres cubes par seconde pour chaque réacteur. « En France, cela concerne 18 réacteurs de centrales situées en bord de mer à Gravelines, Penly, Paluel, Flamanville et le Blayais », précise le chercheur.

Les centrales en bord de fleuve ou de rivière peuvent fonctionner en circuit ouvert ou fermé. Les premières ont besoin du même débit que celles en bord de mer, de l'ordre de 40 à 50 m3/sec prélevés et rejetés dans le fleuve (c'est le cas pour 8 réacteurs en France, comme ceux du Tricastin). Les secondes, dotées de tours aéroréfrigérantes (les fameuses grandes cheminées d'où s'échappe un panache de vapeur), fonctionnent cette fois en système fermé, avec une quantité d'eau pompée plus faible, de l'ordre de 2m3 par seconde : la moitié est ensuite rejetée sous forme de vapeur, l'autre dans le fleuve. Il existe 30 réacteurs de ce type en France, dont ceux de Cattenom, Chinon, Nogent…

À voir aussi - Nucléaire: quels défis pour la filière ?

Face à la hausse des températures de l'eau et à la baisse du débit, les centrales situées aux abords des cours d'eau sont donc logiquement les plus vulnérables. À commencer par celles fonctionnant sans tour aéroréfrigérante, puisqu'elles nécessitent un débit plus important et qu'elles rejettent davantage d'eau dans la rivière. «Elles sont donc plus susceptibles d'être mises à l'arrêt l'été quand les températures maximales des cours d'eau sont atteintes», développe Olivier Dubois. En effet, des arrêtés fixent en France des températures maximales à ne pas dépasser en aval des centrales afin de protéger la faune et la flore. «Pour celle du Bugey par exemple, c'est 26° C.» Si ce seuil est dépassé ou menace de l'être, l'opérateur doit mettre le réacteur à l'arrêt.

Ce cas de figure se produit déjà lors des fortes vagues de chaleur; ce fut le cas en 2003 et en 2018 notamment. Mais jusqu'à présent, la perte de production liée à ces interruptions n'a pas provoqué de tensions significatives. «C'est en tout cas ce qu'assure EDF, qui estime que les pertes de production sont d'environ 0,3% sur un an», selon Olivier Dubois. François-Marie Bréon, physicien climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, note que ces problèmes sont observés en été: «À cette période, la consommation électrique de la France est en gros deux fois plus faible qu'en hiver.» Ce qui aujourd'hui ne semble pas être une contrainte pourrait toutefois le devenir «si le réchauffement climatique est tel que les ménages s'équipent en climatisation et que la consommation devient alors plus importante en été qu'en hiver, comme c'est déjà le cas dans pas mal de pays qui sont plus au sud que la France», ajoute le climatologue.

Des interruptions de plus en plus fréquentes

Dans une étude parue en juillet dans la revue Nature Energyle chercheur Ali Ahmad de l'université américaine d'Harvard a évalué qu'au niveau mondial, « la fréquence moyenne des interruptions liées au climat a considérablement augmenté, passant de 0,2 interruption par année et par réacteur dans les années 1990 à 1,5 au cours de la dernière décennie.» Des pertes annuelles qui pourraient s'aggraver jusqu'à atteindre 1,4 % à 2,4 % à la fin du siècle, sachant que «les problèmes de prise d'eau, tels que ceux liés aux sécheresses et la baisse de niveau dans les rivières et les lacs provoquent les pannes les plus longues (110 h par panne) et, par conséquent, sont plus perturbateurs en termes de fourniture de services énergétiques».

Dans une autre étude parue en 2011 dans The Energy Journal , Kristin Linnerud, professeur à l'Université norvégienne des sciences de la vie (NMBU) et ses collègues, notaient qu'«une élévation de température moyenne globale d'un degré réduira l'approvisionnement en énergie nucléaire d'environ 0,5 %». «Étant donné que chaque réacteur représente une quantité considérable d'énergie et qu'ils sont généralement situés dans la même zone géographique et ont accès à la même source d'eau de refroidissement, de telles interruptions peuvent menacer la sécurité de l'approvisionnement énergétique», explique aujourd'hui la chercheuse.

Ces publications pointent en outre d'autres risques liés au réchauffement climatique, comme la multiplication des tempêtes et des épisodes de submersion qui menacent surtout les centrales situées sur le littoral.

De lourds investissements à venir

Pour François-Marie Bréon, la question de la vulnérabilité «n'est pas un argument pour empêcher le développement du nucléaire. On a des exemples de centrales qui fonctionnent dans des lieux bien plus chauds et arides que ce que sera la France dans cinquante ans». Il cite l'exemple de Palo Verde, en Arizona (la plus grande centrale de production d'électricité d'origine nucléaire aux États-Unis), qui fonctionne grâce aux eaux usées traitées de la métropole de Phoenix.

Les acteurs du secteur savent toutefois qu'ils doivent s'adapter. «Le problème est réel, il ne faut pas le sous-estimer car il impliquera des investissements lourds pour les installations existantes et une vraie réflexion à mener si on en construit d'autres», estime le chercheur de l'IRSN Olivier Dubois, qui indique que lors de la canicule de 2003, la température maximale autorisée au niveau des circuits de ventilation ou dans les locaux où est entreposé du matériel sensible a été dépassée. «Depuis, EDF a engagé un programme de renforcement de robustesse de ses installations en remplaçant certains matériels, en changeant les systèmes de refroidissement, en installant des climatiseurs ou en améliorant la ventilation», ajoute-t-il. Quant au problème du débit d'eau, il indique que des solutions existent, par exemple l'installation d'une réserve à proximité comme c'est le cas pour la centrale de Civaux, située au bord de la Vienne. «Pour les actifs nucléaires existant, les compagnies d'électricité pourraient optimiser leurs arrêts planifiés en fonction des périodes de perturbations liées au climat afin de minimiser leur impact économique», note pour sa part le chercheur Ali Ahmad dans son étude.

Les centrales françaises ont été conçues avec une hypothèse de durée de vie de quarante ans. Même si elles sont autorisées à fonctionner plus longtemps, la majorité ne sera a priori plus en service après 2050. Mais si décision est prise d'en construire de nouvelles, ces paramètres devront être pris en compte. «Les modèles de prédiction des conditions météorologiques extrêmes doivent être incorporés dans l'évaluation du risque nucléaire», indique ainsi le chercheur d'Harvard. Un emplacement le long de la mer sera en tout cas «moins exposé qu'un emplacement qui dépend de l'eau de refroidissement d'une rivière», note Kristin Linnerud, qui ajoute qu'il faudra sinon privilégier les centrales avec tours aéroréfrigérantes, moins dépendantes des cours d'eau.


Source: lefigaro.fr par Anne-Laure Frémont
 

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