« Les autorités ont décidé de réduire la part du nucléaire à 50 % du mix électrique en 2035 », constate Marc Fontecave, professeur au Collège de France et l’un des auteurs du rapport. « Mais personne n’explique comment faire, quelle production nous visons, ni ce qu’on fait après ! La France n’a tout simplement pas de politique énergétique. Or l’urgence du réchauffement climatique impose qu’elle arrête ses choix – et qu’elle les arrête vite. »
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Plus de nucléaire en 2050 ?
Officiellement favorable au nucléaire, Emmanuel Macron n’a cessé de souffler le chaud et le froid, repoussant la décision de construire de nouvelles centrales pour remplacer le parc existant après l’élection présidentielle. Même la technologie qui sera retenue – nouveaux EPR, petits réacteurs modulaires… ? – n’est pas arrêtée. Or, la France, alerte l’Académie des sciences, ne peut plus se permettre d’attendre, compte tenu de l’état de vieillissement du parc et des délais de construction de nouveaux réacteurs. D’ici à 2040, des dizaines de centrales mises en service de manière simultanée dans les années 1980 arriveront au même moment, en fin de vie. Par quoi les remplacer ? « Si la décision n’est pas prise, il n’y aura, de fait, plus de nucléaire en 2050. Les Français sont-ils réellement conscients de ce que cela implique ? »
Probablement pas, étant donné la façon dont « décideurs et médias sous-estiment dramatiquement la demande en énergie », pointent les membres de l’Académie des sciences, qui s’attachent, dans leur rapport, à poser les éléments concrets du débat.
La consommation d’électricité augmentera de 30 à 60 % d’ici à 2050
Premier fait : la consommation d’énergie, dans les décennies qui viennent, va considérablement augmenter. D’une part, parce que les besoins des pays en développement vont s’accroître, d’autre part, parce que la décarbonation des économies développées impliquera des technologies gourmandes en énergie, que les indispensables politiques de sobriété ne pourront pas forcément compenser. Second fait : le réchauffement climatique impose que cette énergie soit produite en émettant le moins de gaz à effet de serre possible. Parce qu’elle peut être produite de façon renouvelable, l’électricité, qui ne représente aujourd’hui que 25 % de la consommation d’énergie de la France (toujours très dépendante des fossiles), a donc vocation à s’étendre.
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Un vaste mouvement d’électrification de nos usages va donc s’engager, pour réduire réellement nos émissions de CO2 : électrification des transports, des usines, des systèmes de chauffage… La consommation d’électricité va considérablement augmenter dans les prochaines décennies, pour atteindre 600 à 770 TWh (térawattheures) par an à l’horizon 2050, contre 473 TWh en 2019 – et encore s’agit-il, précise Marc Fontecave, d’une estimation basse !
Avec quoi produire de l'« hydrogène vert » ?
Une question majeure se pose : avec quoi cette électricité sera-t-elle produite ? La France, rappellent les académiciens, bénéficie aujourd’hui d’une électricité décarbonée à 93 %, grâce à un mix largement assis sur le nucléaire (72 % de l’énergie la moins émettrice de gaz à effet de serre), avec 6 grammes de CO2 par kWh produit, l’hydraulique et les énergies renouvelables. Le choix de réduire la part du nucléaire dans ce mix à 50 % implique la fermeture de 12 réacteurs nucléaires, sur les 54 que compte actuellement le parc français, et soulève un certain nombre de questions.
« Comment remplacer cette électricité, alors que les énergies solaire et éolienne sont intermittentes, dans un contexte où on ne maîtrise ni les technologies ni les infrastructures de stockage ? » résume Marc Fontecave. L’hydrogène, présenté comme une solution miracle pour lutter contre le réchauffement climatique, n’a d’intérêt que s’il est produit avec de l’énergie décarbonée, rappelle le rapport : « Aujourd’hui, sa production est à 96 % réalisée à partir de combustibles fossiles. Cela entraîne, selon le procédé utilisé, l’émission de 8 à 13 tonnes de CO2 par tonne d’hydrogène produit. » Sera-t-il possible d’en fabriquer, sans nucléaire, en quantités massives ?
Pour remplacer un réacteur : 2 000 éoliennes ou 14 millions de panneaux photovoltaïques
Les scientifiques rappellent également quelques faits concernant les alternatives envisagées pour produire demain davantage d’électricité décarbonée, avec un parc de réacteurs réduit. Sur les ordres de grandeur dont il est question, par exemple. Un réacteur de type REP de 1 gigawatt (ceux qui composent le parc français) produit 7,44 TWh d’électricité par an. Compte tenu de leurs rendements et facteurs de charge, il faut pour le remplacer 2 000 éoliennes terrestres de 2 mégawatts électriques (MWe), entre 230 et 350 éoliennes de 8 MWe installées en mer, ou 14 millions de panneaux solaires « qui occuperont 15 500 hectares, soit la surface de la ville de Paris. »
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Si ces comparaisons entre sources d’électricité décarbonée restent théoriques, reconnaissent les auteurs, « elles illustrent la disproportion qui existe entre énergie nucléaire (pilotable) et énergies renouvelables (intermittentes) et la difficulté de remplacer un réacteur nucléaire par des fermes d’éoliennes », difficulté à laquelle s’ajoute « l’impossibilité actuelle de stocker de grandes quantités d’électricité. » Aujourd’hui, l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité s’effectue aisément grâce à l’hydraulique et, dans une moindre mesure, grâce à des échanges transfrontaliers et à la mobilisation d’un peu de charbon et de gaz. Mais « lorsque les sources d’énergie intermittentes seront plus importantes, comment équilibrera-t-on offre et demande sans fossiles, avec de l’hydraulique qui ne peut pas augmenter, et sans capacités de stockage suffisantes ? » interroge Marc Fontecave. Faute de nucléaire, le risque est de devoir s’appuyer demain sur des centrales à gaz, très polluantes, comme seule source pilotable résiduelle, comme le fait l’Allemagne aujourd’hui.
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Matériaux, recyclage… Des impacts environnementaux négligés
Les académiciens rappellent aussi des éléments factuels rarement évoqués dans le débat public, et concernant les matériaux nécessaires à chaque source d’énergie, à la fois conventionnels et stratégiques. Ainsi, « la construction des réacteurs nucléaires récents demande 600 tonnes de béton et d’acier par MWe contre 10 tonnes pour une centrale à combustible fossile, » essentiellement pour des raisons de sécurité. Mais « la construction des centrales solaires et éoliennes terrestres demande, par MWe, entre 10 et 20 fois plus de matières (béton, fer et acier, cuivre, aluminium) que les centrales nucléaires actuelles », de même qu’une vingtaine d’éléments métalliques stratégiques, dont l’obtention à partir de minerais « engendre généralement une pollution chimique considérable puisqu'il faut traiter par des procédés miniers des millions de matériaux bruts. »
Pour produire pendant 30 ans autant d’électricité qu’un réacteur de 1 GWe avec 2 000 éoliennes ou 14 millions de panneaux solaires, documente le rapport, « il faut traiter de l’ordre d’une dizaine de millions de tonnes de minerais pour extraire les matériaux nécessaires à leur construction. Sur une durée de 30 ans, un REP de 1 GWe nécessitera quant à lui l’extraction d’environ 5 000 tonnes d’uranium naturel, soit le traitement de 500 000 tonnes de minerai à 1 %. Même en incluant les matériaux pour sa construction, un REP demande, au total, moins de travaux miniers que ses équivalents en éoliennes ou panneaux solaires. »
Relancer la recherche sur le nucléaire du futur
Des impacts négatifs du nucléaire qui pourraient encore être réduits grâce aux réacteurs surgénérateurs de quatrième génération, dits à neutrons rapides, qui permettraient de tirer entre 50 et 100 fois plus d’énergie de l’uranium naturel que nos actuels réacteurs, et d’exploiter le stock de 350 000 tonnes d’uranium appauvri dont dispose la France, rendant secondaire la délicate question de la ressource en uranium. Mais si la France fut en pointe dans cette recherche (Superphénix, prototype de réacteur à neutrons rapides de 1 200 MWe, a été exploité de 1985 à 1997, quand les Verts ont exigé son arrêt comme condition de leur participation à la « majorité plurielle » de Lionel Jospin), l’actuel gouvernement a choisi de mettre un terme au projet Astrid, qui lui avait succédé.
De ces faits bruts découlent une série de recommandations, qu’adressent les académiciens au gouvernement : maintenir le parc existant, lancer dès aujourd’hui les programmes de construction de nouveaux réacteurs de type EPR, dont la France sait avoir besoin demain, mais surtout « initier et soutenir un ambitieux programme de recherche et développement sur le nucléaire du futur afin de préparer l’émergence en France des réacteurs à neutrons rapides (RNR) innovants de quatrième génération, qui constituent une solution d’avenir et dont l’étude se poursuit activement à l’étranger », soulignent-ils. Ils recommandent aussi d’« informer le public en toute transparence sur les contraintes des diverses sources d’énergie, l’analyse complète de leur cycle de vie et l’apport de l’électronucléaire dans la transition énergétique en cours… » Une information honnête qui fait, aujourd’hui, cruellement défaut.
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