07/02/2021

Annulation de la dette publique : pourquoi tant de passions pour choisir la couleur des rideaux ?

Droite, élégante, digne, Christine Lagarde a l’allure idéale pour siffler la fin d’une récré. C’est ce qu’elle a tenté de faire dimanche, dans une interview au Journal du Dimanche. L’annulation de la dette détenue par la Banque centrale européenne, qu’elle préside, est « inenvisageable ». Elle serait « une violation du traité européen qui interdit strictement le financement monétaire des États ». Un point final mis à un débat qui chauffe à blanc les économistes européens – surtout français, il faut bien le dire ? Rien n’est moins sûr. Christine Lagarde n’est pas un juge, elle ne dit pas le droit : sur la légalité d’une annulation d’une partie dette, elle se borne à donner son avis. Il pèse, certes, mais il ne clôt pas la discussion.

Pour contrer les « annulateurs », elle avance non seulement un argument juridique (le respect du traité) mais aussi un autre, plus politique : « Si l’énergie dépensée à réclamer une annulation de la dette par la BCE était consacrée à un débat sur l’utilisation de cette dette, ce serait beaucoup plus utile ! A quoi sera affectée la dépense publique ? Sur quels secteurs d’avenir investir ? Voilà le sujet essentiel aujourd’hui. » Et sur ce plan là, on ne peut que lui donner raison. Cette querelle sur l’annulation de la dette détenue par la banque centrale n’est pas crucial. La question devra sans doute être posée un jour, mais on dispose de quelques années, voire quelques décennies pour cela.

Résumons le débat, qui chauffe à blanc les économistes depuis quelques mois. Avec le Covid, la dette publique des pays européens sest envolée. Elle pèse 120% du PIB en France, alors que le traité de Maastricht jugeait raisonnable de la maintenir en dessous de 60%. Passant la serpillère, la BCE en a racheté une partie sur les marchés, environ 25% du total. Les « annulateurs » (Jézabel Couppey-Soubeyran, Gaël Giraud, Aurore Lalucq, Nicolas Dufrêne, Laurence Scialom...) jugent qu’on pourrait se débarrasser de cette partie de la dette : n’est-ce pas de l’argent qu’on se doit à nous-même ?

Ils n’ont pas tort sur ce point, mais annuler dans des livres de comptes un crédit qu’on se doit à soi-même n’a pas un intérêt démesuré. C’est juste un arrangement d’écritures, visant à « faire plus propre ». Les anglophones parlent de window dressing : on choisit une couleur plus pimpante pour ses rideaux, mais cela ne change rien à la situation économique réelle. Il n’est pas déraisonnable de penser que l’affichage a son importance (baisser le ratio dette/PIB peut engourdir la méfiance des marchés et des dirigeants politiques orthodoxes), mais cela n’en reste pas moins que de l’habillage comptable.

Sur le fond, l’annulation des créances détenues par la BCE ne serait pas d’une utilité majeure. Premièrement, cette dette-là ne coûte rien : la Banque centrale touche certes des intérêts, mais elle les reverse aux Etats sous forme de dividendes. Deuxièmement, elle ne sera jamais remboursée : elle sera renouvelée indéfiniment à échéance. On voit mal en effet la Banque centrale en réclamer le remboursement et prendre le risque de déclencher une crise majeure dans la zone euro. Entre le statu quo ou l’annulation, le résultat, en termes économiques, est donc à peu près le même.

Christine Lagarde a raison de trouver que d’autres débats seraient plus utiles. Nous lui suggérons celui-là : pourquoi ne pas accroître, sans crainte, l’endettement public européen, afin d’accélérer la transition énergétique tant qu’il est encore temps ? Les taux d’intérêts étant inférieurs à la croissance potentielle, emprunter ne coûte aujourd’hui presque rien aux Etats. Le réchauffement climatique, lui, coûte très cher. S’il est quelque chose que l’on doit aux générations futures, c’est une planète vivable. Une dette qu’on ne peut pas s’abstenir d’honorer.

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