06/03/2024

Le Monde – Bruno Le Maire : « Je crois à un Etat fort, mais pas à un Etat qui se disperse et devient une pompe à fric »

Déficits publics et dette. L'équation impossible sans augmenter le PIB et la productivité de notre système productif.

Source lemonde.fr | Elsa Conesa, Claire Gatinois
Dans un entretien au « Monde », le ministre de l’économie et des finances annonce qu’en plus des 10 milliards d’euros d’économies annoncés d’autres étapes interviendront. Il évoque également un budget rectificatif à l’été et la suppression de tous les Cerfa d’ici à 2030.

Le ministre de l’économie défend, mercredi 6 mars, son plan d’économies de 10 milliards d’euros pour 2024 devant les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Dans un entretien au Monde, il affirme qu’il s’agit d’une première étape. Et se donne l’objectif d’un budget à l’équilibre en 2032.

Vous réclamez 10 milliards d’euros d’économies engagées par le gouvernement cette année. Quitte à faire peser cet effort sur des secteurs d’avenir comme l’éducation ou l’écologie ?

Nous faisons un seul choix : le rétablissement des finances publiques. Il doit nous amener sous les 3 % de déficit public en 2027 et à un budget à l’équilibre en 2032. Réduire les seules dépenses de l’Etat à hauteur de 10 milliards d’euros est une première étape. Nous le faisons sans remettre en cause les grandes politiques publiques défendues par le président de la République : l’environnement, l’éducation, la santé, le travail voient leurs budgets augmenter depuis 2017. A un moment donné, il faut simplement refroidir la machine, parce que la croissance subit les conséquences du nouvel environnement géopolitique et que les recettes fiscales diminuent. Quand on gagne moins, on dépense moins.

« Refroidir la machine » alors que la croissance économique ralentit, n’est-ce pas risquer de casser la croissance, comme ce fut le cas au moment de la crise des dettes souveraines ?

Je vous rassure, on est très loin de l’austérité quand on est à 58 % de dépenses publiques dans le PIB ! Il y a 496 milliards d’euros de dépenses de l’Etat par an, nous faisons une économie de 10 milliards : on va s’en remettre. Nous augmentons le budget de MaPrimeRénov’[aide publique aux travaux d’économie d’énergie], ne laissons donc pas entendre que cela pourrait impacter la vie du bâtiment, c’est faux. Nous réduisons les aides à l’emploi à un moment où le taux de chômage est faible et où les pénuries d’emplois restent importantes, ne disons pas que cela pourrait impacter la croissance. Changeons de logiciel : la dépense publique n’est pas l’alpha et l’oméga de la croissance.

Le déficit en 2023 sera-t-il beaucoup plus élevé que prévu ?

En raison de la perte de recettes fiscales en 2023, nous serons significativement au-delà des 4,9 %. Ces 10 milliards ne sont pas un coup de rabot mais un frein d’urgence.

Et une première étape ?

Il est légitime que l’Etat donne l’exemple. Mais si vous ne touchez pas aux dépenses sociales, vous ne pouvez pas parvenir à l’équilibre des finances publiques. Il faut donc d’autres étapes et un calendrier.

Après ces 10 milliards d’euros d’économies, la deuxième étape pourrait être un projet de loi de finances rectificative à l’été, si nécessaire. La troisième, ce sera le projet de loi de finances de 2025, dans lequel nous devrons trouver au moins 12 milliards d’euros d’économies. Nous ne prenons personne en traître.

Par ailleurs, il est indispensable de poursuivre les réformes de structure. Une réforme de l’assurance-chômage est nécessaire pour atteindre le plein-emploi, le premier ministre [Gabriel Attal] a raison de le rappeler. Nous gardons une durée d’indemnisation la plus longue parmi les pays développés : dix-huit mois. La responsabilité des partenaires sociaux, ce sont les salariés. La responsabilité de l’Etat, ce sont tous ceux qui sont au chômage. Pour ma part, je considère que l’Etat devrait reprendre la main sur l’assurance-chômage de manière définitive.

La simplification va-t-elle rapporter aux caisses de l’Etat ?

La complexité a un coût vertigineux en emplois comme en heures travaillées. Il faut alléger la charge mentale qui pèse sur les entrepreneurs. Nous allons supprimer tous les Cerfa [formulaires administratifs] d’ici à 2030. Il y en a aujourd’hui 1 800, dont 1 200 pour les seules entreprises. D’ici à 2026, 80 % des Cerfa seront préremplis par l’administration, comme pour votre déclaration d’impôts. Ensuite, nous les supprimerons définitivement.

Reprenons aussi ce qui a été fait il y a deux siècles, au moment du Consulat et de la codification du droit français. Simplifions le code du commerce. Personne ne peut connaître l’intégralité des 7 000 articles du code du commerce, donc tout le monde ignore la loi !

Je propose qu’avec [le garde des sceaux] Eric Dupond-Moretti nous réunissions des parlementaires, des spécialistes du droit et du commerce pour diviser par deux la taille de ce code d’ici à 2027. Mon administration aura recours à l’IA [intelligence artificielle] pour adapter l’information aux spécificités des entreprises.

Ces réductions de dépenses sont-elles compatibles avec l’« économie de guerre » souhaitée par le chef de l’Etat ?

Gouverner, c’est savoir renoncer à certaines dépenses secondaires pour financer des dépenses prioritaires : l’hôpital, l’école, la police, la justice, les armées. Je crois à un Etat fort, mais pas à un Etat qui se disperse, qui finance tout et devient une pompe à fric. Est-il possible de continuer à dépenser 5,7 milliards d’euros par an pour le transport médical des patients ? Comment éviter la dérive sur les dépenses liées aux affections de longue durée, tout en continuant à protéger les patients ?

 

Vous parlez de 2032, alors que vous ne serez sans doute plus à Bercy…

Les grandes ambitions demandent du temps. L’année 2027 sera une étape importante, avec un retour au déficit sous les 3 %. Mais regardons au-delà et visons cet équilibre des finances publiques que nous n’avons pas connu depuis 1974.

Est-ce un programme de candidat ?

Non. C’est ma détermination de ministre des finances.

Si cette détermination était contrariée, resteriez-vous au gouvernement ?

Pourquoi tenez-vous absolument à me faire partir du gouvernement ? J’ai la France dans les tripes. C’est une immense fierté d’être ministre des finances de mon pays. Je vis mon engagement politique avec passion. Cela fait vingt ans que ça dure et cela durera encore longtemps.

Mais deux discours coexistent, le vôtre et celui du chef de l’Etat et du premier ministre, qui annoncent de nouvelles dépenses à chaque crise.

Absolument pas ! Il y a un seul discours et une seule action. Avec la majorité, nous avons rétabli les finances publiques entre 2017 et 2019. Vous aviez le même président de la République et le même ministre des finances.

Est-il possible de rétablir les comptes sans augmenter les impôts ?

Bien sûr ! Je suis opposé depuis sept ans à toute augmentation des impôts. Dans un pays qui a un des niveaux de pression fiscale les plus élevés au monde, c’est une impasse.

Tiendrez-vous la promesse d’une nouvelle baisse d’impôts pour les classes moyennes ?

Cela a été promis, cela sera tenu. Il est légitime également de continuer à alléger la charge fiscale qui pèse sur les entreprises en poursuivant la baisse des impôts de production qui pénalisent notre industrie, en soutenant le travail et l’investissement dans l’innovation. C’est cette politique qui explique que notre croissance résiste. En 2023, près de six millions de salariés ont bénéficié de la prime Macron, pour un montant moyen de près de 900 euros et un total de 5,3 milliards d’euros.

Sur le plan international, vous plaidez pour une réflexion sur la fiscalité des plus fortunés. N’est-ce pas contradictoire ?

Non. Cela fait sept ans que nous nous mobilisons pour plus de justice fiscale au niveau international. Nous avons taxé les géants du numérique et mis en place la taxation minimale à l’impôt sur les sociétés. Nous avons toute légitimité pour porter le projet d’une imposition minimale sur les individus pour éviter toute optimisation fiscale.

Marine Le Pen semble aussi se soucier de la rectitude des comptes publics…

La réalité, c’est que le lepénisme est un nouveau marxisme. Toujours plus de dépenses, toujours moins de recettes. Qui peut être dupe ? La somme des dépenses sociales engagées par Mme Le Pen, de la nationalisation des autoroutes en passant par la retraite à 60 ans, sans oublier l’exonération d’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans, s’élève à 120 milliards d’euros. Les recettes, ce sont toujours les mêmes : taper sur les immigrés.

Dix points séparent le camp présidentiel de la liste du Rassemblement national aux élections européennes de juin. N’est-ce pas l’échec de votre vision de l’Europe ?

Battons-nous collectivement pour la victoire ! Rappelons que nous avons fait bouger l’Europe depuis sept ans. Dénonçons les contradictions du Rassemblement national et son attitude capitulatrice face à Vladimir Poutine. Il n’y avait pas un mot dans le discours de Jordan Bardella [le 3 mars] pour Alexeï Navalny [principal opposant à Poutine, mort en prison le 16 février]. Trouvez-vous cela digne ?

 

Le camp présidentiel est sur la défensive face au Rassemblement national…

Non, nous sommes à l’offensive ! Je propose une nouvelle stratégie de croissance européenne. Il est temps de défendre un contenu européen dans les appels d’offres et les grands projets industriels. Je veux aussi mettre en place un produit d’épargne européen pour bâtir un marché européen de capitaux qui nous permettra de financer les grands projets sur la transition climatique, l’IA ou la défense. J’ai lancé, lors de la réunion de l’Alliance européenne du nucléaire, un projet d’intérêt collectif européen sur le nucléaire, comme ce que nous avons fait pour les batteries ou l’hydrogène.

La réponse européenne à l’Inflation Reduction Act américain (IRA) est-elle suffisante ?

Oui en France, avec la loi « industrie verte », pas encore en Europe. Les prix de l’énergie ont explosé à la suite de la crise en Ukraine, de 256 % en Europe, contre 56 % aux Etats-Unis et 5 % en Chine. Que chacun prenne la mesure de ce que cela veut dire pour des groupes comme Michelin, Safran, Airbus et tous leurs sous-traitants. Avec l’IRA, le prix des produits industriels américains a baissé de 25 %. Quant à la Chine, elle est devenue le premier producteur du secteur automobile, avec trente millions de véhicules par an, et elle produit massivement des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes à prix cassé.

Faut-il un protectionnisme européen ?

Il faut nous battre à armes égales pour que l’Europe reste dans la course du XXIᵉ siècle. L’Europe est prise en tenaille entre la Chine, de plus en plus interventionniste, et les Etats-Unis, de plus en plus protectionnistes. Elle doit être capable d’investir davantage, de rééquilibrer les échanges commerciaux en tenant compte du fait que nos choix de production décarbonée et nos modèles sociaux sont plus coûteux.

Nous avons su nous mobiliser massivement pour nous protéger face au Covid-19. Pourquoi ne pas nous mobiliser tout aussi massivement pour défendre notre rang au XXIᵉ siècle ? Ne soyons pas forts sur le défensif et faibles sur l’offensif.

Confirmez-vous que le coût des six futurs réacteurs nucléaires EPR continue d’augmenter ?

EDF doit apprendre à tenir ses coûts et son calendrier. Le président de la République a annoncé la réalisation de six nouveaux EPR, EDF doit relever ce défi dans les délais et dans les coûts impartis. Il s’agit de construire une série de réacteurs dont le premier exemplaire sera l’EPR de Penly [Seine-Maritime]. Cela veut dire des économies d’échelle. Je participerai au prochain comité exécutif d’EDF, fin mars, avec un message simple : EDF doit tenir ses délais et ses coûts.

Marine Le Pen accuse Emmanuel Macron d’être un va-t-en-guerre. Y a-t-il eu maladresse lorsqu’il a évoqué la possibilité de troupes au sol en Ukraine ?

La seule vraie cohérence que je reconnaisse à Marine Le Pen, c’est d’avoir toujours défendu Vladimir Poutine. Pour ce qui me concerne, j’ai toujours été partisan d’une ligne de très grande fermeté vis-à-vis de la Russie. Les Européens doivent être lucides sur les intentions impérialistes de Vladimir Poutine. Le président de la République a eu raison de rappeler que nos démocraties doivent apprendre la force. La première force, c’est la lucidité.


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