Pour les défenseurs de l’environnement, c’est un soulagement. En 2017, les deux ONG avaient déjà intenté un procès à l’Etat norvégien, qu’elles accusaient de violer la Constitution du pays et ses engagements internationaux en continuant à délivrer de nouvelles licences d’exploration et d’exploitation pétrolière, sans considération pour l’impact sur le climat. Déboutées en première instance, puis en appel, les deux organisations avaient également vu leur plainte rejetée par la Cour suprême en 2023.
Mais la plus haute instance judiciaire du pays avait aussi accordé une victoire aux défenseurs de l’environnement, en affirmant que l’Etat norvégien devait évaluer l’impact sur le climat de tout nouveau projet avant d’octroyer des licences. Et pas seulement du point de vue de la production, en partie décarbonée, grâce à l’électrification des plates-formes pétrolière et gazière ; mais en intégrant les émissions générées par les combustibles, qu’ils soient utilisés en Norvège ou à l’étranger.
« Le tribunal d’Oslo n’a fait que suivre la décision de la Cour suprême, ce qui en soi n’est pas une surprise, car elle était très claire et s’appuyait sur des principes de droit. Ce qui est plus étonnant, c’est que le gouvernement lui-même n’en ait pas tiré des conséquences », constate Jenny Sandvig, avocate des deux ONG. Le verdit est double : « En plus de rendre un jugement sur la validité des licences, le tribunal a prononcé un ordre d’injonction avec effet immédiat, qui interdit au gouvernement de prendre de nouvelles décisions sur la base des permis déclarés invalides », précise Mme Sandvig.
Lors du procès, qui a débuté fin novembre 2023 et s’est terminé le 6 décembre, la défense a tenté de faire valoir qu’une étude d’impact avait bien été menée. L’avocat de l’Etat a présenté un rapport, commandé par le gouvernement au cabinet de conseil Rystad Energy, qui affirme que la production et l’exportation de gaz et de pétrole norvégiens contribuent à réduire globalement les émissions de CO2, en remplaçant le charbon ou des combustibles produits dans d’autres pays, bien moins regardants sur l’environnement.
« Faits erronés »
L’Etat a également assuré que les émissions générées par la combustion du gaz et du pétrole norvégien avaient un impact « négligeable » sur l’environnement et le climat en Norvège. Deux arguments fréquemment utilisés par les responsables politiques du pays, qui ont encore octroyé soixante-deux nouvelles licences d’exploration en mer du Nord, mer de Norvège et mer de Barents, mardi 16 janvier, en dépit des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie.
Mais le tribunal d’Oslo n’a pas suivi le raisonnement de la défense, qu’il juge truffé de « faits erronés » et de « prévisions indéfendables ». L’avocate Jenny Sandvig salue le travail de la juge Lena Skjold, qui « présente les preuves de l’impact climatique de manière très claire et pédagogique, en s’appuyant sur les témoignages des scientifiques, qui estiment qu’il n’est pas possible d’exclure que les émissions d’un seul de ces champs pétroliers suffisent à activer un ou plusieurs points de bascule [provoquant l’effondrement du système climatique], ce qui aurait un impact énorme sur la Norvège ».
Selon les chercheurs qui ont témoigné à la barre, les combustibles produits par les trois gisements devraient générer près d’une demi-gigatonne de CO2, contribuant à augmenter le niveau des températures de 0,00023 degré. Une hausse à remettre en perspective avec l’augmentation de 1,2 degré de la température mondiale depuis le début de la révolution industrielle, rappelle le tribunal, qui estime que la mise en activité de chaque nouveau gisement peut désormais contribuer à des réactions en chaîne, menant à la hausse du niveau de la mer « de plusieurs mètres », provoquant « des conséquences majeures pour les sociétés et les écosystèmes du monde entier et pour la Norvège ».
Jeudi soir, les militants écologistes étaient euphoriques. Directeur de Natur og ungdom, Gytis Blazevicius a salué « une victoire importante pour les générations actuelles et futures et pour l’environnement », constatant que « grâce à ce jugement, des millions de barils de pétrole resteront dans le sol ». « C’est une victoire totale pour le climat face à l’Etat norvégien », a déclaré le leader de Greenpeace en Norvège, Frode Pleym, qui exige « l’arrêt de la production ». Lars Haltbrekken, député du Parti socialiste de gauche, demande pour sa part un examen de toutes les licences d’exploitation accordées récemment : « Le temps où le gouvernement pouvait poursuivre ses activités pétrolières hostiles au climat est révolu », a-t-il insisté.
La secrétaire d’Etat au ministère de l’énergie, Astrid Bergmal, a juste fait savoir que son gouvernement n’était « pas d’accord » avec le jugement et envisageait de faire appel. En attendant, « il est tout à fait clair que Breidablikk, qui est le seul champ actuellement actif, peut poursuivre ses activités dans le cadre de la licence qui lui a été accordée », a-t-elle déclaré. Cette licence est valide jusqu’à fin 2024. Les géants norvégiens Equinor et Aker BP, qui opèrent les trois gisements, renvoient vers les autorités.
Source Le Monde Anne-Françoise Hivert
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